Depuis le début de 2025, le Liban est engagé dans un bras de fer politique et financier autour de la restructuration de son secteur bancaire, l’une des réformes clés réclamées par le Fonds monétaire international (FMI) pour débloquer une aide vitale. La nomination d’un nouveau gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Karim Souhaid, réputé proche des banques, a relancé le débat sur les prérogatives de la banque centrale dans ce processus, dans un contexte post-scandale Riad Salamé. En parallèle, un projet de loi gouvernemental envisage de créer un comité de restructuration bancaire chargé de superviser la réforme du secteur, entamant de facto le pouvoir discrétionnaire historiquement détenu par le gouverneur. Les discussions au Parlement s’annoncent houleuses, notamment au sein de la commission des Finances et du Budget, où ressurgit le spectre des manœuvres de 2020 ayant conduit à minimiser les pertes bancaires.
Les récentes rencontres à New York entre les autorités libanaises, le FMI et la Banque mondiale ont intensifié les pressions internationales sur la Banque du Liban (BDL) pour accélérer la mise en œuvre de réformes bancaires critiques. Lors des négociations, le FMI a souligné la nécessité d’un audit exhaustif des principales banques libanaises et de la transparence dans la répartition des pertes. Les institutions internationales ont mis en garde contre l’échec des réformes, avertissant que sans une restructuration crédible, l’aide internationale risquait de ne pas être débloquée.
Cependant, la situation est compliquée par les divisions politiques internes. Les parlementaires libanais, particulièrement ceux opposés aux réformes proposées, risquent de saboter l’accord avec les institutions internationales. Les débats parlementaires, qui pourraient mener à des retards supplémentaires dans l’adoption des réformes, continuent de mettre en péril l’engagement du Liban vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale. Si ce blocage persiste, le Liban pourrait se voir exclu du soutien international, exacerbant davantage la crise économique.
Contexte : un nouveau gouverneur après les scandales Salamé
Le 27 mars 2025, après plus d’un an et demi de vacance de pouvoir à la tête de la BDL, le gouvernement libanais a nommé Karim Souhaid comme gouverneur de la Banque du Liban, succédant à Riad Salamé dont le mandat s’était achevé en juillet 2023 dans la disgrâce. Salamé, aux commandes de la BDL pendant près de 30 ans, a quitté son poste sur fond de scandales et de poursuites judiciaires pour détournement de fonds publics et blanchiment, ternissant profondément l’image de l’institution. Son départ a coïncidé avec l’effondrement financier de 2019-2020, qui a gelé les avoirs des épargnants et plongé le pays dans une crise économique sans précédent.
Karim Souhaid, 61 ans, est un gestionnaire de fortune de formation juridique. Son profil rassurant pour les milieux d’affaires lui a valu le soutien du secteur bancaire libanais, qui a activement fait pression en faveur de sa nomination. Cette proximité a toutefois divisé l’exécutif : le président Joseph Aoun y était favorable, alors que le Premier ministre réformiste Nawaf Salam y était initialement opposé. Finalement confirmé à la majorité, Souhaid hérite d’un poste affaibli par les scandales passés.
Une réforme bancaire sous la pression du FMI
Pour débloquer un plan d’aide de 3 milliards de dollars, le FMI exige du Liban des réformes structurelles, dont la restructuration de son secteur bancaire. Le gouvernement Salam a approuvé en avril 2025 un projet de loi-cadre sur la résolution bancaire, accompagné de la réforme du secret bancaire. Le texte prévoit la création d’un comité de restructuration indépendant, rompant avec la tradition où le gouverneur de la BDL décidait seul du sort des banques.
Cependant, Karim Souhaid a aussi reconnu la nécessité de répondre à certaines exigences du FMI. Il a validé la poursuite de l’audit judiciaire des comptes de la BDL par le cabinet Alvarez & Marsal, audit longtemps retardé sous l’ère Salamé. Il a également admis qu’il n’était pas réaliste d’exiger que l’État couvre l’ensemble des pertes bancaires, et s’est dit favorable à une limitation de sa contribution au prorata de ses capacités financières – un point régulièrement souligné par le FMI pour éviter une socialisation inéquitable des pertes.
Mais cette posture d’ouverture est à géométrie variable : Souhaid refuse jusqu’à présent l’audit indépendant des 14 principales banques du pays, pourtant réclamé avec insistance par le FMI pour établir une photographie fidèle de la situation du secteur. Cette résistance, interprétée comme une tentative de préserver les intérêts de l’oligarchie bancaire, mine la crédibilité des engagements pris. Les critiques pointent un double discours : concéder quelques gestes techniques sans toucher aux fondations d’un système qui a permis, pendant des décennies, la capture des dépôts au profit de pratiques opaques et clientélistes.
Le bras de fer parlementaire
Le projet de loi est actuellement débattu à la commission des Finances et du Budget. Son président, Ibrahim Kanaan, a relancé une sous-commission « restreinte » pour examiner le texte, ravivant les craintes d’un scénario similaire à 2020, lorsque cette même commission avait vidé de sa substance le plan de restructuration initial. Plusieurs députés redoutent que ce nouveau comité ne serve qu’à temporiser et affaiblir les réformes en profondeur, sous couvert de compromis technique.
Réactions du secteur bancaire
L’Association des banques du Liban rejette l’idée de supporter seule les pertes du secteur. Elle plaide pour une répartition entre l’État, la BDL et les banques, et pour un mécanisme d’indemnisation échelonné des déposants. Elle exige aussi des recours juridiques contre les décisions du futur comité de restructuration. Mais cette attitude est largement perçue comme une tentative de reporter encore l’assainissement du secteur et de prolonger l’agonie d’un système devenu insoutenable.
Enjeux économiques et politiques
L’issue de ce bras de fer dira si le Liban est prêt à affronter la réalité comptable de son effondrement ou s’il préfère une fois de plus maquiller ses pertes pour protéger ses élites financières. Sans restructuration crédible, aucun soutien du FMI ni retour de la confiance n’est envisageable. Le sort des épargnants, déjà laminés par six ans de crise, en dépend.
Par ailleurs, Al Akhbar (8 mai 2025) s’inquiète d’une offensive politico-financière contre les autorités monétaires. Le journal évoque un projet de réforme bancaire qualifié de « coup d’État » par certains cadres proches du gouverneur de la Banque du Liban. Le gouvernement, lui, défend un plan de « restructuration nécessaire pour restaurer la confiance ». L’ombre d’un conflit d’intérêts entre anciens responsables du système financier et les nouvelles autorités se dessine, accentuant la méfiance entre l’exécutif et certaines élites économiques.
Crise bancaire et affrontements autour de la réforme. Le débat sur la restructuration du secteur bancaire refait surface, avec vigueur. Al Akhbar révèle que le gouverneur de la Banque du Liban aurait qualifié le nouveau projet de loi sur les banques de « tentative de liquidation ciblée du secteur au profit de quelques groupes politiques ». L’entourage du Premier ministre Nawaf Salam nie ces accusations et affirme que le texte en question vise à garantir la transparence des actifs, le remboursement partiel des dépôts et la responsabilité des établissements ayant abusé des fonds publics. Ce texte, non encore rendu public, prévoirait la fusion de certains établissements, la suspension temporaire de l’activité d’autres, et la création d’une autorité indépendante de supervision. Al Akhbar affirme qu’au moins cinq banques classées parmi les plus anciennes seraient concernées par des « audits approfondis », dont les résultats pourraient conduire à des poursuites judiciaires. Selon Al Joumhouriyat, la communauté bancaire libanaise est profondément divisée : une partie soutient l’idée d’une purge ordonnée pour retrouver la confiance, tandis qu’une autre accuse l’État de se défausser sur les banques après avoir utilisé leurs ressources pour financer les déficits publics pendant des années.