Dans un Liban encore marqué par plus d’un an de conflit avec Israël, le ministre des Affaires étrangères, Youssef Rajji, nommé par les Forces libanaises, a de nouveau accusé le Hezbollah d’être à l’origine des affrontements qui ont conduit à des pertes humaines, des destructions massives et une occupation israélienne au Sud. Lors d’une interview accordée à France24, Rajji a également reproché au mouvement chiite de violer l’accord de cessez-le-feu conclu fin novembre 2024, ravivant les tensions internes alors qu’Israël maintient des frappes et une présence militaire dans le pays. Ces déclarations ont suscité une vive réplique du député Hezbollah Ibrahim al-Moussawi, illustrant les fractures profondes qui traversent le paysage politique libanais.
Rajji : Hezbollah à l’origine du chaos
Youssef Rajji n’a pas mâché ses mots lors de son entretien avec France24. « Nous devons nous souvenir de qui a provoqué l’invasion terrestre israélienne du sud du Liban et qui est responsable des destructions et des pertes humaines », a-t-il déclaré, pointant directement le Hezbollah comme le déclencheur des hostilités qui ont ravagé le pays depuis octobre 2023. Selon lui, les actions du mouvement – notamment ses tirs de roquettes sur Israël en soutien à Gaza – ont entraîné une réponse militaire disproportionnée, plongeant le Liban dans une crise humanitaire et sécuritaire.
Rajji a également dénoncé les violations continues du cessez-le-feu par le Hezbollah. « L’accord stipule que le gouvernement libanais doit être le seul détenteur d’armes, et cela n’a pas encore été mis en œuvre », a-t-il affirmé, soulignant que le mouvement n’a pas pleinement retiré ses forces au nord de la rivière Litani ni démantelé ses infrastructures militaires au Sud, comme exigé par l’accord. Ces critiques font écho à ses précédentes déclarations, où il avait déjà tenu le Hezbollah pour responsable de la guerre et de l’échec de la trêve, alors qu’Israël poursuit ses frappes sur le territoire libanais.
Une réponse cinglante du Hezbollah
Les propos de Rajji ont provoqué une réaction immédiate du camp Hezbollah. Le député Ibrahim al-Moussawi a fustigé jeudi le ministre pour « son insistance à accuser le Hezbollah de renier l’accord de cessez-le-feu » au lieu de condamner Israël pour ses violations répétées. « Ces remarques donnent à l’ennemi une justification pour ses attaques et un blanc-seing pour poursuivre ses crimes », a-t-il averti, accusant Rajji de fragiliser la position du Liban face à l’agresseur israélien. Pour al-Moussawi, le ministre, issu des Forces libanaises – un parti historiquement hostile au Hezbollah – adopte une rhétorique qui sert les intérêts de Tel-Aviv plutôt que ceux de la nation.
Cette passe d’armes reflète les divisions profondes au sein du gouvernement de Nawaf Salam, formé en janvier 2025 pour tenter de stabiliser un pays en crise. Alors que Rajji incarne une ligne dure contre le Hezbollah, le mouvement conserve une influence significative, avec des parlementaires et des ministres dans l’exécutif, compliquant les efforts pour une politique unifiée.
Le passé controversé de Rajji
Nommé ministre des Affaires étrangères dans le cadre d’un compromis politique, Rajji a attiré l’attention bien avant cette polémique. Lors d’une apparition sur MTV peu après sa prise de fonction, il avait révélé avoir été combattant pendant la guerre civile libanaise (1975-1990), une admission qui a suscité des critiques dans un pays où les mémoires du conflit restent douloureuses. Bien que de nombreux partis et leaders libanais aient été impliqués dans cette guerre, cette déclaration a ravivé les débats sur la légitimité des figures issues de cette période pour guider le Liban vers la réconciliation et la modernité.
Normalisation avec Israël : une ligne rouge
Sur la question des relations avec Israël, Rajji et les Forces libanaises ont fermement rejeté toute normalisation ou négociation directe, malgré des rapports suggérant que les États-Unis cherchent à entraîner le Liban dans des pourparlers bilatéraux. Washington a récemment annoncé son intention de « réunir le Liban et Israël pour des discussions visant à résoudre diplomatiquement plusieurs dossiers en suspens » : la libération des prisonniers libanais détenus en Israël, les points disputés le long de la Ligne bleue, et le retrait des forces israéliennes encore déployées dans cinq points au Sud.
Rajji a réaffirmé l’engagement de l’État libanais à obtenir un « retrait complet et immédiat » des troupes israéliennes, conformément au cessez-le-feu. « L’État libanais remplit toutes ses obligations et travaille sans relâche pour y parvenir », a-t-il dit, tout en insistant sur la nécessité pour le Hezbollah de se conformer aux termes de l’accord. « Les Libanais sont fatigués et veulent vivre dans un pays sûr et normal, où l’État détient le monopole des armes », a-t-il ajouté, plaidant pour une vision où la souveraineté nationale prime sur les milices.
La popularité persistante du Hezbollah
Malgré les accusations de Rajji, le Hezbollah conserve un large soutien populaire, même après une guerre dévastatrice avec Israël et la chute de son allié syrien, Bachar el-Assad, en décembre 2024. En février, des centaines de milliers de personnes ont assisté aux funérailles de l’ancien leader du mouvement, Sayyed Hassan Nasrallah, défiant les survols à basse altitude des avions israéliens. Cette mobilisation témoigne de la résilience de sa base, ancrée dans les communautés chiites du Sud, de la Bekaa et de Beyrouth-Est.
Au-delà de son rôle militaire, le Hezbollah reste une force politique et sociale majeure, avec des députés, des ministres et un réseau de services – écoles, cliniques, institutions financières – qui comblent les lacunes de l’État. Cependant, ses détracteurs, dont les Forces libanaises, l’accusent de dominer le gouvernement et de maintenir un arsenal parallèle, en violation de la résolution 1701 de l’ONU. Son image a également été ternie par son intervention en Syrie aux côtés d’Assad, son opposition aux manifestations d’octobre 2019, et sa brève prise de contrôle d’une partie de Beyrouth en 2008.
Un cessez-le-feu sous pression
L’accord de cessez-le-feu de novembre 2024, censé mettre fin aux hostilités, prévoyait un retrait total des forces israéliennes du Liban, un repositionnement du Hezbollah au nord du Litani, et un renforcement de l’armée libanaise au Sud avec le soutien de la FINUL. Pourtant, Israël maintient des troupes dans cinq points stratégiques, justifiant cette présence par le besoin de surveiller le désarmement du Hezbollah, tandis que des frappes sporadiques persistent, alimentant les accusations de violations mutuelles.
Rajji insiste sur la responsabilité du Hezbollah dans cet échec partiel, tandis qu’al-Moussawi rétorque que les agressions israéliennes sont le véritable obstacle. Cette impasse met le gouvernement Salam dans une position délicate, entre pressions internes pour désarmer le Hezbollah et exigences internationales pour stabiliser la frontière.