” Non, la PAIX n’est pas une utopie !”

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Le 6 novembre 2015, l’Association du Dialogue InterCulturel et Inter-Religieux (ADICR) présidée par Mme Samar Sassine, a organisé un Colloque au Sénat, Palais du Luxembourg, à Paris. Il avait pour thème “Dialogue des Cultures et paix”. Plusieurs intervenants de qualité étaient au rendez-vous.

M. Rony ARAYGI, Ministre de la Culture du Liban; Mme Bariza KHIARI, Sénatrice de Paris; Mme Pascale BOISTARD, Secrétaire d’état chargée des Droits des Femmes ; M. Odon VALLET, Philosophe et spécialiste des Cultures et Religions en France ; Mme Christiane KAMMERMANN, Sénatrice des Français établis hors de France ; Mme Irina BOKOVA, Directrice Générale de l’UNESCO ; Mme Véra MOKBEL, Artiste-Peintre ; M. David LACOMBLED, Directeur Délégué chez Groupe Orange ; Mme Aïcha ANSAR-RACHIDI, Avocate à la Cour de Paris et Secrétaire Générale de l’ADICR ; M. Elie MASBOUNGI, Journaliste à l’Orient-Le-Jour.
Je vous fais part de l’intégralité du discours de notre ministre, Rony ARAÏGI, un discours riche de messages et de volonté pour un « Vivre ensemble ».


Madame le Secrétaire d’État,

Madame la Présidente du Groupe France Liban

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Très chers compatriotes,

Je suis très heureux de participer à cette conférence de l’ADCIR qui a lieu dans ce lieu prestigieux chargé d’histoire et de droit et de pouvoir faire entendre la voix de mon pays sur un sujet qui est l’un des plus aptes à débattre, celui du multiculturalisme, du dialogue intercommunautaire et de l’aspiration profonde à la paix.

Je remercie l’ ADCIR pour cette initiative qui s’inscrit parfaitement dans le thème de ce colloque puisqu’elle propose un débat, donc un dialogue !

J’entamerai donc en présentant dans un premier temps le modèle de dialogue interculturel et interreligieux que constitue le Liban, avec ses qualités et ses failles ; pour ensuite envisager les chantiers qui devraient être engagés pour atteindre un modèle idéal où une pais durable serait une possibilité et non une utopie.

Le Liban est dans notre religion du Moyen-Orient un exemple unique et ultime de convivialité entre les cultures et les religions et le dernier rempart contre le fanatisme et l’obscurantisme qui tentent de fondre les peuples dans une uniformité stérile annihilant et paralysant la liberté d’être et de penser.

Ce « Pays-message », comme le qualifiait sa Sainteté le Pape Jean Paul II, est né d’une décision de vivre ensemble d’une multitude de communautés issues d’un brassage que l’histoire a tissé au fil des siècles. Situé au croisement des continents et des péninsules, le Liban a depuis toujours représenté une terre d’accueil et d’asile pour les minorités fuyant les persécutions chez elles et un espacez singulier de liberté et de démocratie pour tous. Paradoxalement, le Liban a toujours été une terre d’immigration pour diverses raison qui dépassent le cadre de notre discussion.

Cette volonté de constituer un État composé d’une mosaïque de cultures et de religions pouvait sembler bien utopique. Il fallait trouver un modèle de gouvernance qui puisse assurer un dénominateur commun à toutes ses spécificités et une équité garante de la pérennité d’un tel Etat. Le modèle de démocratie laïque à l’occidentale ne pouvait dans un premier temps répondre aux attentes de populations profondément marquées par leurs appartenances religieuses et leurs coutumes.

L’observation des modèles de gouvernance chez les pays a montré deux tendances principales :

  • Le modèle laïque imposé à des sociétés par ailleurs religieuses, a opposer un glissement récurrent vers l’autoritarisme et la dictature et abouti à une stérilisation de la vie politique remplacée par l’avènement du parti unique ainsi qu’à une répression de la vie intellectuelle et de la liberté d’expression remplacée par la propagande et le discours unique.
    Ceci a forcément alimenté la frustration et la colère de couches entières de la population et permis l’émergence d’un fanatisme religieux souterrain qui, à la première occasion, a proliféré donnant naissance à de nouvelles formes de barbarie et à une indicible violence.
  • Le second modèle est celui des théocraties qui par définition et par essence excluent les autres religions puisqu’elles instituent la charia en loi d’Etat. De grandes injustices y sont ressenties et vécues et toute parole libre ou différence y est scellée sous prétexte d’hérésie ou de crime de lèse-majesté. C’est ainsi que nous assistons au dénigrement des droits de l’homme les plus fondamentaux et aux châtiments publics devant servir de leçon. Qu’elle place y-a-t-il dans ces modèles pour un quelconque dialogue ? Quel sens y donne-ton au principe même de la paix ?

Convaincu de la visibilité de sa formule de coexistence, le Liban a construit un modèle sur mesure, celui de la démocratie consensuelle. Basée sur une distribution des pouvoirs de la manière la plus équitable possible entre les différentes communautés religieuses, nonobstant leur nombre, elle a permis la représentativité de tous les acteurs de la vie politique et civile, incluant les minorités.

Malheureusement, ce modèle célébré partout a montré ses limites et ses failles. La longue guerre civile qui l’a impitoyablement malmené, a semblé alors plus une faiblesse qu’une force. Il a en effet constitué parfois, une porte d’entrée pour des plans géopolitiques qui ont usé à rebours de cette exception afin d’installer telle suprématie économique et politique spécifique au détriment d’une autre et certainement au détriment des intérêts suprêmes du Liban.

Malgré cela, cet exemple de coexistence culturelle et religieuse a survécu aux tempêtes par la conviction de ses différentes constituantes, chrétiens et musulmans de la plus-value qu’ils constituent les uns pour les autres et de leur attachement atavique à leur terre.

Face aux difficultés auxquelles est confronté aujourd’hui le Liban, de par sa position géographique stratégique et malgré les tensions insoutenables qu’il subit des effets de guerres sauvages à ses frontières, il reste un espace d’échange, de liberté et de démocratie unique dans la région.

Cependant, pour le mettre à l’abri des secousses intermittentes qui le font sombrer périodiquement dans des crises plus ou moins graves et empêchent un développement continu et exponentiel, il faut dépasser cette vision d’un État à se partager en parts et opter pour celle d’une Nation forte et solidaire partageant les mêmes valeurs.

Le seul chemin pour y accéder est celui de laïcité dans la gouvernance, c’est pourquoi de plus en plus de libanais y aspirent afin de défaire les communautarismes qui emprisonnent et séparent, et permettre l’épanouissement d’une vie spirituelle apaisée dans la sphère de l’intime et du privé. Arriverons-nous un jour à réaliser cet objectif ?

Mesdames et Messieurs,

Pour atteindre cette sérénité garante d’une paix durable au Liban et bien au-delà, dans le monde, il ne suffit pas de travailler sur les institutions et les modèles politiques, il faut aussi et surtout travailler sur l’Homme.
Il ne suffit pas de vouloir la Paix, il faut apprendre à FAIRE la Paix !

Faire la Paix, se fait également avec soi-même. Pour rendre cette paix possible, il faudrait s’engager fermement à mener des actions concrètes qui favorisent le développement des pays et des populations et instaurent un climat de confiance et de justice sociale.

Les recettes peuvent sembler évidentes, mais les mettre en œuvre est un travail de longue haleine qui requiert volontarisme et engagement.

Favoriser avant tout l’éducation, pour tendre des ponts entre les cultures et découvrir l’Autre. Pour lui offrir les mots qui lui permettront de s’exprimer et de se défendre au lieu de prendre les armes et répondre par la haine et la violence.

Multiplier les programmes de coopération culturelle et les échanges qui créent ces moments magiques où au-delà des cultures et des religions, la tête et la main et le cœur des Hommes convergent vers un même objectif, celui de la création et non de la destruction.

Cultiver la tolérance pour vivre ensemble et rassurer cette peur de l’Autre ; pour comprendre qu’on se complète et se parfait. L’Homme tolérant est en effet celui qui commence par respecter les idées qui ne sont pas les siennes, car les respecter c’est accorder et reconnaitre à l’autre la première des libertés qui est celle de la conscience et de la pensée.

C’est dans la diversité des opinions et des croyances que se pratique cette liberté primordiale qui constitue la dignité de l’Homme ; et non dans l’uniformité d’un dogme imposé du dehors et par la terreur à tous les esprits, qui fige la société et étouffe la parole.

Car l’Homme est d’essence libre et sa différence se lit dans chacune de ses cellules, dans son empreinte digitale, dans la totalité de sa voix, dans la trace de son pas.

Pour reconnaître cette différence et la respecter, il faut commencer par reconnaître l’égalité des Hommes. Leur égalité dans leur humanité et face au Créateur. C’est en se croyant supérieur qu’on se fourvoie et qu’on a recours à la force physique pour imposer son avis, alors que c’est dans la force de la conviction que se trouve le seul chemin viable. Convaincre et non vaincre ! C’est toujours le dialogue et l’échange que nous devons privilégier.

Tendre la main pour partager les richesses de notre pays et au-delà, celles de notre planète dans le respect de l’environnement et la bonne gestion des ressources ; favoriser le développement économique des pays pauvres, en cessant le pillage de leurs richesses naturelles et en combattant l’esclavagisme moderne et le travail des enfants ; afin de vivre des relations d’échange et d’épanouissement mutuel garants de toute paix durable.

Répondre aux défis environnementaux qui nous appellent pour protéger cette planète qui nous accueille et nous nourrit indifféremment. Il y a urgence, et les catastrophes naturelles auxquelles nous assistons et qui se multiplient sont le signal d’alarme d’un danger imminent qui nous guette tous, au-delà de nos nationalités ou de nos nationalismes.

Faire la Paix passe par ces choix courageux qui remettent l’Homme au centre des stratégies économiques internationales et dispensent plus de justice et d’équité, plus de fraternité et d’égalité dans nos pays et dans notre monde.

Mesdames et Messieurs,
Nous sommes réunis en toute bonne foi pour débattre, pour trouver des solutions, pour opposer des idées, pour engager des chantiers. Nous sommes réunis car nous croyons que la paix est possible dans un futur commun où l’autre est un partenaire fiable et un compatriote du Monde ; un Monde de tolérance et de Paix. Or la paix, si elle doit être durable, devrait être non pas le but de nos choix et de nos actes, mais en être le résultat !

Je ne peux cependant pas conclure sans revenir sur la situation extrême que nous traversons et qui met en péril notre modèle que vous célébrez et notre pays que vous citez en exemple, qui met également en péril les démocraties que vous représentez et au-delà, la Paix dans le monde.

Le Liban fait face aujourd’hui à des défis humanitaires qui le dépassent et menacent gravement son équilibre si précaire. En accueillant après les réfugies palestiniens puis irakiens, les longs convoie de déplacés syriens qui ont trouvé asile dans notre pays, l’hospitalité légendaire du Liban a atteint son seuil d’implosion car ses capacités d’accueil se trouvent saturées et son infrastructure asphyxiée. Nous accueillons en effet un million et demie de réfugies, soit le tiers de notre population, avec un soutien et des moyens consentis par la communauté internationale, que je qualifierais de dérisoires.

Dans le même temps, les flux migratoires qui se tournent vers l’Europ inquiètent et effraient car ils sont perçus par beaucoup comme incontrôlables et inépuisables. Ils font le jeu des extrémismes et orientent les esprits vers la peur et le rejet de l’autre. S’il faut évidemment mettre en place tous les moyens pour accueillir ces populations dans le respect et la dignité, il faudrait avant tout œuvrer pour solutionner les causes de leur exil et redoubler d’efforts pour gagner la bataille de la Paix et de la réconciliation dans leurs propres pays.
Non, la PAIX n’est pas une utopie, elle est une possibilité bien réelle et une voix qu’il faut choisir et chérir.

Rony ARAÏGi
Ministre de la Culture du Liban

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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