Le 22 avril 2025, à l’annonce du décès du pape François, les journaux libanais ont unanimement salué un homme dont la relation au Liban allait bien au-delà de la diplomatie ecclésiastique. Nahar (22/04/2025) rappelle que le pape François évoquait souvent le Liban comme « plus qu’un pays, un message ». Cette citation, héritée de Jean-Paul II, a été reprise et adaptée tout au long de son pontificat, devenant l’un des marqueurs du discours papal à l’égard du pays du Cèdre. Mais ce sont surtout ses mots : « Le Liban est dans mes prières » qui reviennent avec insistance dans les hommages et les éditoriaux.
Ce propos, apparemment simple, fut exprimé à de nombreuses reprises entre 2013 et 2025. Il figure notamment dans le discours du 1er septembre 2020, à la suite de l’explosion du port de Beyrouth. Le pape déclarait alors : « Le Liban est dans mes pensées et dans mon cœur. J’invite chacun à prier pour qu’il redevienne un modèle de fraternité et de paix pour le Moyen-Orient ». Cette déclaration, largement reprise dans les médias libanais, avait été accompagnée d’un appel aux dirigeants du monde à « ne pas abandonner ce peuple martyrisé par la corruption et la violence ».
Al Quds (22/04/2025) rapporte que cette phrase fut répétée dans ses vœux de Noël 2021, 2022, 2023 et 2024, souvent dans la même formulation, devenant un refrain spirituel familier. Le pape utilisait la prière comme outil de diplomatie douce, en particulier lorsque les institutions libanaises étaient en crise. Lors de la vacance présidentielle entre 2022 et 2024, il avait exprimé son « inquiétude profonde pour l’âme du Liban », soulignant que sans direction, « même les cèdres les plus hauts fléchissent sous le vent ».
La relation personnelle du pape François au Liban se fondait sur plusieurs piliers : sa proximité avec les patriarches maronites, notamment Bechara Boutros al-Rai, ses échanges avec les communautés chiites libanaises, et son admiration déclarée pour la diversité confessionnelle libanaise. Nahar (22/04/2025) évoque un dîner discret organisé au Vatican en 2021 entre le pape et un groupe de religieux libanais représentant toutes les communautés. Aucun communiqué n’avait été publié, mais selon un participant cité anonymement, François aurait insisté sur l’urgence d’un « pacte national renouvelé par le pardon ».
Al Sharq Al Awsat (22/04/2025) note que le Vatican, sous son impulsion, a soutenu de nombreuses initiatives humanitaires au Liban, notamment après la crise économique de 2020. Le cardinal Konrad Krajewski avait été dépêché à Beyrouth en 2020 pour distribuer une aide symbolique, tandis que des partenariats ont été noués avec Caritas Liban et des écoles chrétiennes. L’objectif était de maintenir une présence éducative et sociale chrétienne dans le tissu national.
Mais les mots du pape allaient au-delà de la compassion. Ils engageaient une vision théologique du Liban comme espace unique de coexistence. À plusieurs reprises, François a présenté le pays comme « une cathédrale de confessions » dans laquelle le vivre-ensemble est une forme d’hospitalité divine. En juillet 2021, lors d’une journée de prière pour le Liban avec les responsables des Églises orientales, il déclarait : « Le Liban ne peut être laissé seul. Il est la maison de l’espérance ».
Ces propos ont été perçus comme un signal à la communauté internationale. Le pape exhortait les puissances régionales et mondiales à ne pas instrumentaliser le Liban à des fins de rivalités stratégiques. Il critiquait implicitement les interventions syrienne, iranienne, saoudienne ou occidentale dans la politique libanaise, sans jamais nommer les États concernés.
La dimension priante de son engagement est souvent interprétée comme une posture de retrait. Pourtant, Nahar rappelle que ses mots ont souvent précédé des actes. En 2019, après la vague de contestation populaire au Liban, il avait envoyé une lettre personnelle au président de la République Michel Aoun, dans laquelle il l’exhortait à « entendre la clameur des rues et la dignité du peuple ». Bien que la lettre n’ait jamais été rendue publique intégralement, des extraits avaient fuité dans la presse maronite.
Le pape s’est également impliqué dans la crise des réfugiés syriens au Liban. Il avait qualifié le pays de « miracle d’accueil » dans un discours au Vatican en 2016. Cette formule, reprise par Al Quds (22/04/2025), avait suscité des débats au sein de la classe politique libanaise, certains y voyant une incitation à maintenir un statu quo jugé insoutenable sur le plan économique et démographique.
Ses critiques les plus fortes ont toutefois visé la corruption. À plusieurs reprises, François a condamné « les élites qui vendent leur peuple pour un plat de lentilles », reprenant une expression biblique dans un contexte libanais. Cette phrase, prononcée en 2020 lors de l’angélus, a été interprétée comme une dénonciation directe de la classe dirigeante, sans distinction partisane.
La puissance des paroles du pape tient aussi à leur simplicité. Là où d’autres dirigeants utilisent des termes diplomatiques, François employait un lexique affectif. Il parlait du Liban comme d’un frère blessé, d’un enfant abandonné, d’un foyer brisé. Cette humanisation du discours a été reprise dans les sermons, les homélies, et même les manuels scolaires confessionnels.
Al Sharq Al Awsat note que le pape a aussi insisté sur le rôle des jeunes libanais dans la refondation du pays. Il les appelait « les bâtisseurs de la nouvelle arche ». Il faisait référence à l’arche de Noé pour insister sur la capacité de résilience collective. Ce message a été particulièrement relayé dans les écoles jésuites et maronites.
Le Saint-Siège a également accueilli plusieurs séminaires consacrés au Liban, organisés avec l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques. Le pape assistait parfois à ces rencontres de manière informelle, pour écouter les témoignages de jeunes libanais en exil. Il leur confiait souvent : « Vous êtes la lumière cachée d’un pays blessé ».
Dans la presse internationale, cette posture est saluée comme un modèle de diplomatie spirituelle. Le Washington Post écrivait en 2023 : « Le pape François parle du Liban comme d’un poème qu’il veut réécrire avec ses peuples ». Cette formule résume l’approche franciscaine : prier, parler, soutenir, sans imposer.