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Vert malgré tout : les municipalités libanaises défient la crise écologique

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Le Liban, plongé dans une crise multidimensionnelle depuis 2019, fait face à une pollution croissante et à une gestion chaotique des déchets qui menacent la santé publique et l’environnement. Dans ce contexte d’inaction étatique, plusieurs municipalités libanaises prennent les devants avec des programmes de recyclage et de gestion durable des déchets, tandis que des projets pilotes d’énergie solaire émergent malgré un manque criant de financements. Les associations environnementales, de leur côté, pointent du doigt l’absence d’une politique nationale cohérente, amplifiant la pression sur les autorités centrales. Parallèlement, le secteur privé commence à investir dans des solutions écologiques pour pallier ce vide, offrant un espoir fragile dans une nation au bord de l’asphyxie écologique. Cet article explore ces initiatives municipales, leurs défis et leur portée dans un pays où la survie prime souvent sur la durabilité.

La crise des déchets : un catalyseur pour l’action locale

La gestion des déchets au Liban est un fiasco de longue date, exacerbé par la fermeture de la décharge de Naamé en 2015, qui a provoqué une crise spectaculaire. Cette année-là, des montagnes d’ordures ont envahi les rues de Beyrouth, déclenchant des manifestations sous le slogan « Vous puez » et révélant l’incapacité du gouvernement à trouver une solution durable. Le Liban produit quotidiennement entre 5000 et 7500 tonnes de déchets selon les saisons, dont 77 % finissent dans des décharges à ciel ouvert ou dans la nature, bien que 89 % pourraient être recyclés ou compostés, selon des estimations de 2019. Face à cette situation, les municipalités, souvent laissées à elles-mêmes, ont lancé des initiatives pour reprendre le contrôle.

À Tripoli, dans le quartier de Jabal Mohsen, l’association Green Track, née en 2019, a collaboré avec la municipalité pour mettre en place un système de collecte et de tri des déchets recyclables. Initiée par des femmes locales surnommées les « green women », cette opération a sensibilisé les habitants au tri à la source, permettant de réduire la quantité de déchets envoyés aux décharges. Green Track a également développé une activité de conseil auprès des municipalités et entreprises pour financer ce projet, un modèle qui prouve que des solutions locales peuvent émerger même dans des zones marquées par les conflits récents avec la Syrie.

À Saïda, ville côtière du sud, la municipalité a tenté une approche différente. Depuis des années, un centre de traitement des déchets produit une montagne de résidus non recyclables en bord de mer, faute de décharge officielle promise par les autorités. En 2023, la ville a lancé un programme pilote de compostage pour détourner les biodéchets – environ 50 % des ordures ménagères – vers une valorisation agricole, selon des rapports locaux. Bien que limité par des ressources insuffisantes, ce projet illustre une volonté de passer d’une gestion de crise à une stratégie durable.

Dans la banlieue de Beyrouth, la municipalité de Bourj Hammoud a vu naître en 2022 le « drive-throw » de Lebanon Waste Management (LWM), une initiative privée en partenariat avec la ville. Ce centre de tri, inspiré des fast-foods américains, permet aux habitants de déposer leurs déchets recyclables depuis leur voiture en échange d’une petite rétribution – 2000 livres libanaises (0,02 euro) par kilo de carton, 50 000 livres (0,54 euro) pour l’aluminium. En un an, 450 tonnes de déchets ont été collectées, démontrant un potentiel réel, bien que cette clientèle reste majoritairement aisée et sensible aux enjeux écologiques, comme le notait Pierre Baaklini, fondateur de LWM, en juillet 2023.

Ces efforts municipaux, bien que fragmentés, répondent à une urgence : seulement 10 % des 5000 tonnes de déchets quotidiens sont recyclés, selon des estimations d’experts en 2023. La destruction de deux centres de tri lors de l’explosion du port en 2020 a encore fragilisé le système, obligeant les municipalités à innover malgré des budgets exsangues.

L’énergie solaire : des projets pilotes dans l’ombre du manque de fonds

Parallèlement à la crise des déchets, l’effondrement d’Électricité du Liban (EDL), qui ne fournit plus que 4 heures d’électricité par jour en 2024, a poussé les municipalités à explorer l’énergie solaire. Le Liban bénéficie de 300 jours d’ensoleillement par an, un atout majeur dans un pays où les générateurs diesel, coûteux (30 à 55 cents/kWh) et polluants, dominent. Pourtant, avant 2019, les énergies renouvelables représentaient moins de 8 % du mix énergétique, selon Human Rights Watch en 2023, avec une capacité solaire quasi nulle hors projets privés.

Certaines municipalités ont lancé des projets pilotes pour changer la donne. À El Qaa, près de la frontière syrienne, la municipalité a collaboré avec la région française des Pays de la Loire entre 2019 et 2022 dans le cadre du projet SOCLE, financé par l’Agence Française de Développement (AFD). Ce partenariat a permis d’identifier des besoins prioritaires, comme l’installation de panneaux solaires sur des bâtiments publics, bien que le manque de fonds ait freiné la mise en œuvre à grande échelle. Sophie Marion-Maanni, responsable du projet côté français, soulignait en 2023 que ces échanges avaient aussi révélé des innovations libanaises, comme les tuiles photovoltaïques, adoptées en retour en France.

À Beyrouth, l’hôpital Geitaoui, endommagé par l’explosion de 2020, a bénéficié en 2021 d’un projet de la plateforme NEEREA, installant 120 capteurs solaires. Cette initiative a réduit la consommation énergétique de 163 000 kWh par an et les émissions de CO2 de 75 tonnes, selon un rapport de Médiaterre en 2020. Bien que portée par le secteur privé et des financements internationaux, elle a inspiré des municipalités à envisager des solutions similaires pour les écoles ou les mairies.

La capacité solaire installée au Liban a explosé depuis la crise, passant de 100 MW en 2019 à 1500 MW en 2024, selon le Trésor français en juin 2024, principalement grâce à des installations privées. Cependant, les projets municipaux restent rares, entravés par un manque de financements publics et internationaux. Des licences pour 11 fermes photovoltaïques de 15 MW chacune, octroyées avant 2019, sont gelées faute de moyens, bien que CMA-CGM ait racheté deux d’entre elles en 2024 pour un développement imminent. Pierre El Khoury, du Centre libanais pour la conservation de l’énergie, estimait en 2022 que le Liban pourrait dépasser son objectif de 30 % d’énergies renouvelables d’ici 2030, mais seulement avec un soutien massif qui fait défaut.

Les associations environnementales : un cri d’alarme face à l’inaction étatique

Les associations environnementales jouent un rôle crucial en dénonçant l’absence d’une politique nationale face à la pollution croissante. En 2019, Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais, soulignait que des usines de tri secondaire existaient dans la plupart des régions, mais restaient sous-utilisées ou fermées faute de sensibilisation au tri à la source. « Des campagnes et la réouverture de ces sites recycleraient la majorité des déchets », plaidait-il, un constat toujours d’actualité en 2024.

Live Love Beirut, une ONG fondée pour promouvoir des actions citoyennes, a lancé en 2017 une campagne de plongée sous-marine pour nettoyer les côtes, collectant des tonnes de pneus, plastiques et canettes sur huit plages du nord, de Tabarja à Anfeh. « Ce qu’on a vu en bas, ça fait mal au cœur », déplorait Christian Nader, un plongeur de 19 ans, dans une vidéo de l’AFP en décembre 2017. Maya Saad, organisatrice, expliquait alors vouloir « montrer comment les ordures affectent nos vies », une initiative qui a perduré en 2023 avec des actions similaires.

En décembre 2017, la Coalition pour la gestion des déchets, regroupant des ONG environnementales, a vu le jour pour exiger une stratégie nationale durable. Ziad Abi Chaker, de Cedar Environmental, critiquait en 2017 les projets gouvernementaux d’incinérateurs, arguant qu’ils créeraient « un nouveau problème » de pollution. Il prônait une décentralisation en 26 régions, chacune avec son centre de traitement, une idée reprise par des municipalités mais jamais adoptée au niveau national. Human Rights Watch, en 2023, alertait également sur les brûlages sauvages par les municipalités, qui aggravent la pollution de l’air, tuant des milliers de personnes每年 selon Greenpeace.

Ces voix soulignent un vide criant : le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) a proposé des schémas directeurs pour les déchets depuis des décennies, mais aucun n’a été validé par le gouvernement, paralysé par des luttes politiques et la crise économique.

Le secteur privé : un acteur émergent dans le vide politique

Face à cette inaction, le secteur privé comble partiellement le fossé. Cedar Environmental, fondée par Ziad Abi Chaker, recycle des déchets solides depuis des années, proposant des solutions techniques aux municipalités. En 2017, Abi Chaker déplorait que la majorité des déchets finissent dans les décharges de Bourj Hammoud et Costa Brava, polluant la mer, une situation inchangée en 2024. Son entreprise a collecté et transformé des matières revendables, un modèle repris par LWM avec son « drive-throw ».

Recycle Beirut, une entreprise sociale lancée en 2015, emploie des femmes réfugiées syriennes pour collecter et trier les recyclables à Beyrouth, facturant un forfait mensuel aux habitants. Indépendante des municipalités, elle a traité des tonnes de déchets en 2023, selon des rapports locaux, montrant que le privé peut répondre là où l’État échoue. Dans l’énergie, des entreprises comme CMA-CGM investissent dans des fermes solaires, tandis que des ménages et commerces installent des panneaux à leurs frais – un mouvement qui a multiplié par 15 la capacité solaire depuis 2019.

Ces initiatives, bien que prometteuses, restent limitées par leur échelle et leur dépendance à des financements privés ou étrangers. La corruption et l’absence de régulation nationale freinent leur expansion, comme le notait Lama Bashour d’Ecocentra en 2017, plaidant pour des solutions « petit à petit » que le gouvernement ignore.

Une lueur verte dans un pays en crise

Les initiatives écologiques des municipalités libanaises – recyclage à Tripoli, compostage à Saïda, solaire à El Qaa – sont des réponses concrètes à une crise environnementale aggravée par l’inaction étatique. Soutenues par des associations et un secteur privé dynamique, elles témoignent d’une volonté locale de surmonter le chaos. Pourtant, le manque de financements, la pollution persistante et l’absence d’une politique nationale cohérente limitent leur impact. Dans un pays où 145 % d’inflation en 2021 et une crise électrique paralysent la vie quotidienne, ces efforts sont autant de lueurs d’espoir que de rappels d’un défi colossal encore à relever.

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Newsdesk Libnanews
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