L’amour de la nation

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Deux semaines exactement, après le sanglant 13 novembre à Paris, une cérémonie s’est tenue aux Invalides (dans la cour intérieure érigée sous Louis XIV, entre l’église saint Louis et le tombeau de Napoléon), en hommage aux 130 victimes innocentes du carnage du vendredi funeste. Avec bien entendu, l’hymne national, les noms, l’âge des victimes et le discours politique du chef de l’Etat.

Ce matin même, j’avais étendu comme souhaité, en signe de solidarité, un grand drapeau tricolore, sur le balcon de l’appartement que j’occupe depuis 25 ans à Paris. Je me sens Français, d’esprit et de cœur, tout en revendiquant entièrement, mon appartenance libanaise. Une culture est avant tout, un choix affectif intériorisé et pacifié. Je n’ai pas les papiers mais le sentiment et la conviction intime et sereine, d’appartenir à cette collectivité. En déployant cet étendard, je renouvelle une adhésion et un engagement. Dans les moments de crise nationale, l’hymne et le drapeau servent de points de ralliement, vocal et visuel et facilitent la communion. Il faut s’accrocher aux symboles et aux rituels, pour exorciser la mort et les ténèbres. Trouver les mots justes pour ressusciter le sens et faire revenir l’espérance et la lumière. Dire, formuler publiquement, c’est prendre conscience et reprendre son destin en main.

Nous voilà revenus à l’amour de la nation, qui est incontournable en période de menace, car il replace les êtres humains, dans leur cadre d’appartenance, culturelle et politique. Finalement, tous les conflits humains, depuis le début de la vie sociale, sont des conflits culturels, d’une manière ou d’une autre, tant entre nations (guerres militaires) qu’à l’intérieur d’une même nation (guerres civiles).

Néanmoins, tout en prônant un modèle, qui tend vers l’universel, une société ne peut être abstraite, elle a ses valeurs propres et son mode de vie qu’elle doit revendiquer, préserver et protéger. Le vivre ensemble est un beau message mais doit s’articuler sur des réalités. Une identité se construit de manière concrète, à travers des choix de société et des paramètres identitaires constants, qu’il faut négocier sans cesse, au mieux. Il faudrait se rassembler et s’unir, mettre le plus de valeurs en commun, mais toute société a son identité propre évolutive et ses repères culturels aménagés. Certes, il ne faudrait pas que les éléments qui la structurent, deviennent figés, dogmatiques ou discriminatoires, mais on ne peut faire l’économie, des paramètres identitaires. L’idéal serait de se réclamer d’une société humaine, universelle, des droits de l’homme ‘’sans distinction de race, sexe, langue et religion’’ (article 1er de la charte de l’Unesco) mais la réalité c’est que nous nous construisons culturellement et politiquement, à travers ‘’notre langue, notre race, notre religion et nos mœurs’’ (paramètres d’Hérodote).

Nier les conflits culturels équivaut à un suicide annoncé ou anticipé. Affirmer les conflits culturels, c’est aller au devant d’idéologies d’exclusion et de violences sans fin.

L’appartenance hélas n’est pas uniquement une question philosophique mais également pratique. Si on la confie aux politiciens, on risque l’instrumentalisation. Si on s’en remet aux philosophes humanistes, on pourrait verser dans le déni.
Quand faut-il rester dans le non dit et le refoulement ? Et quel est le seuil de tolérance pour exiger une explication ferme et franche ?

Le grand défi d’une grande nation, c’est de maintenir le lien et la cohésion, sans que l’espace public ne soit verrouillé ou éclaté.

Nous sommes rentrés depuis la chute du mur de Berlin, il y a 25 ans, dans une nouvelle ère de confrontation qui prend de nouvelles formes mais se situe dans la continuité des conflits culturels idéologiques qui existent depuis la nuit des temps et empruntent uniquement, de nouveaux modes d’expression. Peut-on imaginer une société humaine mondiale sans conflits culturels ?

Finalement, les conflits culturels sont les moteurs des sociétés, qui peuvent créer une dynamique, évolutive ou destructrice. Pour les gérer au mieux et les prévenir, il faudrait déjà les reconnaître, leur définir un cadre objectif pour tenter de les rationaliser sinon, nous serons éternellement livrés, à nos instincts de survie, nos passions archaïques et nos peurs.

Bahjat Rizk

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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