Non-assistance à un peuple en danger !

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Sauveteur ! Personne magique qu’attend une personne en détresse.
L’attente tragique du libanais en situation de non-assistance à une population en danger ; une aide, un soutien qui tardent à venir.

Sauvons ce peuple qui ne réclame que de vivre dans la dignité humaine ! Nul besoin d’être psychologue, psychiatre ou spécialiste pour le dire, il suffit de le vivre ou de l’avoir vécu.

A peine une semaine et sous le regard du monde entier, ravagé par des centaines d’incendies ayant touché des zones habitées et causant d’importants dégâts aux infrastructures, le Liban pleurait ses forêts réduites en cendres ; et ces derniers jours, l’unique drapeau libanais se hisse dans les mains du peuple manifestant sans relâche.

Le comble au « Pays du Cèdre », c’est l’environnement qui est resté le parent pauvre d’une politique menée par une classe dirigeante. Nombreux sont les défis auxquels il faudra faire face : crise économique, risque d’effondrement financier, corruption, etc. La liste en est longue.

Sous le choc de ces flammes carbonisant ses forêts et calcinant ses habitations, la tristesse s’est mêlée à la colère de tout un peuple démuni. Seule la défense civile était à pied d’œuvre. L’émotion fut vive et le scepticisme de la population fut de mise.

Doute, incrédulité et méfiance, la polémique grondait sur le sol et sur les réseaux sociaux face à ce drame, cette incurie et cet abandon ressentis par des citoyens dépourvus, privés, dénués voire même dépouillés de leurs espaces verts.

Tout un peuple a dû subir un profond traumatisme face à ces flammes, miroir de la gravité de l’instant. Choqué, heurté, effrayé et dans une totale insécurité physique et psychique, ces incendies auraient réveillé les consciences : mettre fin aux abus et aux négligences !

Non-assistance à un peuple en danger ! Et c’est là que le bât blesse !
Victimes et traumatisés, qui était à leur écoute pour limiter ou apaiser un peu leur choc subi ? S’il y a eu secours et soins médicaux pour les blessés, le choc psychique de toute une Nation voyant sa faune et sa flore partir en fumée, n’a pas été pris en compte. Ces libanais, ces blessés psychiques, face au désastre d’une part, sont restés livrés à leur traumatisme face à un Etat incapable d’intervenir., d’autre part.

Sauvetage et absence de « Sauveteurs » !
Devant cette catastrophe d’ampleur, dans cette phase de stress aigu, pointant leur regard vers des dirigeants qui se sont avérés plus démunis qu’eux, n’ayant que quelques secouristes avec peu de moyens matériels, le peuple n’avait que ses prières espérant que le ciel et la bonté divine lui viennent en secours.

Allaient-ils parvenir à reprendre le quotidien et son cours les bras baissés, comme si de rien n’était ? En état de choc, réalisant à peine ce qu’ils ont vécu, pris à témoins de l’incapacité de l’Etat d’intervenir face à ces incendies dévastateurs, ravageurs, détresse et ras-le bol allaient de pair.

Non-assistance à un peuple en danger et réappropriation de la gravité de l’événement, les voilà tous unis par leur drame : de la solitude de chacun à l’union de tout un peuple manifestant. Les rues débordantes ont vu leur explosion d’émotion arriver.

Nous le savons tous – au moins nous traumatisés de la guerre jadis, ayant entamé un long parcourir pour dépasser le souvenir de nos blessures mentales, nous qui vivons de l’autre côté de la rive – aussi bien que les spécialistes du monde entier, que les premiers mots prononcés sont d’une nécessité profonde pour se sentir soutenu et accompagné.

Qu’on soit peuple résilient ou pas, quand toute une population subit un choc traumatique et se trouve abandonnée à son sort sans aucune cellule d’urgence mise à sa disposition pour lui apporter soutien et sécurité, ça ne peut qu’exploser !

Hélas, les libanais, ont été encore une fois, gravement et impitoyablement abandonnés à leur désarroi et n’ont pas eu cette main tendue ni trouvé les mots apaisant colère et traumatisme.

Je dis « encore une fois abandonné », car combien de fois ce peuple a subi depuis la guerre de 1975, un choc puis un autre et puis un autre ? Guerres, attentats, voitures piégées, agressions, …
Cerise sur le gâteau, les blessés et les victimes, doivent se prendre en charge pour être soignés sinon mis dehors, agonisants, au seuil des portes des hôpitaux.

Encore une fois, ce peuple résilient s’est trouvé dans une effraction traumatique, effroi, sidération, grande détresse sur le plan individuel aussi bien que sur le plan national, une situation de non-assistance à une population en danger !

Tout comme le pare-feu, le pare-excitation face à cette invasion débordante d’émotivité –
ce choc émotionnel – a été mis hors-circuit. Ce temps suspendu entre frayeur et rage, comment allait-il s’écouler ? Comment ces libanais allaient-ils contenir surcharge émotionnelle submergée d’angoisse et de désarroi ?

Destin pour ce temps suspendu ou pure coïncidence, dès le lendemain de ces incendies, voilà l’annonce d’une taxe supplémentaire, une taxe de trop, mal programmée, tombe à leurs oreilles bourdonnant encore du crépitement des flammes, des cris de secours et ce désastre sans assistance aucune.

Est-ce la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ou tout simplement l’issue et l’expression de cette brèche traumatisante ? Le choc ne serait-il pas révélateur de plus qu’un grand ras-le bol national, sociétal et commun à tous ?

Qu’en est-il du lendemain ? Qu’en est-il de cette atmosphère anxiogène ? De ces facteurs aggravant de plus en plus le quotidien de toute une population ?
Qu’en est-il de la « culpabilité du survivant » ? Ce syndrome des survivants de longues années de guerre, guerres des uns contre les autres…
Qu’en est-il de la culpabilité ou de la responsabilité de chacun et surtout la responsabilité de la classe politique ?

Depuis bien longtemps, et ce depuis le début de la guerre civile de 1975, nous portons en nous tous ce lourd fardeau, cette culpabilité. Qui de nous ne s’est jamais dit « j’aurais dû être là », « ça aurait pu être moi », « je suis encore en vie » ?
Qui de nous ayant subi ces discordes et ces guerres fratricides ne s’est pas posé des questions existentielles sur le sens de ce qui nous est arrivé et pourquoi ?
Nos parents ont dû souffrir de nous voir quitter le pays, faute de pouvoir nous protéger, ils ont accepté la douleur de la séparation, nous, on l’a subie !

Comment expliquer, comprendre ou donner un sens à ce réveil national ?

Plongés dans l’intime de cette tragédie incendiaire qui a touché le pays, on ne reste jamais indemne ou indifférent. Accepter l’inacceptable, laisse à la longue une empreinte dans notre mémoire.

Depuis combien d’années, les libanais sont soumis à l’inacceptable ?
Vivre collectivement ce tragique désastre, être pris à témoins de cette catastrophe et se trouver dans l’incapacité d’agir a sans doute créé chez nous tous une intense culpabilité qui s’est enfin verbalisée par ce grand rassemblement national. Certains le désignent comme une révolte, d’autres comme une révolution. Pour ma part, je me contente de dire que ce peuple résilient ayant encore survécu à un énième choc, a choisi enfin la survie collective plutôt que le suicide collectif., c’est la gloire de l’unique étendard, le drapeau libanais.

A croire que ces flammes dévastatrices ont ressuscité l’esprit et l’union nationale. La ligne rouge tracée par ces feux tout au long de ces villes, villages et montagnes était la ligne à ne pas dépasser !

Trahison, injustice et abandon subis, d’une part ; feux, flammes, fumées et cendres, d’autres part, ce que nous pensions indestructible et impossible a été atteint.

A l’image de ces « plantes-phénix », l’union nationale de tout un peuple a été régénérée par ce feu souvent synonyme de destruction. A croire que c’était indispensable pour que fleurisse l’unique drapeau libanais parmi tous les manifestants brisant ainsi un long silence.

Le libanais dispose bel et bien de capacités de résilience, c’est ainsi que le pays renaîtra de ses cendres …

Jinane Chaker-Sultani Milelli

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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