Obama Care et Trump Tower

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A partir du 20 janvier à midi, les Etats-Unis sont rentrés dans une nouvelle ère, un nouveau style de gouvernement qui repose plus sur l’action immédiate, l’ambition démesurée frôlant la mégalomanie, un désir de bousculer, de transgresser, de dépasser les limites.

Alors que le président sortant avait cultivé le contrôle de soi, la spéculation intellectuelle, le refus de prendre des risques, la recherche du compromis, l’art de l’esquive, le président entrant en exercice, lui préconise la confrontation, le face- à -face, le parler vrai, le quitte ou double, la provocation souvent gratuite.

Certes chaque style présente des avantages et des inconvénients, autant Obama, essuyant des larmes furtives en évoquant, l’impressionnante et enveloppante Michelle, que Trump, exhibant triomphalement, la frêle et évanescente Mélania. D’un côté l’Obama Care et de l’autre la Trump Tower.

Obama n’a pratiquement pas commis d’excès durant huit ans, il a joué l’apaisement et privilégié l’analyse à distance. D’une certaine manière, il fut une sorte de modèle mais peut-être a-t-il manqué d’esprit de conquête, de défi et de réaction à vif ou à chaud. Malgré le résultat de sa bonne gestion interne et certains progrès sociétaux indéniables, il est trop resté dans la maîtrise de lui-même et une rationalité un peu contrainte, prévisible, assurée et rassurante mais peu créative. Alors que Trump se prend déjà pour Dieu le Père ou du moins pour « le plus grand créateur d’emplois que Dieu ait créé ». Trump obéit à son instinct tout en calculant ses effets. Avec son esprit d’aventurier, il cumule autant de réussites spectaculaires que de faillites retentissantes.

Mais finalement chacun des deux est également, le contraire de ce qu’il prétend être car l’homme est autant ce qu’il dissimule, que ce qu’il révèle. Tous les deux partagent la certitude d’être irrésistibles. Il faut un immense narcissisme pour faire de la politique. Il faut être convaincu qu’on est le meilleur et qu’on est prédestiné. Après chacun sa stratégie. Et puis les peuples choisissent par alternance. Le couple Obama –Trump n’est pas sans rappeler le couple Clinton -Bush fils, Sarkozy -Hollande, Mitterrand –Chirac, Gorbatchev-Eltsine… etc. On essaie toujours de rattraper ce qu’on a sacrifié.

Mais au-delà de leurs personnes, nos dirigeants sont animés par le goût immodéré du pouvoir. En démocratie, c’est le suffrage universel qui le leur apporte, en dictature, c’est le recours aux armes. Finalement tout groupe humain a besoin d’un chef qui le guide et maintienne en son sein l’ordre.

Les élections ne font que réguler pacifiquement, ce qui autrement ne peut être obtenu, que par la brutalité du rapport de force. Ce qui est néanmoins constant, c’est la métamorphose de celui qui n’a pas encore le pouvoir et celui qui l’obtient, l’exerce puis le cède. Ce processus de mutation, à la fois évident et mystérieux est intéressant à observer. Après avoir été le point de mire planétaire durant huit ans, Obama redevient un homme presque normal alors que les yeux du monde se détournent de lui, pour fixer, flatter ou critiquer quelqu’un d’autre, celui qui le remplace.

Il faut beaucoup de discipline pour savoir se retirer (les mandats présidentiels sont limités à deux aux Etats-Unis). Dans les sociétés patriarcales, on essaie de se renouveler à vie (en détournant la constitution si besoin est) et de transmettre à sa progéniture ou à un membre de sa famille proche. Le pouvoir n’est pas lié à une fonction mais à une personne. C’est un attachement émotionnel qui ne parvient pas à se raisonner. En démocratie, on admet qu’il y a des règles qui s’imposent et que les politiques doivent intérioriser.

Il semble que ce soit lors de son humiliation publique mondiale durant le dîner annuel de gala de la presse le 30 avril 2011, que Donald Trump tourné en dérision, a décidé de remplacer Barack Obama à la présidence. Et quoi qu’on en dise le président sort par la petite porte alors que son successeur promet de défaire toute son œuvre. Même si le pouvoir lui-même impose une sorte de continuité.

Donald Trump devient par son élection, le 45 ème président des Etats –Unis et sa légitimité démocratique découle également de celle de ses prédécesseurs. Ce vendredi 20 janvier 2017, le nouveau président suit à la lettre, une mise en scène établie depuis plusieurs décennies. Il prête serment sur la bible devant le président de la cour suprême face au capitole à Washington. C’est une forme de rituel d’intronisation qui l’introduit dans ses fonctions. Il devient « l’homme le plus puissant du monde » pour quatre ans, même s’il s’inscrit à son tour, dans un complexe dispositif institutionnel. Nous nous inscrivons tous dans un système dans lequel certains disposent de facilités et de privilèges et d’autres sont sacrifiés ou attendent leur tour. D’une certaine manière la sélection se fait, à notre insu mais avec notre consentement car nos vies à la fois, nous appartiennent et nous échappent.

L’élection d’Obama a été, il y a huit ans déjà, une immense surprise, celle de Trump cette année, une surprise plus grande encore, presqu’un choc planétaire. Mais une fois établies, les choses reprennent leur cours car les êtres humains et les peuples sont tenus à s’astreindre au-delà de leurs passions, à un cadre cohérent, à une sorte de rationalité. Quelqu’un en proie au doute existentiel ne peut plus agir. Il sera condamné éternellement, à réciter le monologue d’Hamlet « Etre ou ne pas être, telle est la question ».

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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