Une crise enracinée dans un modèle économique artificiel
La pauvreté massive qui frappe aujourd’hui le Liban n’est pas seulement le résultat de la crise de 2019, mais le fruit d’un modèle économique insoutenable, entretenu pendant plus de trente ans. L’effondrement du pays découle d’un système basé sur une surévaluation artificielle de la livre libanaise, financée par des entrées massives de capitaux de la diaspora, un phénomène souvent décrit comme une forme de « maladie hollandaise ».
Depuis la fin de la guerre civile en 1990, le Liban a mis en place une politique de fixation du taux de change qui a maintenu la livre libanaise à un niveau artificiellement élevé face au dollar. Cette surévaluation, qui semblait être un gage de stabilité, était en réalité alimentée par les transferts d’argent de la diaspora et non par une production économique réelle. Ces fonds en devises servaient à maintenir l’illusion d’une économie en bonne santé, alors qu’en réalité, ils subventionnaient une économie de rente et un secteur public hypertrophié et inefficace.
Le système bancaire libanais a joué un rôle clé dans cette mécanique. Les banques proposaient des taux d’intérêt très élevés sur les dépôts en dollars, attirant ainsi toujours plus de capitaux de la diaspora. Cet afflux de devises permettait d’assurer un taux de change fixe, tout en servant à financer la dette publique libanaise, qui a explosé au fil des années. En réalité, le Liban fonctionnait sur une bulle financière gigantesque, où l’argent envoyé par la diaspora finançait les déficits chroniques de l’État, créant une dépendance à ces entrées de fonds.
Ce modèle a fini par s’effondrer lorsque les entrées de devises ont ralenti et que la confiance dans le système bancaire libanais s’est érodée. Dès 2019, les banques ont imposé des restrictions illégales sur les retraits en dollars, révélant ainsi que les fonds déposés avaient en grande partie été utilisés pour rembourser des dettes plutôt que pour financer des investissements productifs. L’effet domino a été immédiat : effondrement de la livre libanaise, hyperinflation et appauvrissement brutal des classes moyennes et populaires.
Une crise bancaire qui a précipité la pauvreté
L’effondrement du secteur bancaire a été l’élément déclencheur de la crise actuelle. Pendant des décennies, les banques libanaises ont fonctionné comme un système de Ponzi, utilisant les nouveaux dépôts pour rembourser les anciens, sans jamais investir dans l’économie réelle. Lorsque les flux de capitaux en provenance de la diaspora ont commencé à ralentir, ce système s’est effondré, révélant une banqueroute généralisée du secteur financier.
Les conséquences ont été immédiates : des millions de Libanais ont perdu leurs économies du jour au lendemain, la livre libanaise a perdu plus de 95 % de sa valeur et le pouvoir d’achat de la population s’est effondré. Alors que le salaire minimum était autrefois l’un des plus élevés de la région en dollars, il ne permet plus aujourd’hui de couvrir ne serait-ce que les besoins alimentaires de base.
La classe moyenne, qui était le moteur économique du pays, a été la première à être touchée. Les enseignants, fonctionnaires, employés de bureau et travailleurs du secteur privé ont vu leurs salaires fondre, les forçant à basculer dans la précarité. Ceux qui avaient épargné toute leur vie dans les banques libanaises ont vu leurs dépôts gelés et dévalorisés, sans possibilité de récupérer leur argent en devises.
La crise bancaire a également eu un impact direct sur les entreprises. Les PME, qui représentaient plus de 90 % du tissu économique libanais, n’ont plus eu accès aux financements et ont été contraintes de réduire leurs activités ou de fermer. Le chômage a explosé, avec des milliers de travailleurs licenciés sans aucune protection sociale.
Un État en faillite incapable d’assurer les services essentiels
En parallèle de cette crise bancaire, l’État libanais, qui dépendait largement des fonds entrants pour financer son budget, s’est retrouvé en défaut de paiement sur sa dette en 2020. Cette faillite souveraine a paralysé l’ensemble du système public et aggravé encore plus la situation économique.
L’électricité, déjà en difficulté depuis des décennies, est devenue un luxe. La compagnie nationale d’électricité, incapable de financer ses importations de carburant, a drastiquement réduit la production, obligeant les Libanais à se tourner vers des générateurs privés hors de prix.
Le secteur de la santé, autrefois l’un des meilleurs du monde arabe, s’est effondré. Les hôpitaux publics, sous-financés et en manque de matériel, ne peuvent plus assurer un accès aux soins pour la majorité des Libanais. La fuite des médecins et des infirmiers vers l’étranger a aggravé cette crise, laissant le pays dans une situation sanitaire alarmante.
L’éducation a également été frappée de plein fouet. Les écoles privées, qui formaient l’essentiel des cadres libanais, ont vu une grande partie de leurs élèves quitter leurs bancs, leurs parents n’ayant plus les moyens de payer les frais de scolarité. L’école publique, sous-dotée et incapable de répondre à la demande, ne permet pas d’assurer un enseignement de qualité.
L’absence de protection sociale a amplifié l’impact de la crise. Contrairement à d’autres pays en crise, le Liban ne dispose d’aucun programme d’aides sociales structuré. L’aide humanitaire internationale, bien que précieuse, est insuffisante et mal distribuée en raison de la corruption et de la mauvaise gestion des ressources publiques.
Quelles solutions pour sortir de cette spirale de pauvreté ?
Sortir de cette crise nécessite une refonte complète du modèle économique libanais. La dépendance aux fonds de la diaspora et aux entrées de capitaux extérieurs doit être remplacée par une économie productive et durable.
- Réformer le secteur bancaire : Restaurer la confiance dans le système financier passe par une restructuration en profondeur du secteur bancaire, avec des audits transparents et une séparation claire entre la gestion des dépôts et le financement de la dette publique.
- Stabiliser la monnaie : Un taux de change réaliste, aligné sur les fondamentaux économiques du pays, permettrait de mettre fin à la volatilité monétaire et de restaurer un minimum de stabilité économique.
- Investir dans la production locale : Plutôt que de dépendre des importations, le Liban doit développer son agriculture, son industrie et son secteur technologique pour générer des emplois et réduire sa dépendance aux flux financiers extérieurs.
- Mettre en place une protection sociale efficace : Un programme d’aides sociales bien structuré permettrait d’atténuer l’impact de la crise sur les plus vulnérables et d’éviter une explosion de la misère.
- Lutter contre la corruption et le clientélisme : Tant que les ressources publiques continueront d’être détournées par une élite politique corrompue, aucune réforme ne pourra aboutir. Des institutions de contrôle indépendantes et un cadre législatif strict sont indispensables.
Le Liban doit impérativement rompre avec le modèle économique qui l’a conduit à la catastrophe actuelle. Sans réforme structurelle, la pauvreté ne fera que s’aggraver, et le pays continuera de dépendre d’aides extérieures qui, à terme, ne suffiront plus à maintenir son économie à flot.