À mesure que la guerre à Gaza entre dans son huitième mois, une nouvelle réalité s’impose progressivement dans les cercles militaires et stratégiques israéliens : l’enlisement n’est plus une menace théorique, mais un état de fait. Derrière les discours politiques offensifs et les frappes répétées, les fragilités logistiques de l’armée israélienne deviennent un facteur central de ralentissement. L’usure du matériel, les limites humaines des troupes au sol, et l’adaptation tactique du Hamas sur le terrain compliquent une victoire claire. Ce constat, de plus en plus partagé dans les milieux de la défense, annonce une phase d’incertitude prolongée pour Tel-Aviv.
Usure du matériel et saturation des systèmes d’appui
Depuis octobre 2024, l’armée israélienne mobilise une part significative de ses brigades terrestres, ses unités blindées, ses forces spéciales, ainsi que ses capacités aériennes et maritimes dans la bande de Gaza. Cette opération prolongée entraîne une sollicitation continue des systèmes d’armes et de transport.
Plusieurs sources militaires indiquent que de nombreux véhicules blindés nécessitent désormais une maintenance plus fréquente. L’usure des chars Merkava, utilisés massivement dans les incursions urbaines, s’accompagne d’un ralentissement des capacités de déploiement rapide. Les camions logistiques et les véhicules légers, régulièrement ciblés par les engins explosifs improvisés (IED) et les embuscades, sont désormais escortés systématiquement, ce qui limite la fluidité des chaînes de ravitaillement.
Du côté de l’aviation, les rotations des F-16 et des drones de surveillance se poursuivent, mais avec un taux d’alerte élevé qui impose des relèves constantes et un entretien accru. Ces tensions pèsent sur les unités de soutien technique, qui travaillent en flux tendu dans des conditions de sécurité maximales.
Fatigue des troupes et limitations humaines
L’aspect humain constitue l’un des défis les plus sensibles. De nombreux soldats engagés dans l’opération « Glaive de Fer » sont désormais dans leur huitième mois de déploiement. Les permissions ont été restreintes, les relèves espacées, et le moral des troupes affecté par le caractère répétitif des missions, la dangerosité des zones de combat urbain, et la difficulté à distinguer entre civils et combattants.
Les unités combattantes, en particulier les brigades Golani et Nahal, ont subi des pertes non négligeables dans les combats rapprochés à Jabaliya, Khan Younès et récemment à Rafah. L’envoi de renforts en provenance de réservistes ne suffit plus à assurer un rythme de rotation soutenable. Les analystes estiment qu’au-delà de l’impact psychologique, cette pression continue affaiblit la réactivité opérationnelle et augmente le risque d’erreur de jugement tactique sur le terrain.
Réadaptation tactique du Hamas
À la surprise de nombreux observateurs, le Hamas a su, malgré les pertes, adapter ses méthodes de combat. Abandonnant en grande partie l’idée de confrontation frontale, les unités combattantes ont privilégié des techniques de guérilla urbaine, combinant tunnels, embuscades et frappes ciblées à l’arme légère ou au mortier.
L’armée israélienne peine à localiser les caches d’armes et les centres de commandement souterrains, souvent dissimulés sous des immeubles civils. Les démolitions massives, censées priver le Hamas de ses infrastructures, n’ont pas empêché la résurgence de cellules actives dans des zones précédemment « sécurisées ».
À Rafah, malgré les avancées territoriales israéliennes, plusieurs accrochages récents montrent que la profondeur des défenses du Hamas demeure significative. Le groupe utilise également la densité urbaine comme levier stratégique, comptant sur la difficulté pour Israël à frapper sans provoquer de pertes civiles importantes.
Problèmes de coordination entre branches armées
Une autre faiblesse logistique réside dans la coordination entre les différentes branches de Tsahal. Plusieurs incidents récents rapportés par des sources sécuritaires font état d’erreurs de communication entre unités au sol et appuis aériens, notamment lors de frappes sur des cibles mouvantes.
La multiplication des opérations simultanées, souvent dans des zones complexes, exige une interopérabilité technique et humaine constante. Or, les conditions du terrain – interférences, pertes de signal, brouillage – réduisent cette fluidité. Ces limitations engendrent parfois des ralentissements, des doubles frappes inutiles, voire des blessures par tirs amis, bien que les autorités n’aient pas officiellement reconnu ces cas.
Pressions logistiques sur le long terme
L’opération en cours à Gaza a également contraint Israël à revoir ses priorités en matière de ressources. L’effort budgétaire militaire exceptionnel mobilisé depuis fin 2024 commence à générer des arbitrages. La prolongation de l’état de guerre pose la question de la soutenabilité financière et humaine.
Le rééquipement des unités engagées, la réparation des engins détruits, et l’achat de nouveaux systèmes de guidage et de détection pèsent lourdement sur le budget de la défense. Certains programmes ont été mis en pause, notamment dans le domaine de la cybersécurité et de la formation. En parallèle, les alliés d’Israël, en particulier les États-Unis, commencent à exprimer leurs préoccupations face à la stagnation des résultats militaires.
Perte du soutien tactique et diplomatique externe
Le facteur logistique ne s’arrête pas au terrain. Il s’étend à la chaîne de soutien externe, notamment dans les fournitures en munitions de précision, pièces détachées, carburant militaire spécialisé et médicaments. Plusieurs rapports suggèrent que les livraisons américaines, bien que maintenues, sont désormais sujettes à conditionnalité politique.
La critique grandissante de la campagne israélienne dans certains cercles du Congrès américain, ainsi qu’au sein de l’opinion publique européenne, impose des limites à l’intensification militaire. Ces contraintes affectent aussi la planification : certaines opérations initialement prévues auraient été suspendues faute de garanties logistiques suffisantes.
Un conflit figé sur le terrain
L’addition de ces facteurs crée une dynamique d’enlisement. L’armée israélienne ne parvient pas à atteindre ses objectifs déclarés de « destruction totale des capacités militaires du Hamas », tandis que l’organisation islamiste conserve sa résilience. Les frappes se poursuivent, mais les gains territoriaux se réduisent à des zones partiellement dévastées.
Le conflit tend désormais à se figer dans une logique de cycle : phase offensive, retour du Hamas dans les poches vides, nouvelle opération, sans avancée décisive. Cette logique épuise les ressources israéliennes tout en renforçant le récit de résistance du Hamas.
Scénarios de sortie et options futures
À ce stade, plusieurs options s’offrent à Israël. La première consisterait à maintenir une présence militaire partielle dans certaines zones, tout en misant sur un redéploiement tactique et une guerre d’usure. Cette option prolonge le conflit sans le résoudre.
La seconde impliquerait une intensification massive des frappes et une occupation prolongée, mais elle nécessiterait une logistique renforcée que l’État-major ne peut garantir sans une mobilisation partielle supplémentaire.
La troisième, plus politique, viserait à externaliser la gestion de Gaza à une autorité arabe ou internationale après un retrait partiel. Mais cette hypothèse reste très incertaine en l’absence de relais stables.
Quel que soit le scénario retenu, l’élément logistique apparaît désormais comme un facteur stratégique central. Sans solution claire à cette érosion des moyens et des hommes, l’armée israélienne risque de s’enfoncer dans une guerre sans issue claire ni horizon opérationnel défini.