
Un second trimestre scolaire gravement perturbé
Le système éducatif libanais traverse l’une de ses pires crises depuis la fin de la guerre civile. Selon les dernières informations, près de 400 écoles publiques n’ont pas rouvert leurs portes depuis le début du deuxième trimestre scolaire. En cause, une combinaison de défaillances structurelles : absence de financement pour les services de base, désengagement de l’État et exode massif des enseignants.
Dans de nombreuses régions du pays, les établissements scolaires manquent des conditions minimales pour fonctionner. L’électricité et l’eau, nécessaires à l’accueil des élèves, font cruellement défaut. À Tripoli, Tyr ou encore dans la Békaa, plusieurs directeurs témoignent de leur impuissance à assurer les cours dans des locaux insalubres, sans ventilation, sans lumière, ni sanitaires opérationnels. Les tentatives d’aménagements alternatifs – réduction des horaires, regroupement de classes – n’ont permis que de retarder les fermetures.
Les parents, déjà confrontés à la dégradation du pouvoir d’achat, n’ont souvent pas les moyens de transférer leurs enfants dans des établissements privés. Cette situation crée une rupture flagrante dans l’égalité d’accès à l’éducation, exacerbant les inégalités sociales et territoriales.
Une hémorragie silencieuse du personnel enseignant
Parallèlement aux problèmes d’infrastructure, le système public fait face à une désertion inquiétante de ses enseignants. Depuis la crise économique de 2019, les rémunérations dans le secteur éducatif public ont perdu près de 80 % de leur valeur réelle. Le salaire moyen d’un professeur ne permet plus de couvrir les besoins élémentaires d’un foyer, obligeant de nombreux enseignants à chercher des emplois alternatifs, parfois à l’étranger.
Ce phénomène d’ »enseignants fantômes », absents mais non remplacés, désorganise complètement la continuité pédagogique. Des matières fondamentales comme les mathématiques, les sciences ou l’anglais ne sont plus enseignées dans plusieurs établissements faute d’enseignants qualifiés. Les remplacements ponctuels, lorsqu’ils ont lieu, se font à la hâte, sans préparation suffisante, ni outils pédagogiques adéquats.
Des responsables syndicaux déplorent l’absence d’un plan national de fidélisation des enseignants. Les promesses gouvernementales de révision salariale ou de versement de primes d’incitation ne se sont traduites par aucun engagement budgétaire réel à ce jour.
Le secteur privé : solution de secours ou facteur de clivage ?
Face à la paralysie du secteur public, les initiatives privées se multiplient. Des ONG locales, des fondations étrangères, voire des groupes religieux financent des structures parallèles de formation et d’accueil scolaire. Dans certains quartiers de Beyrouth ou de Saïda, des centres communautaires dispensent un enseignement rudimentaire, parfois sous tente ou dans des locaux improvisés.
Si ces initiatives permettent d’assurer un minimum de continuité pour quelques centaines d’enfants, elles ne sauraient remplacer un système national structuré. De plus, elles renforcent la fragmentation du paysage éducatif, où l’accès à une scolarisation de qualité dépend désormais du réseau d’appartenance ou du soutien extérieur.
Le secteur privé traditionnel, lui aussi, est fragilisé. De nombreuses écoles, confrontées à la dévaluation de la livre libanaise, réclament les frais de scolarité en devises étrangères. Ce choix, motivé par la nécessité de conserver leur personnel et leurs infrastructures, exclut de facto une partie croissante de la population. Le risque d’un système éducatif à deux vitesses se précise chaque jour davantage.
Les élèves, victimes silencieuses de la crise
Les conséquences de cette situation sur les élèves sont considérables. L’absentéisme augmente, les abandons scolaires se multiplient. Dans les zones rurales, des familles renoncent à envoyer leurs enfants à l’école pour des raisons économiques ou logistiques. À cela s’ajoute l’impact psychologique d’une scolarité instable : perte de motivation, décrochage, anxiété.
Des témoignages recueillis dans plusieurs écoles fermées font état d’enfants livrés à eux-mêmes, passant leurs journées dans la rue ou devant des écrans, sans accompagnement éducatif. Certains élèves, privés de l’environnement scolaire, sont exposés à des risques accrus d’exploitation économique ou de recrutement par des groupes criminels.
Les enseignants encore en poste évoquent un effondrement du niveau général. L’absence de cours réguliers, le manque de manuels, l’interruption des examens officiels sapent la crédibilité de tout le système. À terme, c’est l’ensemble du pays qui sera affecté par une génération privée des outils de base de la citoyenneté et de l’insertion professionnelle.
Absence de politique éducative cohérente
Le ministère de l’Éducation, confronté à une crise budgétaire majeure, peine à proposer une stratégie lisible. Les rares tentatives de réforme – digitalisation partielle, renforcement de la formation continue – restent embryonnaires. Les programmes d’aide internationale, bien que présents, sont fragmentés et mal coordonnés. Les appels à l’élaboration d’un plan d’urgence pour sauver l’année scolaire n’ont pas reçu de réponse institutionnelle claire.
Les négociations avec les bailleurs internationaux sont ralenties par l’instabilité politique générale. De nombreux donateurs conditionnent leur aide à des engagements de transparence et de bonne gouvernance, qui tardent à se matérialiser. Dans ce contexte, les besoins immédiats – réhabilitation des écoles, paiement des salaires, fourniture de matériel – ne trouvent pas de financements pérennes.
Les experts éducatifs soulignent qu’au-delà de la réponse d’urgence, c’est une refonte en profondeur du modèle éducatif libanais qui s’impose. Cela inclut la revalorisation du statut des enseignants, l’investissement dans les infrastructures, la dépolitisation de la gestion scolaire, et une vision inclusive à long terme.