Au Liban, la scène culturelle a longtemps été un espace de liberté et de diversité, où les artistes pouvaient s’exprimer sur des sujets sensibles, allant de la politique aux questions sociétales. Pourtant, ces dernières années, la censure s’est renforcée, menaçant la liberté de création et mettant en lumière les pressions exercées par les autorités et certains groupes conservateurs. Entre interdictions de concerts, suppression de films et restrictions sur des œuvres d’art, la question de la liberté artistique est devenue un sujet brûlant.
Des interdictions culturelles de plus en plus fréquentes
Depuis 2019, plusieurs spectacles, expositions et productions cinématographiques ont été censurés ou annulés sous pression. Le dernier exemple en date est le concert de Mashrou’ Leila, qui a failli être annulé après des appels à l’interdiction par des groupes conservateurs. En 2023, le film « Barbie » avait été interdit de projection en raison de scènes jugées contraires aux « valeurs familiales ».
Le Bureau de la censure au sein de la Sûreté Générale, chargé d’examiner les œuvres avant leur diffusion, a durci ses restrictions. Selon Al Akhbar (7 février 2025), le nombre de films interdits ou modifiés avant leur sortie a augmenté de 40 % ces trois dernières années. De nombreux réalisateurs dénoncent un climat d’incertitude, où il devient difficile d’aborder des sujets liés aux libertés individuelles, à la critique politique ou à la religion.
Le théâtre et la littérature sous surveillance
Le théâtre n’est pas épargné par cette vague de censure. La pièce « Beyrouth, fragments d’une ville », actuellement jouée à l’Institut Français du Liban, a fait l’objet de pressions pour modifier certaines répliques jugées trop critiques envers l’État. Selon Al Joumhouriyat (7 février 2025), les organisateurs ont reçu des avertissements de la part de responsables politiques, les enjoignant à éviter certains thèmes sensibles.
Dans le domaine littéraire, plusieurs ouvrages ont été bannis des librairies ou retirés des salons du livre. En 2024, un recueil de poésie évoquant la crise économique et les manifestations de 2019 avait été interdit d’exposition lors du Salon du Livre de Beyrouth. Al Nahar (7 février 2025) souligne que ces restrictions sont souvent imposées par des groupes influents, qui exercent des pressions sur les institutions culturelles et les distributeurs.
Qui contrôle la censure au Liban ?
La censure au Liban repose sur plusieurs mécanismes de contrôle. Le Bureau de la Sûreté Générale a le pouvoir d’interdire, modifier ou limiter la diffusion d’une œuvre, en invoquant des motifs de sécurité nationale, de moralité publique ou d’atteinte aux valeurs religieuses.
Cependant, dans de nombreux cas, ces interdictions ne viennent pas directement de l’État, mais de groupes religieux ou politiques qui, par leurs protestations, contraignent les organisateurs à annuler des événements culturels par crainte de représailles. En 2022, une pièce de théâtre abordant l’athéisme et la liberté de conscience avait dû être annulée après des menaces de groupes extrémistes, sans qu’aucune mesure ne soit prise pour protéger les organisateurs.
Les artistes résistent malgré les restrictions
Malgré ces pressions, de nombreux artistes continuent de défier la censure. Certains réalisateurs choisissent de diffuser leurs films à l’étranger ou en ligne, échappant ainsi au contrôle des autorités locales. Al Sharq Al Awsat (7 février 2025) rapporte que plusieurs cinéastes libanais ont présenté leurs œuvres dans des festivals internationaux, où ils abordent des sujets souvent impossibles à traiter dans leur propre pays.
Dans le domaine musical, des artistes indépendants contournent les interdictions en organisant des concerts privés ou en diffusant leurs créations sur des plateformes numériques hors de portée de la censure. Al Liwa’ (7 février 2025)note que les réseaux sociaux sont devenus un espace incontournable pour les artistes cherchant à exprimer librement leurs idées.
Un avenir incertain pour la liberté artistique
L’évolution de la censure au Liban inquiète de nombreux acteurs culturels. Alors que le pays était autrefois un centre de création artistique reconnu dans le monde arabe, les restrictions actuelles risquent d’entraîner un appauvrissement de la scène culturelle et un exode des talents. Al Bina’ (7 février 2025) souligne que de plus en plus d’artistes libanais s’installent à l’étranger, faute de pouvoir travailler librement dans leur pays.
Les défenseurs de la liberté d’expression appellent à une réforme des lois sur la censure, afin de garantir un cadre plus transparent et moins restrictif. Cependant, sans une volonté politique forte, la tendance actuelle risque de se renforcer plutôt que de s’atténuer.