Ce dimanche, Elias Khoury, l’un des plus grands écrivains libanais contemporains et fervent défenseur de la cause palestinienne, est décédé à l’âge de 76 ans des suites d’une longue maladie à Beyrouth. Son départ marque la fin d’une époque pour la littérature arabe et le paysage intellectuel du Moyen-Orient. Né en 1948 à Beyrouth, Khoury s’est illustré par la richesse de son œuvre, où les thèmes de la mémoire, de la guerre et de l’exil occupent une place centrale, ainsi que par son engagement indéfectible pour la justice et la dignité humaine.
Un conteur de l’exil et de l’identité
Elias Khoury n’a jamais dissocié la littérature de l’engagement. Pour lui, les mots étaient une arme douce mais puissante, capable de transcender les frontières et de relier les souffrances humaines au-delà des géographies et des époques. Ses récits d’exil, tels que La Porte du Soleil (2002), sont devenus des classiques pour quiconque cherche à comprendre les complexités du déplacement forcé, de l’aliénation et du désir désespéré de retour. Avec un style poétique et une profondeur émotionnelle rare, il a donné voix à ceux que l’histoire a réduits au silence, notamment en Palestine, mais aussi dans d’autres régions où la douleur de l’exil est vécue.
La Porte du Soleil, chef-d’œuvre incontesté, raconte la tragédie de la Nakba, cet événement fondateur qui a vu des milliers de Palestiniens contraints de quitter leurs terres lors de la création de l’État d’Israël en 1948. Ce roman épique a été adapté au cinéma par le réalisateur égyptien Yousri Nasrallah, renforçant encore l’impact de cette œuvre poignante sur la conscience collective. Khoury y tisse de multiples histoires personnelles qui convergent vers une quête de sens et de justice, rendant hommage à la tragédie palestinienne.
Un engagement profond pour la cause palestinienne
Khoury s’est très tôt engagé pour la cause palestinienne, une lutte qu’il considérait comme une cause universelle. De 1975 à 1979, il a été rédacteur en chef de La revue d’études palestiniennes, aux côtés de figures emblématiques comme Mahmoud Darwich, avec qui il a partagé cette vision d’une culture au service de la résistance. Ce rôle lui a permis de s’imposer comme une voix majeure dans la défense des droits du peuple palestinien, une cause qu’il n’a jamais cessé de soutenir tout au long de sa vie.
Outre La Porte du Soleil, Khoury a abordé la question palestinienne dans plusieurs de ses autres romans, notamment dans la trilogie Les Enfants du Ghetto, où il explore les conséquences humaines de l’exil et de la violence. Ses récits, poignants et empreints de compassion, témoignent de son engagement pour les opprimés, tout en offrant des réflexions profondes sur la mémoire et l’identité.
Une vision complexe de la guerre civile libanaise
Si la Palestine était au cœur de ses préoccupations, le Liban, son pays natal, occupait une place tout aussi centrale dans son œuvre. Khoury a également chroniqué les affres de la guerre civile libanaise, qui a ravagé Beyrouth et ses habitants de 1975 à 1990. Dans des œuvres telles que La Petite Montagne ou Yalo, il dépeint une ville déchirée, où se côtoient violence, espoir et survie. Ses récits révèlent la déshumanisation progressive de Beyrouth et la complexité des conflits internes qui ont marqué plusieurs générations de Libanais.
Contrairement à de nombreux récits qui se concentrent uniquement sur la violence visible, Khoury a exploré les zones grises du conflit, les traumatismes psychologiques et les divisions internes qui ont marqué la société libanaise. Ses personnages, souvent brisés et désillusionnés, incarnent la souffrance de la guerre, tout en cherchant à réinventer leur propre identité dans un environnement marqué par la violence et l’injustice.
Un homme de lettres et de culture
Elias Khoury n’était pas seulement un romancier ; il était aussi un intellectuel public dont la plume acérée et les prises de position courageuses ont souvent alimenté le débat politique et culturel. Son passage à la tête de la section culturelle des journaux libanais As-Safir et An-Nahar a marqué une époque, durant laquelle il a promu une vision critique des événements qui secouaient le Liban et le monde arabe. Il a également enseigné dans des universités prestigieuses telles que Columbia aux États-Unis, partageant avec les étudiants sa vision de la littérature comme outil de résistance et de transformation sociale.
Tout au long de sa carrière, Khoury a défendu l’idée que l’art et la littérature pouvaient jouer un rôle crucial dans les luttes politiques et sociales. Son engagement pour la justice et son refus des idéologies simplistes ont fait de lui une figure incontournable du monde littéraire arabe et international.
Un dernier souffle littéraire
Malgré la maladie qui l’affligeait, Elias Khoury n’a jamais cessé d’écrire. Jusqu’à ses derniers jours, il a continué à exprimer sa solidarité avec les Palestiniens et à dénoncer les injustices à travers ses écrits. En juillet dernier, depuis son lit d’hôpital, il publiait un article poignant intitulé Une année de douleur, dans lequel il évoquait les souffrances de Gaza sous les bombardements et la résilience du peuple palestinien. « Gaza et la Palestine sont pilonnées de façon sauvage depuis près d’un an et résistent. C’est un modèle qui m’apprend chaque jour à aimer la vie », écrivait-il.
Un héritage impérissable
Avec la disparition d’Elias Khoury, le Liban et le monde arabe perdent une voix littéraire d’une profondeur rare. Son œuvre, traduite dans de nombreuses langues, continuera de résonner bien au-delà des frontières et des générations. Khoury laisse derrière lui un héritage monumental, où se mêlent réflexion historique, engagement politique et exploration intime des identités brisées par la guerre et l’exil.
Son œuvre et sa vie demeureront une source d’inspiration pour tous ceux qui croient que la littérature peut être un acte de résistance, un moyen de comprendre le monde et de contribuer à le transformer. Elias Khoury nous laisse en héritage une leçon inestimable : celle de l’importance de la mémoire, de la justice et de la dignité humaine dans un monde en quête de sens.