dimanche, mars 23, 2025

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Le secteur bancaire libanais en crise – Vers une restructuration partielle ?

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Une crise qui paralyse l’économie

Le secteur bancaire libanais, autrefois vanté comme la « Suisse du Moyen-Orient », traverse un effondrement historique. Depuis octobre 2019, les banques ont cadenassé l’accès aux dépôts en dollars, transformant les économies de millions de Libanais en mirages inatteignables. La livre libanaise, stable à 1507 LBP pour 1 dollar avant la crise, s’échange à plus de 120 000 LBP sur le marché parallèle en mars 2025, une chute de 98 % selon la Banque du Liban (BDL). Plus de 60 % des dépôts – 170 milliards de dollars avant 2019 – restent gelés, comme le souligne un rapport de la Banque mondiale (2024). Les retraits, limités à 100 dollars par mois dans le meilleur des cas, ont pulvérisé la confiance dans un système qui fut un pilier régional, plongeant le pays dans une précarité sans précédent.

Prenez Leila, 45 ans, professeure à Beyrouth. Ses 50 000 dollars d’économies, amassés sur 20 ans, sont prisonniers depuis 2019. Avec 150 dollars mensuels au taux parallèle, elle couvre à peine une semaine de nourriture dans une ville où l’inflation dépasse 200 % (UNICEF, 2024). Comme elle, 82 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, victimes d’un système bancaire qui ne rend plus ce qu’on lui confie. Cette crise, fruit de décennies de corruption, d’une dette publique écrasante (170 % du PIB en 2019), et d’une gestion désastreuse, asphyxie l’économie, paralyse les entreprises et brise les foyers.

Les scénarios de restructuration envisagés

Face à ce gouffre, le gouvernement et la Banque du Liban explorent une restructuration bancaire. Les pertes, estimées entre 70 et 100 milliards de dollars par le Fonds Monétaire International (FMI) en 2022, exigent des mesures drastiques. Mais ces options, souvent qualifiées de pansements temporaires, ne résolvent pas le problème de fond : elles repoussent seulement l’épuisement total des liquidités prévu pour 2026, selon une projection interne de la BDL. Voici les scénarios envisagés.

Un « haircut » sur les grands dépôts est sur la table. Cette coupe ponctionnerait une part des fonds des déposants les plus riches – ceux dépassant 100 000 dollars, environ 10 % des comptes – pour alléger les passifs des banques. Un projet de 2020 évoquait un haircut de 50 % sur les dépôts supérieurs à 500 000 dollars (ministère des Finances). Mais cette mesure ne ferait que gagner du temps face à la crise de liquidités imminente en 2026, sans traiter les racines du mal – corruption et dettes – et elle est politiquement explosive, ciblant des épargnants déjà trahis.

Une autre piste est un fonds souverain financé par les actifs publics. Télécommunications (OGERO, Alfa), ports, aéroports et réserves de gaz offshore – que l’Association des banques libanaises (ABL) valorise à 40 milliards de dollars en s’appuyant sur une estimation optimiste de la Banque mondiale (2023) – serviraient à absorber les pertes. Cependant, l’économiste Albert Kostanian, dans son rapport de 2021 pour l’Issam Fares Institute, conteste cette évaluation, la jugeant gonflée. Il estime les actifs disponibles à seulement 10-15 milliards de dollars, en raison de la dégradation des infrastructures, de l’absence d’exploitation concrète du gaz offshore, et d’une gestion inefficace. Cette solution, au mieux, ne ferait que repousser l’échéance de 2026 en bradant des ressources nationales, tout en risquant d’être engloutie par la corruption dans un pays classé 154e sur 180 à l’indice de perception de la corruption 2023.

Enfin, une recapitalisation progressive des banques est évoquée. L’objectif ? Attirer des investisseurs étrangers et forcer les actionnaires à injecter des fonds. L’Association des banques libanaises (ABL) estimait en 2022 un besoin de 20 milliards de dollars. Mais cette approche partielle ne règle que l’urgence de liquidités à court terme, pas la crise systémique. L’instabilité politique et économique – vide présidentiel depuis 2022, conflits frontaliers – décourage tout investisseur sérieux.

Ces restructurations partielles, au mieux, achètent du temps jusqu’en 2026, quand les réserves en devises, déjà à 8 milliards de dollars, s’épuiseront totalement. Sans un accord complet avec le FMI, elles ne sont qu’un sparadrap sur une hémorragie.

Une opposition forte à la réforme du secteur bancaire

Toute tentative de restructuration se heurte à un mur d’opposition. Les élites économiques et politiques, architectes du désastre, défendent leurs privilèges. Les grandes familles bancaires – Audi, SGBL, Blom – rejettent le haircut, qui amputerait leurs fortunes, souvent exfiltrées à l’étranger. Selon Global Financial Integrity (2023), 40 milliards de dollars ont fui le Liban entre 2010 et 2020, vers la Suisse ou les Émirats. Ces clans, liés aux partis confessionnels (Hezbollah, Forces libanaises), bloquent toute transparence.

Les déposants, eux, sont à cran. Après cinq ans sans accès à leurs fonds, ils refusent de nouvelles pertes. « Mes 30 000 dollars sont bloqués, et ils veulent encore me voler ? » s’insurge Samir, 52 ans, commerçant à Tripoli, lors d’une manifestation devant la BDL en février 2025. L’impunité des responsables – aucun banquier ou politicien jugé – attise la rage populaire.

Les investisseurs étrangers, eux, restent à distance. « Sans garanties, pas un centime », avertit un analyste de Bloomberg en janvier 2025. Les audits demandés et la fin de la corruption sont des chimères dans un pays paralysé par les divisions. Ainsi, les banques stagnent : retraits limités, taux multiples (jusqu’à 10 en 2024), et une inflation qui ronge tout.

L’impact de la crise bancaire sur l’économie libanaise

L’effondrement bancaire contamine chaque secteur. Les entreprises, privées de crédits, agonisent. Les prêts, à 20 milliards de dollars par an avant 2019, sont tombés à 1 milliard en 2023 (Banque du Liban). Les PME, 90 % du tissu économique selon la Chambre de commerce de Beyrouth, ferment en masse : 25 000 disparues depuis 2019. Hassan, 38 ans, imprimeur à Saïda, a fermé en 2022 : « Sans prêt, pas de papier, pas de business. »

Les commerçants et artisans trinquent aussi. Avec un dollar à 120 000 LBP, les importations – 80 % des biens – coûtent une fortune. Un sac de riz ? 300 000 LBP (2,5 dollars), contre 1 500 LBP en 2019. Le pouvoir d’achat, amputé de 90 % (UNDP, 2024), vide les souks.

Les expatriés, lifeline avec 7 milliards de dollars annuels (Banque du Liban, 2023), sont entravés. « J’envoie 500 dollars, ma mère reçoit 50 dollars », se lamente Rima, infirmière à Dubaï. Ces blocages dopent l’économie informelle – troc, cash – au détriment d’un système viable.

Un accord avec le FMI comme seule solution ?

Seul un accord complet avec le FMI peut sauver le Liban. Négocié depuis 2020, il promet 3 milliards de dollars, mais exige des réformes radicales : audit bancaire, unification du taux de change, lutte contre la corruption. Une solution partielle – fonds d’urgence ou recapitalisation limitée – ne ferait que repousser l’épuisement des liquidités en 2026, sans guérir le mal. Le FMI insiste : un plan global est non négociable (Reuters, 2022).

Riad Salamé, ex-gouverneur de la BDL remplacé en 2023, a laissé des réserves à 8 milliards de dollars, contre 35 milliards en 2019. Wassim Mansouri, son successeur, bataille pour restaurer la confiance, mais les partis – Hezbollah, Amal – bloquent tout. « Sans accord total, pas de salut », prévient un économiste de l’Université Américaine de Beyrouth (AUB).

Une situation qui pourrait encore s’aggraver

Sans réforme complète, le pire guette. L’hyperinflation, à 200 % en 2024, pourrait bondir à 500 %, rendant la livre obsolète. Les investissements étrangers, déjà à 1 milliard contre 10 en 2018 (UNCTAD), s’effaceraient. Un système dollarisé parallèle émergerait, tuant la souveraineté financière (Banque mondiale, 2024).

La restructuration partielle n’est qu’un sursis jusqu’en 2026, pas une solution. Seule une entente complète avec le FMI peut rebâtir le système. Mais la corruption – 40 % des fonds détournés selon Transparency International – et l’inaction politique étouffent l’espoir. Les Libanais, eux, endurent une crise parmi les pires au monde, sans lumière au bout du tunnel.

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Newsdesk Libnanews
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1 COMMENTAIRE

  1. Votre article ne fait que dénigrer (à juste titre) souligner les problèmes mais n’apporte aucun élément nouveau. Ni une solution suggérée par vos soins , ni une prévision sur ce qui semble se tramer pour résoudre le problème. Merci de nous rappeler que le pays est corrompu est ruiné et pas besoin d’un article pour ça.

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