L’influence des créateurs de contenu et des plateformes numériques dans le paysage médiatique libanais
Le paysage médiatique libanais connaît une transformation radicale, portée par l’essor des créateurs de contenu numérique et des plateformes alternatives. Face à la crise des médias traditionnels et à la montée de la méfiance envers les grandes chaînes et journaux historiques, les influenceurs politiques, les journalistes digitaux et les analystes indépendants occupent aujourd’hui une place centrale dans la formation de l’opinion publique.
Avec l’effondrement économique du Liban et la détérioration de la crédibilité des médias classiques, de plus en plus de citoyens se tournent vers les plateformes numériques, considérées comme plus interactives, plus accessibles et moins influencées par les intérêts politiques. Cette transition est renforcée par la montée des formats digitaux, qui permettent une consommation rapide et dynamique de l’information.
Le développement des technologies de communication mobile et de l’internet haut débit a joué un rôle clé dans cette mutation. Aujourd’hui, plus de 80 % des Libanais utilisent les réseaux sociaux comme source principale d’information, un phénomène qui a changé la relation entre les producteurs de contenu et leur audience. Contrairement aux médias traditionnels qui imposaient une diffusion unidirectionnelle de l’information, les plateformes numériques offrent un espace interactif, où les utilisateurs peuvent commenter, poser des questions et même participer aux débats.
Grâce aux réseaux sociaux comme Instagram, TikTok et Twitter, ces nouvelles figures médiatiques parviennent à toucher une audience plus large et plus jeune, en proposant des analyses accessibles, des vidéos courtes et des formats interactifs. Selon Al Quds (9 février 2025), les créateurs de contenu numériques attirent désormais plus d’engagement que certaines émissions télévisées, devenant ainsi des acteurs incontournables du débat politique.
Des influenceurs qui bousculent le journalisme classique
Le journalisme libanais, longtemps dominé par les grandes chaînes de télévision et les journaux historiques, doit aujourd’hui composer avec une nouvelle génération de créateurs de contenu numérique qui gagnent rapidement en influence. Ces derniers, souvent issus de milieux variés, ne sont pas nécessairement des journalistes de formation, mais leur capacité à vulgariser l’actualité, à analyser les événements politiques et à interpeller directement l’opinion publique leur confère une place de plus en plus centrale dans l’espace médiatique.
Contrairement aux médias traditionnels, ces influenceurs n’opèrent pas dans des rédactions structurées avec des lignes éditoriales rigides. Ils travaillent de manière indépendante, souvent depuis leurs domiciles ou leurs propres studios, et publient directement sur les réseaux sociaux, sans passer par les canaux classiques de diffusion de l’information. Cela leur permet une réactivité immédiate face à l’actualité et une proximité plus forte avec leur audience, qui peut réagir et interagir en temps réel.
Certains influenceurs se sont spécialisés dans l’analyse politique, publiant des vidéos où ils commentent les décisions gouvernementales, les scandales de corruption et les crises économiques. D’autres adoptent une approche plus participative, invitant leur audience à poser des questions et à orienter les sujets traités. Cette interaction permanente donne aux influenceurs un pouvoir inédit : non seulement ils informent, mais ils façonnent également les débats publics, en mettant en avant des sujets souvent négligés par les médias traditionnels.
Parmi les figures les plus influentes, on retrouve des journalistes reconvertis comme Jad Ghosn, qui a quitté les médias classiques pour produire des analyses politiques indépendantes, diffusées largement sur YouTube et Twitter. Lucien Bourjeily, connu pour son engagement dans la société civile, utilise les plateformes numériques pour sensibiliser sur les problématiques de gouvernance et de droits civiques. Enfin, des collectifs comme Megaphone adoptent une approche éditoriale radicalement différente, combinant graphisme, vidéo et analyse critique pour proposer un journalisme plus accessible et percutant.
Cette mutation des médias traditionnels vers les créateurs de contenu numérique s’inscrit dans un mouvement plus global de décentralisation de l’information, où le public joue un rôle actif dans la diffusion et l’amplification des contenus via les partages et les commentaires sur les réseaux sociaux.
Les plateformes numériques : un nouvel espace d’expression médiatique
L’essor des réseaux sociaux au Liban ne s’est pas limité à un simple changement de support pour l’information. Il a entièrement transformé le paysage médiatique, en offrant aux créateurs de contenu un espace où ils peuvent contourner les contraintes des médias traditionnels et atteindre directement leur audience. Grâce à la démocratisation de l’accès à Internet et la généralisation des smartphones, ces plateformes sont devenues les nouveaux centres de production et de diffusion de l’actualité.
Instagram et TikTok se sont imposés comme les canaux privilégiés pour la diffusion rapide de l’information, notamment auprès des jeunes générations qui consomment les actualités sous forme de vidéos courtes et percutantes. Contrairement aux médias traditionnels, qui imposent un format structuré et des temps d’antenne précis, ces réseaux permettent une flexibilité totale, où les créateurs de contenu peuvent réagir instantanément aux événements politiques et économiques. Une simple vidéo de 30 secondes à 3 minutes peut suffire à exposer un scandale politique ou à vulgariser une crise économique, rendant l’information plus accessible et plus engageante.
Twitter (X), quant à lui, est devenu le centre névralgique des débats politiques et des « breaking news ». C’est sur cette plateforme que les analystes indépendants, les journalistes digitaux et les militants publient leurs opinions, diffusent des documents exclusifs et commentent en temps réel les décisions du gouvernement ou les grands événements nationaux. Ce format a donné naissance à une nouvelle dynamique du débat public, où chaque utilisateur peut questionner directement les décideurs politiques, interpeller les médias et réagir aux enquêtes publiées.
Les podcasts et émissions en ligne ont également connu une croissance fulgurante, offrant des analyses approfondies dans un format plus long et interactif. Des émissions comme « The Lebanese Podcast » ou « Sarde After Dinner »permettent aux journalistes et intellectuels libanais de débattre librement de sujets sensibles, sans être interrompus par des coupures publicitaires ou des restrictions éditoriales imposées par les chaînes traditionnelles. Ce format séduit un public en quête d’analyses plus détaillées et d’un ton moins formel que celui des talk-shows classiques.
Grâce à cette diversité de formats, les plateformes numériques ont permis de démocratiser l’accès à l’information, tout en favorisant une interaction plus directe avec l’audience. Le public n’est plus simplement spectateur, mais devient acteur de l’actualité, pouvant réagir, poser des questions et participer à la propagation des informations.
L’impact des influenceurs sur l’opinion publique et la politique
L’émergence des influenceurs dans l’espace médiatique libanais ne se limite pas à la diffusion d’informations alternatives. Ces nouvelles figures médiatiques jouent un rôle direct dans la formation de l’opinion publique, et leur impact dépasse aujourd’hui celui des médias traditionnels dans certains segments de la population, en particulier chez les jeunes et la diaspora libanaise. Grâce à leur proximité avec leur audience et à leur réactivité face aux événements, ils influencent les perceptions, les débats politiques et parfois même les décisions gouvernementales.
Depuis le soulèvement d’octobre 2019, les créateurs de contenu engagés ont redéfini les modes d’action politique au Liban. En dénonçant la corruption, l’inaction gouvernementale et les injustices sociales, certains influenceurs ont réussi à galvaniser des mouvements de contestation, attirant l’attention internationale sur les dysfonctionnements du système politique libanais. Cette capacité à mobiliser en quelques heures par le biais d’une simple vidéo ou d’un post viral sur Twitter a fait d’eux des acteurs clés du militantisme numérique.
Lors des élections législatives de 2022 et 2024, leur influence a été encore plus flagrante. Des candidats issus du mouvement de contestation ont pu accéder au Parlement en grande partie grâce à une campagne numérique massive menée par des influenceurs et des médias indépendants. Contrairement aux partis traditionnels, qui s’appuient sur des réseaux clientélistes et des médias affiliés, ces nouvelles figures du débat public ont permis de contourner la propagande classique, en exposant les pratiques douteuses des élites politiques et en mettant en avant des alternatives crédibles.
Cependant, cette montée en puissance des influenceurs soulève des inquiétudes et des dérives potentielles. L’absence de régulation stricte sur les contenus diffusés en ligne a facilité la propagation de fausses informations et de théories du complot, parfois relayées par des créateurs peu scrupuleux cherchant à générer de l’engagement à tout prix. Certains analystes mettent également en garde contre la politisation excessive de l’espace numérique, où certains influenceurs deviennent des figures partisanes déguisées, instrumentalisées par des acteurs politiques ou financiers pour orienter les débats publics.
Face à ces défis, les plateformes numériques et les créateurs de contenu eux-mêmes doivent renforcer les mécanismes de vérification de l’information et adopter une éthique journalistique plus rigoureuse, sous peine de voir leur crédibilité et leur impact durablement entachés.
Vers un nouvel équilibre entre médias classiques et journalisme numérique ?
Si les médias traditionnels continuent d’occuper une place centrale dans le paysage médiatique libanais, ils doivent désormais composer avec la montée en puissance du journalisme numérique et des influenceurs. Cette transformation ne signifie pas nécessairement la disparition des journaux et des chaînes de télévision, mais plutôt une répartition différente du pouvoir médiatique, où l’information devient plus fragmentée, interactive et rapide.
Certaines chaînes de télévision et journaux ont déjà amorcé une transition numérique, tentant d’adopter les codes des réseaux sociaux pour ne pas être totalement dépassés. Des médias historiques comme L’Orient-Le Jour et MTV Liban ont renforcé leur présence en ligne, en publiant des vidéos courtes sur Instagram et TikTok, et en développant des podcasts et des articles d’analyse adaptés au format mobile. Cependant, cette mutation se heurte à des défis structurels, car ces médias restent fortement dépendants de financements traditionnels et de modèles économiques vieillissants.
Le plus grand défi pour les créateurs de contenu et les médias numériques est leur viabilité financière à long terme. Contrairement aux médias classiques, qui bénéficient de financements privés, de revenus publicitaires et de soutiens politiques, les plateformes indépendantes doivent souvent compter sur le crowdfunding, les abonnements payants et les partenariats avec des ONG. Certains influenceurs et journalistes digitaux ont réussi à monétiser leur audience via des plateformes comme Patreon et YouTube, mais ces modèles restent fragiles et peu rentables sur le long terme.
Un autre enjeu majeur réside dans la régulation de l’espace numérique. Si les médias classiques sont soumis à des lois sur la diffamation et la déontologie journalistique, les créateurs de contenu évoluent dans un cadre plus flou, où les fake news et la désinformation peuvent se propager rapidement. Cette situation pousse de plus en plus de journalistes indépendants à structurer leurs plateformes, en intégrant des équipes de fact-checking et des codes éthiques inspirés du journalisme classique, afin de gagner en crédibilité et en influence durable.
Dans ce contexte, l’avenir du journalisme au Liban pourrait être marqué par une coexistence entre les anciens et les nouveaux médias, où les journalistes traditionnels adopteraient les outils du numérique, tandis que les créateurs de contenu gagneraient en professionnalisation et en rigueur éditoriale. Une convergence de ces modèles pourrait permettre une information plus équilibrée et plus accessible, tout en garantissant une pluralité des voix et une meilleure transparence dans le débat public.
Le journalisme numérique a déjà prouvé qu’il pouvait transformer l’espace médiatique libanais, en donnant plus de pouvoir au public et en renforçant le rôle du journalisme d’investigation. Toutefois, son avenir dépendra de sa capacité à trouver un modèle économique pérenne et à préserver son indépendance face aux pressions politiques et économiques.