La trajectoire explosive de la dette publique libanaise : chiffres et tendances 2025
En avril 2025, la dette publique du Liban atteint un niveau alarmant de 183 % du PIB, selon les dernières données de la Banque mondiale. Ce ratio place le Liban parmi les cinq pays les plus endettés au monde, aux côtés du Japon et du Soudan. La dette totale dépasse désormais 104 milliards de dollars, dans un contexte de contraction sévère de l’activité économique nationale.
La dynamique de la dette est devenue insoutenable. Le service annuel de la dette représente environ 12 milliards de dollars, soit plus de 40 % des recettes fiscales du pays. La forte dépréciation de la livre libanaise, qui s’échangeait début avril 2025 à 89 000 livres pour un dollar, amplifie mécaniquement le poids de la dette libellée en devises étrangères, qui constitue près de 65 % de l’encours total.
La Banque mondiale alerte sur une dynamique explosive : « Sans restructuration majeure et réforme de fond, la dette publique libanaise est sur une trajectoire incontrôlable. » En 2024, le déficit budgétaire s’est établi à 15,3 % du PIB, l’un des plus élevés du monde, alors que les recettes fiscales ont chuté de plus de 50 % depuis 2019.
Le Liban est ainsi piégé dans un cercle vicieux d’endettement aggravé par l’effondrement des recettes fiscales, la récession économique profonde et l’incapacité à accéder aux marchés internationaux pour refinancer ses obligations.
Analyse des facteurs structurels du surendettement libanais
La crise de la dette publique libanaise est le produit d’une accumulation de déséquilibres structurels sur plusieurs décennies. D’abord, un modèle économique fondé sur la dépendance aux flux de capitaux extérieurs et aux transferts de la diaspora a masqué la faiblesse de la production nationale et de la base fiscale.
Selon le rapport du FMI d’avril 2025, les transferts de la diaspora libanaise, qui représentaient jusqu’à 14 % du PIBavant la crise, ont chuté de moitié, aggravant le déficit de la balance courante. Parallèlement, les entrées d’investissements directs étrangers ont reculé de près de 90 % entre 2019 et 2024.
Le système bancaire libanais, qui finançait historiquement l’État en absorbant massivement ses émissions obligataires, s’est retrouvé fragilisé par l’effondrement de la confiance et l’arrêt des flux de capitaux. Les banques ont consacré jusqu’à 70 % de leurs actifs à la dette souveraine, créant une interdépendance toxique entre l’État et le secteur financier.
La Banque du Liban a, elle aussi, contribué à cette spirale en soutenant artificiellement la parité de la livre libanaise grâce à ses réserves en devises. Environ 30 milliards de dollars de réserves ont ainsi été utilisées pour défendre un taux de change devenu intenable, avant que la banque centrale ne se résigne à abandonner ses interventions.
Enfin, les déséquilibres structurels du budget de l’État ont été aggravés par la corruption endémique et les dépenses inefficaces. Transparency International classe le Liban parmi les pays les plus corrompus de la région, avec des pertes estimées à plus de 4 % du PIB par an liées à la mauvaise gouvernance.
Les conséquences immédiates du défaut de paiement de 2020
Le défaut de paiement déclaré par le Liban en mars 2020 sur une échéance d’eurobonds de 1,2 milliard de dollars a marqué un tournant critique. C’était la première fois dans l’histoire du pays qu’un tel défaut était enregistré. Ce choc a eu des conséquences immédiates et profondes sur la confiance des marchés et des créanciers.
Depuis ce défaut, le Liban est exclu des marchés internationaux de capitaux. L’accès à tout financement extérieur est bloqué, contraignant l’État à compter uniquement sur des financements domestiques très coûteux ou sur des aides extérieures conditionnelles.
La réaction en chaîne a été immédiate. Les agences de notation internationales telles que Standard & Poor’s et Moody’s ont dégradé la dette souveraine libanaise à la catégorie la plus basse, celle des émetteurs en défaut. Cette dégradation a provoqué un gel total des investissements étrangers et une montée de la prime de risque sur toute transaction financière impliquant le Liban.
Les conséquences pour le secteur bancaire ont été tout aussi désastreuses. Les banques, déjà fragilisées par l’illiquidité et l’effondrement des dépôts, ont vu la valeur de leurs avoirs en titres souverains s’effondrer. Le FMI estime que la valeur de marché des eurobonds libanais est tombée à moins de 10 cents par dollar de valeur faciale.
Au niveau domestique, l’État a été contraint de financer ses dépenses courantes par la création monétaire, accentuant la spirale inflationniste. En avril 2025, le taux d’inflation annuel dépasse 250 %, selon la Banque mondiale. Cette hyperinflation a réduit à néant le pouvoir d’achat des ménages et alourdi le fardeau de la dette intérieure indexée sur les devises étrangères.
Les risques de contagion économique et financière
Le surendettement du Liban n’est pas seulement une menace interne. Il comporte des risques systémiques pour l’ensemble de l’économie régionale, compte tenu des interconnexions financières et commerciales.
Le système bancaire libanais était historiquement lié aux flux de capitaux régionaux, en particulier en provenance des pays du Golfe et de la diaspora libanaise installée en Afrique et en Europe. La défaillance de l’État a provoqué une onde de choc dans ces réseaux, avec une contraction drastique des transferts de fonds.
Selon la Banque mondiale, les transferts de la diaspora, qui s’élevaient à plus de 7 milliards de dollars par an avant la crise, ont chuté à environ 3,2 milliards de dollars en 2024. Cette baisse prive l’économie d’une source essentielle de liquidité extérieure.
La contagion se manifeste également sur les marchés du travail régionaux. Près de 450 000 travailleurs libanaisétaient employés dans les pays du Golfe avant la crise. Le ralentissement de l’activité économique et les politiques de nationalisation de la main-d’œuvre mises en œuvre dans ces pays réduisent les perspectives de maintien de ces emplois, affectant les flux de transferts vers le Liban.
Sur le plan domestique, la crise de la dette a des répercussions dévastatrices sur le secteur privé. L’accès au crédit bancaire est pratiquement inexistant. En 2024, le volume des crédits bancaires au secteur privé a chuté de plus de 80 %par rapport à 2018, asphyxiant les entreprises et aggravant la récession.
La fragilité de la dette publique nourrit un cercle vicieux d’instabilité sociale et économique. La détérioration des services publics essentiels – éducation, santé, électricité – alimente la colère populaire et augmente les risques de troubles sociaux majeurs.
Le poids de la dette dans les négociations avec le FMI et les créanciers
La question de la dette publique libanaise est devenue le point central des négociations entre Beyrouth, le Fonds monétaire international (FMI) et les créanciers bilatéraux et multilatéraux. Depuis 2020, plusieurs cycles de discussions ont été menés, sans déboucher sur un accord final. Le nœud du problème réside dans l’évaluation des pertes et dans la répartition des charges entre l’État, les banques, et les détenteurs d’obligations.
Le FMI exige une transparence totale sur l’état des finances publiques et sur les comptes de la Banque du Liban avant d’envisager un quelconque programme de soutien. En avril 2025, l’institution internationale estime que les besoins de financement du Liban pour stabiliser ses finances publiques avoisinent 8 à 10 milliards de dollars par an sur les cinq prochaines années.
Les créanciers privés, principalement détenteurs d’eurobonds, réclament un traitement équitable et transparent. Toutefois, le gouvernement libanais n’a toujours pas soumis de plan crédible de restructuration de la dette, malgré les engagements pris lors des conférences internationales précédentes. La Banque mondiale a souligné dans son dernier rapport que « l’absence de feuille de route claire pour la restructuration de la dette compromet les perspectives d’assistance internationale ».
La réticence de la classe politique à reconnaître l’ampleur des pertes et à entreprendre des réformes impopulaires alimente la méfiance des bailleurs. Nombreux sont ceux qui craignent que toute aide versée au Liban soit dilapidée sans réforme structurelle préalable, comme cela s’est produit avec les précédents plans de soutien.
En parallèle, des négociations sont en cours pour inclure des clauses de développement durable dans le futur processus de restructuration. Le FMI propose ainsi d’adosser une partie des remboursements de la dette à des indicateurs de performance en matière de réforme économique et de lutte contre la corruption. Ce mécanisme vise à garantir que l’aide servira effectivement à redresser le pays et non à alimenter des réseaux d’intérêts privés.
Les scénarios de restructuration de la dette publique libanaise
Face à la gravité de la situation, plusieurs scénarios de restructuration sont envisagés par les experts et les institutions internationales.
Scénario 1 : restructuration en profondeur avec effacement partiel de la dette
Ce scénario repose sur un accord global entre le Liban et ses créanciers pour effacer une part substantielle de la dette. Les estimations du FMI tablent sur la nécessité d’une réduction d’au moins 70 % de la valeur faciale de la dette externe, pour ramener le ratio dette/PIB à un niveau soutenable autour de 90 % du PIB.
Un tel accord permettrait d’alléger immédiatement le fardeau de la dette et de redonner de l’espace budgétaire à l’État. Toutefois, il suppose un engagement clair à des réformes structurelles profondes, sans lesquelles les créanciers refuseraient de consentir un tel effort.
Scénario 2 : étalement des remboursements et moratoire temporaire
Une autre option consiste à négocier un moratoire sur le service de la dette et un étalement des remboursements sur plusieurs décennies. Ce scénario permettrait au Liban de desserrer temporairement l’étau financier, mais il n’allégerait pas la charge globale de la dette, maintenant le pays sous pression permanente.
Scénario 3 : conversion de la dette en projets de développement
Ce scénario plus innovant prévoit la conversion d’une partie de la dette en investissements dans des projets d’infrastructure ou de développement durable. Ce mécanisme, déjà expérimenté dans d’autres pays très endettés, pourrait mobiliser des ressources pour la reconstruction des services publics essentiels, tout en réduisant la pression sur le service de la dette.
Cependant, la réussite de ce scénario dépendrait d’une amélioration substantielle de la gouvernance publique et d’une capacité renforcée à piloter des projets complexes dans la transparence.
Les impacts sociaux et économiques d’une restructuration
Au-delà des équations financières, la restructuration de la dette publique libanaise aura des conséquences majeures sur le tissu social et économique du pays. Chaque scénario de résolution implique des arbitrages douloureux qui pèseront sur les ménages et les entreprises.
En cas d’effacement partiel de la dette, l’État retrouverait une certaine marge de manœuvre budgétaire pour relancer les investissements publics et soutenir les filets sociaux. Cependant, les créanciers exigent des contreparties sévères : réduction des dépenses publiques improductives, augmentation de la fiscalité et réforme du secteur public.
Le ministère des Finances prévoit dans ses scénarios 2025 une hausse progressive de la TVA de 11 % à 15 %, ainsi qu’une extension de la fiscalité à des secteurs jusque-là peu ou pas imposés, notamment l’immobilier et certaines professions libérales. Ces mesures pourraient accroître la pression sur les ménages déjà asphyxiés par la crise, à moins qu’elles ne soient accompagnées de dispositifs de compensation ciblés.
Le marché de l’emploi, déjà sinistré avec un taux de chômage supérieur à 35 %, selon le Bureau central des statistiques libanais, risque de souffrir encore si des mesures d’austérité trop brutales sont mises en œuvre sans soutien social adéquat.
Par ailleurs, une restructuration désordonnée ou partielle de la dette pourrait accentuer la perte de confiance dans les institutions publiques et financières, prolongeant ainsi la fuite des capitaux et l’exode des compétences. Selon la Banque mondiale, plus de 250 000 Libanais qualifiés ont quitté le pays depuis 2019, aggravant la fuite des cerveaux.
Le maintien d’un climat de confiance sera donc déterminant pour limiter les dégâts sociaux de la restructuration. Cela suppose des signaux forts en matière de lutte contre la corruption, de transparence budgétaire et d’équité dans la répartition des efforts de redressement.
La dette publique libanaise à long terme : perspectives et incertitudes
À plus long terme, la viabilité de la dette publique libanaise dépendra étroitement de la capacité du pays à relancer sa croissance économique, à stabiliser sa monnaie et à restaurer la confiance des citoyens et des investisseurs.
Le FMI table sur un retour progressif de la croissance à partir de 2026, avec un taux de croissance potentiel de 3 à 4 % par an, sous réserve d’un accord de restructuration global et de réformes structurelles crédibles. Ce redressement suppose un assainissement des finances publiques, une réforme du secteur énergétique et une relance du secteur privé.
La diversification de l’économie sera également essentielle pour réduire la dépendance historique du Liban aux flux de capitaux extérieurs et aux transferts de la diaspora. Les secteurs de l’agriculture durable, des énergies renouvelables et du numérique offrent des opportunités de développement, à condition d’investissements ciblés et d’un environnement des affaires assaini.
Le scénario optimiste envisagé par la Banque mondiale suppose que le Liban parvienne à stabiliser son ratio d’endettement autour de 90 % du PIB d’ici 2030, grâce à une croissance soutenue et à un excédent budgétaire primaire de 2 à 3 % du PIB par an. Ce chemin exigeant requiert une discipline budgétaire constante et un engagement sans faille envers les réformes.
À l’inverse, en l’absence de réforme crédible, le scénario pessimiste verrait la dette publique dépasser 200 % du PIBdans les prochaines années, précipitant le pays vers un effondrement prolongé de ses institutions et de son économie.
Le défi est donc clair : restaurer la viabilité de la dette publique libanaise passera nécessairement par des choix politiques courageux, une transparence totale du processus de restructuration et une volonté commune de reconstruire la confiance dans l’État libanais.