Beyrouth, d’ancien carrefour régional à port périphérique
Historiquement, le port de Beyrouth s’est imposé comme la principale plateforme maritime du Levant. Dès la fin du XIXe siècle, il servait de point de passage stratégique pour les échanges entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie. Jusqu’en 2010, le port représentait près de 70 % du commerce maritime libanais, avec une vocation affirmée de hub régional, notamment pour le transbordement vers la Syrie, la Jordanie et l’Irak.
Cependant, les crises successives – guerre civile, instabilité politique chronique, explosion du 4 août 2020 – ont gravement endommagé son potentiel logistique. En 2024, le trafic total du port atteint 5,4 millions de tonnes, stable par rapport à 2023, mais loin des 8,2 millions de tonnes annuelles enregistrées avant la catastrophe de 2020.
Cette stagnation apparente masque en réalité une perte d’influence régionale majeure face aux hubs du golfe qui multiplient les investissements et les expansions.
L’essor accéléré des hubs du golfe
Pendant que Beyrouth stagne, les ports du golfe se positionnent comme des acteurs centraux du commerce maritime international. Le port de Jebel Ali à Dubaï, déjà premier port du Moyen-Orient, poursuit son expansion avec une capacité de 22 millions d’EVP d’ici 2026, soutenue par un investissement de 2,7 milliards de dollars dans l’automatisation des terminaux et l’amélioration de la connectivité multimodale.
De son côté, Djeddah en Arabie saoudite bénéficie du plan stratégique « Vision 2030 », avec des investissements portuaires estimés à 30 milliards de dollars, destinés à multiplier par trois la capacité de traitement des conteneurs d’ici la fin de la décennie.
Comparatif des investissements portuaires régionaux | Projet d’expansion | Montant estimé (USD) | Objectif |
---|---|---|---|
Jebel Ali (Dubaï) | Expansion des terminaux, automatisation | 2,7 milliards | 22 millions d’EVP |
Djeddah (Arabie saoudite) | Modernisation complète, hubs logistiques | 30 milliards | Tripler la capacité |
Salalah (Oman) | Extension des quais, zones franches | 1,3 milliard | +50 % capacité |
Face à ces projets ambitieux, le port de Beyrouth reste prisonnier d’une gouvernance incertaine et de finances contraintes, empêchant toute modernisation significative.
La gouvernance paralysée du port de Beyrouth
Depuis l’explosion dévastatrice de 2020, le port de Beyrouth est administré par un comité provisoire sans réelle autonomie de gestion. Les tentatives de privatisation partielle ou de concession à des opérateurs internationaux, comme CMA CGM ou Dubaï Ports World, sont restées bloquées par les divergences entre les autorités politiques et les groupes d’intérêts locaux.
Le projet de redressement du port estimé à 500 millions de dollars reste lettre morte, faute de consensus politique et de financements viables. La dégradation du cadre réglementaire et la méfiance des investisseurs exacerbent ce statu quo.
En l’absence de réforme, le port continue d’accumuler des pertes d’opportunité face à ses concurrents régionaux plus agiles.
Routes maritimes perturbées et désavantage géographique aggravé
Les tensions géopolitiques régionales aggravent encore les difficultés du port de Beyrouth. La crise sécuritaire dans le sud du Liban a renforcé la perception de risque pour les opérateurs logistiques, tandis que les attaques sur la mer Rouge ont perturbé les itinéraires commerciaux passant par le canal de Suez.
Les armateurs privilégient désormais les routes vers le golfe, considérées comme plus sûres et mieux desservies. En 2024, le nombre d’escales au port de Beyrouth a reculé de 7 %, alors que Jebel Ali et Djeddah affichaient des hausses respectives de 4,3 % et 5,1 %.
Évolution des escales portuaires 2024 | Nombre d’escales | Variation annuelle |
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Jebel Ali (Dubaï) | 7 600 | +4,3 % |
Djeddah | 4 200 | +5,1 % |
Beyrouth | 1 150 | -7 % |
Cette dynamique reflète un repositionnement stratégique des compagnies maritimes, qui privilégient les hubs du golfe pour assurer la fluidité de leurs flux.
Impact économique national : un secteur portuaire marginalisé
Le port de Beyrouth n’est pas seulement une infrastructure de transport : il constitue un pilier stratégique de l’économie libanaise. Avant la crise, il générait directement ou indirectement plus de 6 000 emplois et représentait près de 10 % des recettes fiscales indirectes du pays via les droits de douane et les taxes portuaires.
Aujourd’hui, avec des recettes réduites à 180 millions de dollars en 2024, contre 250 millions avant 2020, le port contribue de moins en moins aux finances publiques. Les opérateurs portuaires locaux signalent également une baisse de 20 % de l’emploi dans le secteur logistique depuis 2020.
Impact économique du port de Beyrouth | Valeur (USD / emplois) | Évolution depuis 2020 |
---|---|---|
Recettes fiscales indirectes | 180 millions | -28 % |
Emplois directs et indirects | 4 800 estimés | -20 % |
Cette érosion du rôle économique du port aggrave la fragilité du tissu productif libanais, déjà confronté à la contraction de la consommation intérieure et à la fuite des capitaux.
Perspectives 2025 : entre déclin annoncé et espoirs de relance
À court terme, les perspectives du port de Beyrouth restent sombres. Sans injections massives de capitaux ni modernisation rapide, le port risque de s’enliser dans un déclin irréversible. Les retards accumulés en matière d’automatisation, de logistique intégrée et de services aux opérateurs continuent de creuser l’écart avec les hubs du golfe.
Cependant, certains experts estiment qu’une relance reste possible si une réforme de gouvernance crédible est mise en œuvre et si des financements internationaux sont mobilisés. La Banque mondiale a évoqué la possibilité d’appuyer la reconstruction du port, sous condition de transparence et d’un modèle public-privé attractif.
Le port de Beyrouth conserve des atouts géographiques réels pour redevenir un hub régional. Mais sans action rapide, il risque de rester durablement à l’écart des circuits majeurs du commerce maritime, affaiblissant encore un peu plus l’économie libanaise déjà exsangue.