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Réformes fantômes : le désengagement silencieux de l’État face aux urgences sociales

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Au Liban, les réformes se succèdent dans les discours, mais s’évanouissent dans les faits. Le contraste entre les déclarations d’intention des dirigeants et la réalité administrative et sociale est devenu un trait structurel du fonctionnement institutionnel. Dans un contexte marqué par la stagnation économique, l’inflation persistante et l’épuisement des ressources publiques, les retards et l’inaction du gouvernement suscitent une profonde désillusion. Les citoyens, en particulier les fonctionnaires et les travailleurs du secteur public, constatent chaque jour le décalage croissant entre les promesses d’action et l’absence de mesures concrètes.

Les engagements non tenus du gouvernement

Le gouvernement dirigé par Nawaf Salam, en poste depuis plusieurs mois, avait annoncé une série de réformes destinées à restaurer la confiance. Parmi les axes majeurs figuraient la restructuration du secteur bancaire, la réforme de la fiscalité, la lutte contre la corruption et l’amélioration des services publics. Ces annonces, répétées à plusieurs reprises lors de conférences de presse et dans les déclarations officielles, n’ont pas connu de traduction législative ou réglementaire significative.

Sur le plan économique, le flou demeure autour des étapes réelles de la restructuration du système financier. Aucun plan détaillé n’a été présenté au Parlement, et les négociations avec les bailleurs de fonds restent au point mort. L’audit complet de la Banque du Liban, promis à plusieurs reprises, a été repoussé. Des commissions ont bien été créées, mais leur mandat reste vague et sans calendrier opérationnel.

Plus concrètement encore, la question des salaires des fonctionnaires est devenue un point de cristallisation. L’indexation des rémunérations à l’inflation, réclamée par les syndicats depuis plusieurs mois, n’a toujours pas été adoptée. Cette absence d’ajustement a provoqué une détérioration brutale du pouvoir d’achat des employés publics. Malgré les déclarations du Premier ministre en faveur d’une « juste réévaluation », aucun projet de loi n’a été soumis au vote. Cette inaction alimente un sentiment d’abandon.

Face à ce vide politique, le terme de « gouvernance par l’attente » s’est imposé dans plusieurs milieux professionnels et syndicaux. Il désigne une stratégie d’immobilisme où les décisions sont indéfiniment repoussées, sans opposition frontale, mais sans mise en œuvre réelle. Ce mode opératoire contribue à une lente érosion de la crédibilité de l’exécutif.

Une opinion publique désabusée

L’impact de cette inertie est perceptible dans l’opinion publique. Les sondages réalisés ces dernières semaines indiquent une baisse significative de la confiance dans les institutions exécutives. Le Premier ministre, pourtant accueilli avec un certain espoir à sa nomination, voit sa cote de popularité s’éroder. Le président de la République, Joseph Aoun, reste lui aussi perçu comme peu en capacité d’imposer un agenda réformateur.

Ce désengagement se traduit par une déconnexion croissante entre la société et les autorités. Les débats politiques peinent à mobiliser, les consultations publiques sont désertées, et les initiatives citoyennes perdent en visibilité. De nombreux enseignants, infirmiers et agents administratifs interrogés dans des médias locaux affirment « ne plus croire à une quelconque volonté d’action ».

Les mouvements syndicaux tentent de relancer la mobilisation, mais se heurtent à un scepticisme généralisé. Plusieurs grèves dans les services publics ont été lancées au cours des dernières semaines, mais avec un taux de participation limité. Les appels à manifester n’ont pas été suivis d’effet. La division du front syndical, l’absence de soutien politique clair et l’usure de la mobilisation jouent contre l’efficacité de ces protestations.

Le climat social actuel est marqué par une fatigue généralisée. Les fonctionnaires expriment une forme de lassitude face à l’inaction. Le sentiment dominant n’est plus la colère, mais l’indifférence. Une syndicaliste du secteur de la santé résume la situation ainsi : « On ne nous ment même plus. On nous ignore. »

Une stratégie politique d’évitement ?

L’attitude du gouvernement est perçue par certains comme une forme de stratégie : éviter les sujets conflictuels, diluer les responsabilités, temporiser. Nawaf Salam multiplie les déclarations d’intention, évoque la nécessité de « concertation », mais reporte les décisions à plus tard. Ce refus d’entrer dans un affrontement ouvert avec les syndicats ou les blocs politiques opposés se traduit par une paralysie de l’action.

Les ministres eux-mêmes semblent parfois agir en gestionnaires de crise plutôt qu’en réformateurs. Des réunions techniques sont organisées, mais elles ne débouchent sur aucun engagement ferme. Les textes de loi restent à l’état de projet. Les arbitrages ne sont pas tranchés. Cette forme de gouvernance molle repose sur une idée implicite : dans l’incertitude, mieux vaut ne rien faire que provoquer un conflit.

Cette approche, si elle permet d’éviter les tensions immédiates, aggrave la frustration des agents publics et mine les fondements du lien de confiance entre l’État et les citoyens. L’attente prolongée devient une politique en soi, sans cap clair, sans hiérarchie des priorités, sans calendrier.

Conséquences sociales et institutionnelles

La prolongation de cette inertie entraîne des effets délétères. Le désengagement civique prend plusieurs formes : recul de la participation associative, retrait des jeunes des processus électoraux, fuite des compétences à l’étranger. L’émigration des diplômés a repris, avec une hausse notable des demandes de visas pour l’Europe et l’Amérique du Nord.

Dans les quartiers populaires comme dans les cercles professionnels, la même plainte revient : l’État ne répond plus. Cette impression d’abandon, renforcée par l’absence de réaction face aux urgences quotidiennes, se traduit par une dépolitisation accélérée. Les familles renoncent à demander des aides, les enseignants cessent de revendiquer, les employés évitent les démarches administratives. La confiance s’effrite.

À moyen terme, cette situation affaiblit la capacité de l’État à agir. L’inertie devient structurelle. Même les mesures techniques les plus simples, comme l’actualisation des barèmes de transport ou la modernisation des logiciels de paie, sont différées. L’administration perd ses repères, les cadres sont démotivés, les services publics se désorganisent.

Enfin, cette crise de crédibilité peut à terme rendre toute réforme impossible. Lorsqu’un gouvernement ne peut plus promettre, parce que plus personne ne croit à ses engagements, il perd son principal outil d’action. La parole publique devient inopérante, vidée de sa substance.

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Newsdesk Libnanews
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