Il y a des mots qui, par leur simple juxtaposition, suffisent à démasquer une tentative grossière de travestir la réalité. Lorsque Donald Trump parle d’un « déplacement volontaire » des Palestiniens de Gaza, il ne fait pas qu’insulter l’intelligence collective, il renoue avec une vieille tradition de falsification historique, où l’exil forcé devient un choix, où l’opprimé devient acteur consentant de son propre effacement.
Il faut être d’une hypocrisie abyssale ou d’un cynisme sans fond pour qualifier de « volontaire » le départ de populations bombardées, affamées, réduites à la survie sous les décombres. Un déplacement n’est volontaire que lorsqu’il est dicté par la volonté de ceux qui le subissent. Or, qu’y a-t-il de « volontaire » dans l’exil imposé par la guerre, dans la destruction systématique d’habitations, d’hôpitaux, d’écoles, d’infrastructures essentielles à toute vie digne ? Rien. Si la fuite est la seule alternative à la mort, elle n’a rien d’un choix. C’est une condamnation.
Ce n’est pas la première fois que l’on tente de réécrire l’exode des Palestiniens en lui donnant les atours d’une migration presque anodine, d’une réinstallation acceptée. Depuis 1948, l’histoire palestinienne est une succession de déplacements « temporaires » qui s’éternisent, de camps de réfugiés qui deviennent des villes, d’attentes de retour qui se figent en déracinement permanent. Déjà, à l’époque, les expulsés étaient présentés comme ayant fui d’eux-mêmes, comme ayant renoncé de leur propre gré à leurs terres et à leur histoire. Ce narratif, qui vise à exonérer les responsables, n’a jamais changé.
En réalité, parler de « déplacement volontaire », c’est tenter d’euphémiser une entreprise de dépossession. C’est aussi préparer le terrain à l’oubli, faire en sorte que le monde, fatigué d’indignation, finisse par accepter l’exode comme un fait accompli. Si l’on consent à décrire l’exil comme un choix, alors il n’y a plus de retour à réclamer, plus de justice à exiger. L’objectif est clair : transformer la tragédie palestinienne en un vague mouvement migratoire, effacer peu à peu la mémoire de ceux qui n’ont cessé de réclamer leur droit à rester, à exister.
Ce glissement sémantique, sous couvert de pragmatisme, n’est qu’une tentative supplémentaire d’asseoir une politique de disparition. Car, à travers cette rhétorique, il ne s’agit pas seulement de chasser des populations, mais bien de les effacer du récit historique, de les dépouiller de leur droit même à avoir une histoire, une origine, une patrie. Un peuple ne disparaît pas seulement quand on le déloge : il s’efface aussi lorsque l’on fait disparaître la cause de son exil.
Il faut aussi parler des assassinats ciblés, comme ceux commis contre les Palestiniens en Cisjordanie, des attaques répétées contre les agriculteurs palestiniens, de l’occupation illégale de maisons par les colons israéliens. Ces actes, qui participent d’une stratégie de nettoyage ethnique, visent à détruire toute présence palestinienne sur ces terres. Le harcèlement permanent, les humiliations, les arrestations arbitraires et les restrictions de mouvement ne sont pas des incidents isolés, mais bien des instruments d’une politique d’oppression systématique.
Pourtant, les Palestiniens résistent. Par la culture, par la mémoire, ils perpétuent leur identité et leur droit à l’existence, refusant que leur histoire soit effacée. Cette résistance ne se limite pas aux actes armés que certains qualifient de terrorisme et que d’autres voient comme l’expression du désespoir. Elle passe aussi par la transmission, l’art, la littérature, et la préservation des lieux et des traditions, contre vents et marées.
Par ailleurs, ces déplacements de populations menacent aussi l’équilibre fragile des pays limitrophes. L’exode des Palestiniens en 1948 a eu un impact majeur sur le Liban, où leur présence en nombre a contribué aux tensions communautaires. Cette situation a notamment été l’un des facteurs ayant conduit à la guerre civile libanaise de 1975 à 1990, une période marquée par des affrontements violents entre différentes factions, exacerbés par la question palestinienne. Cet épisode tragique illustre à quel point les déplacements forcés ne se limitent pas aux frontières immédiates de la Palestine, mais ont des répercussions profondes et durables sur toute la région.
Qualifier d’« opportunité » un arrachement, faire passer pour « volontaire » ce qui est subi, c’est déshumaniser. C’est réduire des destins brisés à de simples statistiques. Face à cette falsification, il est essentiel de rappeler une vérité simple : les Palestiniens de Gaza ne choisissent pas de partir, ils sont contraints à l’exil. Et tant que cet exil sera présenté comme une option, il restera une tragédie qui s’éternise sous le prisme du mensonge.