La Grèce va-t-elle vraiment mieux ? Le piège de la gestion de sa dette

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Virginie Monvoisin, Grenoble École de Management (GEM)

Lors de sa visite officielle en Grèce les 2 et 3 juin, le premier ministre français, Manuel Valls, a déclaré que la France soutenait « l’effort continu du peuple grec » ; il est vrai que le gouvernement français œuvre depuis le début de la crise grecque en 2010 pour son maintien dans la zone euro. Cette déclaration arrive précisément après un nième accord sur la dette grecque, accord conclu le 25 mai sans drames ni épreuves de force cette fois, ouvrant la voie à un déblocage de 10,3 milliards d’euros.

Les choses semblent effectivement se détendre et l’étau se desserrer. Néanmoins, il faut tout de même y regarder de plus près en distinguant les indicateurs financiers – relatifs à la dette – des indicateurs économiques – relatifs à la situation réelle du pays – et en regardant le jeu des acteurs. L’enfer grec n’est pas pavé que des bonnes intentions de ses créanciers qui persistent à appliquer les mêmes recettes, soit des politiques d’austérité d’une rare rigueur ; il est noyé par la complexité de la situation qui en fait oublier sa tragédie.

Une dette stabilisée ?

Les indicateurs financiers sont, sinon encourageants, au moins stabilisés. Selon Eurostat, la dette publique représente encore 176,9 % du PIB grec et s’élève à 312 milliards d’euros (dernier trimestre 2015). En réalité, ces niveaux stagnent depuis le dernier trimestre 2013 et, malgré les efforts consentis, la dette reste à des niveaux élevés.

Comme prévu en juillet 2015, l’accord du 25 mai débloque une tranche d’aide de 10,3 milliards d’euros versée par le Mécanisme européen de stabilité (MES, dispositif de gestion de crise au sein de la zone euro, créée en 2012), dont une avance de 7,5 milliards d’euros en juin et le reste le 20 juillet.

Les perspectives pour le système financier grec semblent aussi plus optimistes. Jusqu’à présent, les banques grecques n’avaient même plus accès aux procédures de refinancement classiques auprès de la BCE. Cela signifie concrètement qu’elles n’ont plus accès à la liquidité et ne peuvent plus accorder de nouveaux crédits. Ceci dit, cette sanction devrait être levée, donnant davantage de souplesse aux banques commerciales. De même, il est à nouveau question que la Grèce fasse partie des programmes d’assouplissement quantitatif (QE) à venir. Pour cela, il faudra débattre de la recevabilité de la dette grecque car précisément, le mécanisme repose sur l’achat des dettes souveraines des membres de la zone euro.

Des tensions entre les créanciers

Néanmoins, si la Grèce obtient de nouvelles aides et paraît à nouveau apte à accéder aux procédures normales de refinancement du Système européen des banques centrales (SEBC), tout cela est soumis à conditions et à consentements des acteurs. La dette est répartie entre – par ordre décroissant de détentions – le Fonds européen de stabilité financière (FESF), les prêts bilatéraux, les investisseurs privés, la BCE, le FMI, les bons du trésor et la Banque européenne d’investissement.

La France et l’Allemagne, via le FESF et les prêts bilatéraux, sont des créanciers de premier rang car ils détiennent près de la moitié de l’aide. Et chacune de ces dettes a son propre échéancier. Par exemple, la BCE attend un remboursement le 20 juillet pour débloquer le reste de 10,3 milliards d’aide, alors que le paiement des prêts bilatéraux ne commencera qu’en 2020. La nouvelle tranche d’aide doit d’ailleurs exclusivement servir aux différents remboursements d’ici octobre.

Or, les tensions montent entre les différents créanciers de la Grèce. La France entend tout faire pour garder la Grèce dans la zone euro, l’Allemagne campe sur ses positions quant aux conditions de remboursement et le FMI s’interroge sur la restructuration de la dette et ses échéances ; de fait, le ton s’est durci entre les protagonistes ces dernières semaines. Le FMI parle de geler les paiements, juge la dette insoutenable et menace de se retirer ; l’Allemagne ne veut rien entendre mais tient absolument à la présence du FMI !

Des indicateurs inquiétants

Reste le principal problème : est-ce que la Grèce peut rembourser sa dette ? Le PIB grec a connu un recul de 0,5 % au premier trimestre 2016. Recul encore plus fort que prévu, alors que le PIB de la Grèce a reculé de près de 26 % depuis le début de la crise de la dette. Derrière ces chiffres – rarement observés !–, des réalités tragiques. Les jeunes s’expatrient massivement, le taux de suicide et la pauvreté ont explosé… La baisse du PIB est bien une destruction de richesse économique, sociale et démographique. Alors qu’il est encore exigé une réforme des retraites et des privatisations et que le solde public primaire est positif, les politiques d’austérité ont déjà prouvé toute leur inefficacité après 6 ans de saignées dans l’économie grecque sans réussites ni améliorations.

En dehors des différents dispositifs et acteurs de la dette, la crise grecque nous rappelle que la problématique économique fondamentale demeure la croissance et comment la générer. Et non le pilotage d’indicateurs financiers – qui n’en sont que les résultats. Or, la baisse des revenus de près de 30 %, des dépenses publiques, la destruction des infrastructures – entre privatisations et abandons –, les ressorts de la croissance ne sont pas en mesure d’être activés.

Qui pour investir, consommer ? Plus grave encore : les structures, nécessaires à la pérennité de la croissance, sont touchées. Entre les atteintes démographiques, l’instabilité politique, la montée de l’extrême droite, la crise des migrants et le rapprochement avec la Russie, la Grèce connaît des heures troublées qui, en dehors des inquiétudes qu’elles peuvent suscitées, ne peuvent favoriser un climat économique favorable.

À moins d’un nouvel allègement et d’un changement de politique, l’optimisme ne peut être de rigueur. La Grèce n’en a pas fini de traverser l’enfer. Souhaitons qu’elle n’atteigne pas les deux derniers cercles de l’enfer de Dante, celui des trompeurs et celui des traîtres. À moins que ce ne soit déjà fait…

Virginie Monvoisin, Associate professor, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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