Les récents événements sécuritaires dans le sud du Liban, notamment l’arrestation d’une cellule armée accusée d’avoir tiré des roquettes vers Israël, ont ravivé les interrogations sur le rôle et la structuration des milices palestiniennes dans le pays. Historiquement présentes depuis les années 1970, les factions armées palestiniennes ont connu une évolution profonde au gré des conflits, des accords, des désengagements et des reconfigurations internes du mouvement national palestinien. Leur poids actuel dans le paysage libanais, bien que moins visible, demeure stratégiquement sensible.
Le Liban abrite encore aujourd’hui douze camps de réfugiés palestiniens reconnus, dont les plus importants sont ceux de Aïn el-Héloué, Bourj el-Barajneh, Rachidieh, Nahr el-Bared, et Beddawi. Ces espaces, juridiquement hors du contrôle direct de l’État libanais, ont longtemps été des foyers de mobilisation politique et militaire. Durant la guerre civile libanaise, les factions palestiniennes jouaient un rôle central dans l’équilibre des forces armées non-étatiques. Avec la sortie de l’OLP du Liban en 1982, puis les accords de Taëf, une partie de ces structures ont été démantelées ou intégrées à d’autres entités.
Aujourd’hui, les milices palestiniennes actives sont pour la plupart liées à deux pôles principaux : les factions dites « traditionnelles » comme le Fatah, et celles classées comme « de résistance » comme le Hamas, le Jihad islamique et d’autres groupes proches de l’axe de la résistance. À côté de ces pôles, des groupes plus petits et souvent locaux, désignés par les autorités comme « groupes non alignés », opèrent dans une relative opacité.
Le camp de Aïn el-Héloué, près de Saïda, reste le principal théâtre d’opérations de ces groupes. Il est aussi le plus complexe, avec une cartographie factionnelle mouvante, des alliances à géométrie variable et des tensions fréquentes. Les autorités libanaises y interviennent rarement directement, confiant en grande partie la sécurité intérieure à un « comité conjoint » regroupant des représentants de factions palestiniennes majeures. Ce mécanisme, bien que théoriquement coordonné avec les services de sécurité libanais, fonctionne de manière autonome et fait l’objet de critiques constantes pour son inefficacité et sa perméabilité aux infiltrations.
Les armes détenues par ces groupes sont en principe limitées à la défense des camps. Pourtant, plusieurs épisodes récents montrent une capacité de projection au-delà des frontières immédiates des camps. Les tirs de roquettes depuis des zones rurales du sud du Liban, attribués à des membres de milices palestiniennes, illustrent un glissement stratégique. Ces groupes ne se contentent plus d’un rôle de garnison ou de force d’autodéfense. Ils s’inscrivent, dans certains cas, dans une logique de confrontation régionale, souvent en lien avec les développements à Gaza ou en Cisjordanie.
L’origine de ces groupes, souvent ancrée dans des réseaux transfrontaliers, soulève la question de la circulation des armes. Bien que le Liban ait mis en place plusieurs mesures de contrôle, les armes légères et les roquettes artisanales continuent de circuler via des canaux informels, notamment entre la Syrie et le Liban. Des rapports évoquent des caches d’armes dissimulées dans des fermes ou des zones agricoles proches de la frontière, parfois mises à disposition de groupes palestiniens en fonction des conjonctures régionales.
La légitimité de ces groupes varie selon les régions et les populations concernées. Dans les camps, une partie de la jeunesse les considère comme les derniers remparts face à l’abandon de la cause palestinienne. Ils sont également perçus comme des relais d’aide sociale, de scolarisation, voire d’emploi. D’autres y voient des forces clientélistes, aux mains de parrains politiques, financées par des États étrangers, et utilisant les réfugiés comme levier dans des conflits qui les dépassent.
Les autorités palestiniennes officielles au Liban, notamment les représentants de l’Autorité palestinienne, appellent régulièrement au désarmement ou au moins à la régulation de ces groupes. Mais leur influence reste limitée face à la popularité croissante des factions armées issues de la mouvance islamiste. La rivalité entre le Fatah et le Hamas se rejoue parfois dans les ruelles des camps, où les écoles, les hôpitaux, les mosquées deviennent des espaces d’influence politique autant que sociale.
Pour le Liban, la question des milices palestiniennes est un dossier délicat. L’équilibre fragile du pays, fondé sur des accords confessionnels et des compromis sécuritaires, rend toute intervention directe dans les camps politiquement risquée. Toute opération militaire à Aïn el-Héloué ou Bourj el-Barajneh pourrait provoquer une escalade. D’un autre côté, l’existence d’armes hors du contrôle de l’État contrevient aux résolutions internationales et alimente le discours israélien sur « la menace du Liban-Sud ».
La coordination entre l’armée libanaise et la FINUL dans le sud du pays inclut une surveillance indirecte de ces activités. Mais la présence de ces groupes dans des zones éloignées des camps, comme les collines de Marjayoun ou les environs de Nabatiyeh, complique la mission. Les structures de commandement de ces milices sont souvent éclatées, sans chaîne hiérarchique unique, ce qui rend tout dialogue difficile.
La société civile palestinienne au Liban, quant à elle, appelle à une refondation du statut des camps. Des ONG plaident pour une intégration partielle des réfugiés dans le tissu légal libanais, à travers l’accès à l’emploi, à la propriété et à la citoyenneté. Selon cette approche, la réduction de l’influence des milices passerait par une politique d’inclusion et non par la répression. Mais cette position se heurte à des résistances multiples : politiques, juridiques, communautaires.
Les États donateurs, notamment en Europe, conditionnent une partie de leur aide humanitaire à une meilleure régulation de ces groupes. Mais sur le terrain, les ONG se trouvent souvent face à un dilemme : coopérer avec les factions pour accéder aux populations, ou risquer l’exclusion des réseaux de distribution. Cette réalité entretient une forme de légitimation de fait des milices, au-delà de leur discours militaire.
L’avenir de ces groupes dépend en grande partie de l’évolution de la situation palestinienne. Tant que Gaza restera en guerre, tant que la Cisjordanie sera sous tension, tant que Jérusalem sera un point de conflit, les camps du Liban continueront de produire et d’héberger des milices. Leurs noms, leurs affiliations, leurs leaders changeront. Mais la structure demeure : celle d’une militarisation chronique alimentée par le vide politique, la mémoire du déracinement et l’absence de solution durable.