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Liban-Iran : coopération renforcée ou ingérence déguisée ?

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En juin 2025, la relation entre le Liban et l’Iran se trouve à un tournant. Tandis que l’instabilité régionale pousse Téhéran à consolider ses alliances, la situation intérieure libanaise ouvre de nouveaux espaces d’intervention pour la République islamique. Officiellement placée sous le signe de la coopération économique et culturelle, la présence iranienne soulève de nombreuses interrogations : s’agit-il d’un partenariat stratégique bénéfique ou d’une forme d’ingérence structurée, qui contourne les institutions libanaises au profit d’alliés locaux ? Cette ambivalence traverse aujourd’hui tant les discours politiques que les perceptions populaires.

Coopération bilatérale : une montée en puissance visible

Depuis le début de l’année 2025, plusieurs accords ont été conclus entre Téhéran et Beyrouth dans les domaines de l’agriculture, des infrastructures, de la santé et de l’énergie. Un protocole signé en mars prévoit la livraison de carburants iraniens à des tarifs préférentiels pour alimenter certaines institutions publiques, notamment des hôpitaux régionaux et des centrales locales. Ce soutien est officiellement présenté comme une aide humanitaire, mais il s’effectue en grande partie en dehors du cadre gouvernemental central.

L’ambassadeur d’Iran à Beyrouth a multiplié les visites auprès de municipalités et d’organisations de la société civile. Des fonds sont alloués à la réhabilitation de routes, à l’extension de réseaux d’irrigation dans la Békaa, et à la distribution gratuite de médicaments. Si ces actions répondent à des besoins urgents, elles alimentent aussi une dynamique parallèle à l’État, en renforçant le maillage territorial d’influence iranienne, notamment dans les zones chiites du pays.

Cette présence s’accompagne d’un renforcement de la coopération universitaire et religieuse. Des dizaines d’étudiants libanais sont actuellement formés dans des institutions iraniennes, souvent dans des cursus liés aux sciences islamiques ou aux technologies de l’information.

Le rôle du Hezbollah : relais ou courroie de transmission ?

La force principale du lien irano-libanais demeure le Hezbollah, dont les dirigeants affichent leur fidélité idéologique et stratégique à Téhéran. La succession de Hassan Nasrallah par Naim Kassem n’a pas modifié cette orientation. Bien au contraire, le parti réaffirme sa solidarité avec la République islamique, qualifiée de « protectrice des peuples opprimés ».

Des responsables du Hezbollah ont salué l’engagement iranien à leurs côtés comme une « alternative crédible à l’abandon international ». Ils pointent du doigt l’inaction des institutions libanaises et l’hypocrisie de l’aide occidentale, soumise selon eux à des conditionnalités politiques injustes.

Cependant, cette position ne fait pas l’unanimité, y compris au sein de la communauté chiite. Des figures indépendantes expriment leur malaise face à une dépendance croissante. L’ancien ministre Ali Abdallah déclarait récemment que « le Liban ne peut devenir une antenne régionale, même au nom de la résistance ».

L’implication militaire de Téhéran via le Hezbollah reste un sujet tabou dans les cercles diplomatiques libanais. Pourtant, elle constitue une source majeure de crispation avec les partenaires arabes et occidentaux. Ces derniers considèrent que cette proximité nuit à la neutralité du Liban et l’empêche de jouer un rôle constructif dans la région.

Une perception ambivalente dans la société libanaise

Dans l’opinion publique, la perception de l’Iran reste contrastée. Dans les régions du Sud et de la Békaa, la coopération est souvent vue comme une bouée de sauvetage face à l’effondrement des services publics. Des habitants de Nabatieh expriment leur satisfaction quant à la gratuité des soins dans certains centres médicaux soutenus par des ONG proches de Téhéran. Des agriculteurs évoquent une aide concrète sous forme d’engrais et de formation technique.

À l’inverse, dans les régions chrétiennes ou sunnites, la présence iranienne est perçue comme une menace. À Zahlé, Tripoli ou dans le Metn, les propos sur l’Iran sont marqués par la méfiance : crainte d’un embrigadement religieux, rejet des symboles de la République islamique, et dénonciation d’une instrumentalisation politique. Les drapeaux iraniens apparus dans certaines manifestations pro-Hezbollah à Beyrouth ont provoqué des réactions virulentes sur les réseaux sociaux.

Des journalistes soulignent que l’Iran investit davantage dans la communication que dans les structures de long terme. La médiatisation de ses dons contraste avec la discrétion des fonds européens, pourtant souvent plus conséquents mais liés à des procédures administratives lentes.

Une diplomatie offensive, mais marginalisée à l’international

Le renforcement des liens avec le Liban s’inscrit dans une stratégie régionale plus large de Téhéran. Face à l’isolement diplomatique croissant et à l’intensification des sanctions, l’Iran cherche à ancrer son influence dans les États fragilisés du Levant. Après la Syrie, le Liban constitue un terrain privilégié pour contourner l’isolement économique et projeter une image d’allié du Sud global.

Toutefois, cette stratégie se heurte à des limites structurelles. Les investissements iraniens restent marginaux comparés à ceux de la Chine ou des monarchies du Golfe. De plus, l’Iran n’a pas les moyens de compenser durablement l’effondrement de l’État libanais. Les promesses de reconstruction du port de Beyrouth ou de fourniture énergétique n’ont pas été concrétisées à grande échelle.

Les chancelleries occidentales restent prudentes. Si elles dénoncent l’influence iranienne, elles hésitent à contrebalancer cette présence par un engagement direct, par crainte de légitimer un affrontement idéologique. Ce vide géopolitique profite à Téhéran, mais il n’est pas synonyme d’une implantation hégémonique.

Entre bénéfices immédiats et coûts politiques

La relation entre le Liban et l’Iran repose aujourd’hui sur un paradoxe. D’un côté, elle permet de répondre à certaines urgences économiques et sociales en contournant un État paralysé. De l’autre, elle accentue la fragmentation institutionnelle, renforce des logiques communautaires, et expose le Liban à des conflits d’alignement régionaux.

À moyen terme, cette relation risque de renforcer l’isolement du Liban sur la scène internationale. Déjà exclu de plusieurs forums diplomatiques arabes, il pourrait voir ses accès au financement international se restreindre encore plus, au nom de la neutralité compromise.

Le défi pour Beyrouth est donc d’articuler une politique d’ouverture régionale sans tomber dans une dépendance stratégique. Cela suppose de réactiver une diplomatie autonome, de clarifier le rôle des acteurs non étatiques, et de restaurer un minimum de souveraineté institutionnelle.

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Newsdesk Libnanews
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