Avant d’entrer en matière, je m’excuse si ce qui suit va me donner une image de trouble-fête, de citoyen grognon, de rabat-joie, et que sais-je encore ; dans une époque où la moindre petite lueur d’espérance, la moindre petite étincelle, est laborieusement recherchée afin de garder une attitude positive et d’estomper l’état calamiteux que subit le Liban.

Une image m’a fortement interpelée hier alors que 37000 joyeux lurons couraient pour la « Paix » au centre-ville de Beyrouth dont les routes ont été complètement bloquées à l’occasion. J’ai pensé aux tentes des parents des soldats libanais kidnappés depuis plus de trois mois par des organisations terroristes, dont le sort est toujours inconnu. J’ai pensé aux familles des Libanais portés disparus dans leur tente devant l’Escwa qui attendent depuis les années 90 une réponse d’un Etat qui n’existe plus.

Que doivent-ils ressentir face à ces milliers de coureurs qui cavalent et fuient leur triste réalité ? Que doivent-ils se dire alors qu’ils attendaient longtemps une centaine de citoyens solidaires venir se mettre à leurs côtés le temps d’un sit-in, pour soutenir leur cause personnelle peut-être, mais nationale par excellence ? Que doivent-ils éprouver lorsqu’ils voient parmi ces athlètes quelques politiciens ayant répondu à l’appel d’un évènement sportif, alors qu’ils sont aux abonnés absents à des engagements bien plus importants…

Les participants ont couru dans le périmètre d’un Parlement inconstitutionnel formé d’une centaine de grotesques sadiques aux mandats illégalement prorogés, près d’un Sérail où se réunit un gouvernement en charge (par intérim) de tous les pouvoirs exécutifs en raison d’une Présidence vacante depuis le 25 mai. Une fuite de plus d’une situation qui risque d’empirer avec des individus – puisqu’il est inadéquat de parler de peuple dans un tel cas – anesthésiés, abrutis, ankylosés et anéantis dans un déni total.

Ce déni, cette politique de l’autruche, montre bien que ça ne va pas du tout. Ce déni montre que l’on ne sait pas ou que l’on ne veut pas entendre, ni reconnaitre une souffrance ou une situation désastreuse, et encore moins gérer une crise, une catastrophe. Ce déni n’est que le reflet de la léthargie de la société libanaise, qui ne sait plus du tout où elle en est. Qui sait juste festoyer et se prendre en photo avec ses « hollywood smile » alors que rien ne va, qui sait expliquer bêtement qu’elle en a marre de souffrir et qu’elle résiste à l’image du phénix qui naît de ses cendres, qui célèbre le mariage des mouches en enflammant le ciel où coïncide le passage des hélicoptères transportant les soldats blessés qui tentent de sauver ce qui reste des bribes d’un pays. Une société qui oublie que lorsqu’on souffre on se révolte pour mettre fin à la souffrance. Une société qui sait tout mais qui ignore tout ce qui touche au patriotisme et au désir de se voir un jour en tant qu’un Peuple libanais uni autour d’un même unique drapeau.

Il court, il court, le furet … et nous pourrons toujours courir derrière la Paix, le Sport, l’Union et une ribambelle de vocables fortement louables qui font étrangement penser aux réponses clichés vides de sens dans les concours de beauté internationaux. Enfoncés dans un déni et une apathie hérités, quand est-ce que nous allons nous réveiller et courir effectivement pour édifier un Etat et un Peuple et acquérir de la sorte une Paix bien méritée ?

Par Marie-Josée Rizkallah

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

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