Takfiris : la chasse aux femmes est ouverte ! (I) par Adeline Chenon Ramlat

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C’est probablement l’étrange parallèle entre ces deux histoires de femmes qui m’a fait réaliser ce que je m’acharnais à refuser de voir. Hier sur FB une amie découvrait avec horreur que la fille d’une de ses meilleures amies était morte, tirée comme un lapin au Bataclan, alors qu’elle dansait sur un groupe Heavy Metal et profitait de sa jeunesse, et cette nuit j’ai revu le visage de cette jeune femme rencontrée dans un centre pour déplacés, à Hama en Syrie, il y a 10 jours.

Nous étions entourées par une nuée de gens qui avaient repéré que je parle arabe et voulaient de l’aide ou « délivrer leurs messages à l’Occident ». Dans ces cas-là, on a beau ne pas être ambassadeur, rien n’y fait….vous “représentez” un autre monde. Alors les femmes venaient se blottir contre moi, les hommes m’engueulaient sur le manque de tapis de sol, les petites filles me prenaient la main. Puis est arrivée cette jeune femme toute en noir, dont les superbes traits du visage n’étaient plus qu’un masque de douleur. Elle s’est plantée en face de moi et m’a dit « ma sœur, tu dois m’aider ». Je lui ai dit que je n’avais pas grands moyens que j’étais venue avec un voyage de solidarité et que nous avions apporté des vêtements, des médicaments et des livres pour l’école. Son regard a bondi :

« Il te reste des cahiers et des livres ? Il faut en donner à mon frère et il les apportera à ma petite sœur »

« Mais où est ta sœur ? »

« A Raqqa ».

Je lui ai renvoyé un regard dubitatif parce que Raqqa/Hama, ça fait une trotte (en dehors du fait que Raqqa est dorénavant la capitale de l’Etat Islamiste). Moi qui ai longuement habité pile entre les deux villes, dans le désert, je dirais au moins 300 km.

« ça fait loin  pour ton frère… »

« Je ne me souviens pas, on a fait le chemin à pied et après en bus, après j’ai dormi, je ne sais plus. Mais tu dois m’aider à apporter ces livres à ma petite sœur »

« Mais pourquoi ta sœur est-elle là-bas et toi ici ? »

Regard exaspéré « « Ben ! Parce qu’elle a moins de 15 ans ! Evidemment ! »

« Je ne comprends pas »

Je vois bien qu’elle se demande si je me fous de sa gueule et si on est venu uniquement pour faire “un brin de discussion” avec les déplacés. Alors j’essaye de repousser aimablement la foule qui nous entoure, mais c’est impossible…

Je finis par enlacer une petite fille qui ne m’a pas lâché la main depuis une heure et dont je comprends qu’elle a surtout froid. Je prends l’un des épais foulards que j’ai autour du cou et l’entoure autour d’elle comme un châle. La petite ne fait ni une ni deux et le met sur sa tête et sur ses épaules. J’essaye alors d’attirer la jeune femme de Raqqa entre nous deux avec ma nouvelle complice. Ça marche très bien. Elles ont compris le but de la manip : nous isoler. Je me laisse tomber vers le sol en posant sous nous mon autre foulard. La petite s’assoie, toujours collée à moi et fait comprendre à notre désormais troisième larronne, qu’elle doit suivre le mouvement. Nous voilà toutes les trois, tête contre tête, assises par terre.

« Pourquoi ont-ils gardé ta jeune sœur à Raqqa ? »

« Parce qu’elle est propre et que les takfiris la veulent, elle vaut cher. Moi c’est trop tard, alors ils m’ont laissé partir…ils savent bien que je reviendrais maintenant » … elle regarde au sol.

Bon, même si c’est glauque, là je vais vous faire une pause décryptage. Sa sœur est donc vierge, elle va être vendue plus cher. La jeune femme à côté de moi s’est déjà faite violée, et sa famille le sait donc elle a perdu sa valeur marchande aux yeux de l’Etat Islamique et sa dignité aux yeux de sa famille. Donc cette jeune femme doit revenir car maintenant elle sait que son avenir va être de travailler toute sa vie pour ne plus rien coûter à son père (puisqu’elle n’est plus mariable, n’étant plus vierge). Elle sait aussi que l’Etat Islamique sait tout ça et donc attend calmement son retour, si elle veut revoir sa sœur en vie. En effet, pour ce qui est de la vente de sa sœur, elle ne peut plus rien faire, mais pour ce qui est d’éviter de faire tuer certains membres de sa famille, elle n’a qu’à revenir. Elle est complètement coincée en gros. Et d’un seul coup, je comprends « avec mon cœur » sa démarche : Elle sait que sa petite sœur va être violée, elle sait aussi ce qu’elle va ressentir après puisqu’elle-même…alors elle est entrain de préparer un autre départ. Un départ où, en gros elle n’aurait pas besoin des hommes. Pour cela il faut savoir lire, savoir la distance entre les villes, savoir compter l’argent…Elle a besoin de mes livres pour cela. Pour qu’elle et sa sœur foutent le camp de cette situation où elles n’ont plus aucune marge de manœuvre. C’est pour ça qu’elle m’a appelé ma sœur, c’est pour me rappeler ceci: « La chasse aux femmes est ouverte, nous devons rester solidaires, s’il te plait».

Je lui prends la main. Elle s’écroule en larmes sur moi. Son jeune frère (14 ans à vue d’œil) nous encercle de ses bras. Il lui dit qu’il va retourner à Raqqa à pieds, qu’elle ne s’inquiète pas. Il répète en boucle un tas de nom de femmes …J’ai envie de vomir.

Moi mère de deux garçons, moi la féministe française, moi qui ne sais pas où je vais pouvoir retrouver ces fichus bouquins car nous avons déjà tout distribué, je lui caresse les cheveux car dans l’instant, je ne sais faire que cela. Moi qui  pourtant sais que le Klu klux klan n’a rien à voir avec les Chrétiens et que les Takfiris n’ont rien à voir avec l’Islam, je n’avais pas pigé avant, aussi clairement, l’horreur du projet.

Moi qui ai chanté Renaud dans ma banlieue et qui me retrouve comme blottie et protégée de la foule par une petite fille aux yeux qui brillent et une jeune femme dont les cheveux et les larmes se cramponnent à ma main….  je viens de comprendre l’urgence et la nécessité de l’armée et je retournerai à Hama apporter des livres à mes sœurs déplacées de Raqqa.

TU ES MA SOEUR.

J’écrirai la seconde partie de ce papier la semaine prochaine, mais dès à présent, je vous encourage à consulter ces deux livres qui devraient vous faciliter la route:

« Women we have not lost yet », de Issa Touma. Co Edition Paradox et André Frère. 2015

 Journal d’une esclave au XXIe siècle » de Sebastien Bouillé et Dimitri Sivieri. Dhow Editions. 2015

Je refuse de soutenir le mensonge d’Etat qui raconte que cette guerre a commencé par une “révolution” et encourage nos politiques à agir de la façon la plus réparatrice possible des drames que nous avons générés.

Voici mon Appel citoyen.

Par Adeline Chenon Ramlat

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