Une bataille judiciaire internationale contre l’opacité du système bancaire libanais
Le 6 mai 2025, la Haute Cour de Londres a tranché en faveur de Sheikh Mohammed Omar Kassem Alesayi, homme d’affaires né en Arabie saoudite et devenu citoyen britannique, lui reconnaissant le droit de poursuivre Bank Audi pour le non-transfert de 24 millions de dollars détenus dans huit comptes au Liban. Ce jugement marque une étape importante dans la quête de justice de nombreux déposants étrangers lésés par les restrictions bancaires libanaises imposées depuis 2019.
Le litige remonte à 2022, lorsque Sheikh Alesayi demande à la banque de transférer l’intégralité de ses fonds vers son compte à la banque privée UBP à Genève. Face à un refus catégorique, il entame une procédure devant la justice britannique, invoquant son statut de résident permanent et les dispositions du droit anglais en matière de protection des consommateurs.
La crise bancaire libanaise : blocage généralisé des transferts
Depuis 2019, les banques libanaises imposent des restrictions sévères et souvent arbitraires sur les retraits en devises étrangères et les transferts internationaux, dans un contexte de crise économique sans précédent. En raison de la pénurie de devises, la Banque Audi, comme la majorité des établissements libanais, déclare son incapacité à exécuter des virements sortants, même lorsque les comptes sont créditeurs.
Selon le ministère libanais de l’Économie, 93 milliards de dollars de dépôts restent inaccessibles aux épargnants. Cette paralysie financière, qualifiée de « hold-up bancaire » par de nombreux économistes, est l’une des conséquences de l’effondrement du modèle économique libanais fondé sur la dette et le secteur bancaire.
Un argument juridique fondé sur le domicile et la loi britannique
Sheikh Alesayi soutient que, résidant au Royaume-Uni depuis au moins 2012, il est en droit d’invoquer la compétence de la justice anglaise. Il rappelle qu’il possède des liens familiaux et patrimoniaux forts avec le pays depuis les années 1970 : propriétés acquises à St John’s Wood, résidence secondaire à partir des années 1990, fréquentation assidue de la mosquée de Regent’s Park, chauffeur personnel et voiture de luxe (Bentley) livrée à son domicile londonien.
Il obtient le statut de résident permanent (Tier 1 Investor) en 2018, puis la citoyenneté britannique en 2023. La Haute Cour conclut qu’il y a « une forte présomption » de domicile à Londres depuis au moins 2012, validant ainsi la compétence extraterritoriale du Royaume-Uni dans cette affaire.
Tableau récapitulatif de l’évolution de la situation de Sheikh Alesayi
Année | Événement | Lieu |
---|---|---|
1970s | Arrivée familiale au Royaume-Uni | Londres |
1990 | Utilisation de la résidence à Londres | St John’s Wood |
2012 | Présomption de domicile | Londres |
2016 | Ouverture compte UBP | Genève |
2018 | Tier 1 Investor, résidence permanente | Royaume-Uni |
2021 | Indefinite Leave to Remain | Royaume-Uni |
2023 | Nationalité britannique | Royaume-Uni |
2025 | Décision de la Haute Cour | Londres |
Bank Audi face à une cascade de controverses
Fondée en 1830, Bank Audi est l’une des plus anciennes institutions bancaires du Liban. Elle opère aussi en Suisse via sa filiale Banque Audi (Suisse) SA, aujourd’hui sous le feu des critiques. L’autorité suisse de surveillance des marchés financiers (FINMA) a conclu en 2024 que cette entité avait « gravement violé la loi sur les marchés financiers » et avait « failli à ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent ».
La Banque Audi réfute toute responsabilité et nie avoir orienté ses activités commerciales vers le Royaume-Uni. Elle affirme que le compte de Sheikh Alesayi a été ouvert en 1994 alors qu’il n’était pas encore domicilié en Grande-Bretagne. Cet argument n’a pas suffi à convaincre la cour anglaise.
Une jurisprudence à potentiel multiplicateur pour les déposants libanais à l’étranger
Le jugement du juge Adam Constable pourrait créer un précédent majeur pour d’autres clients internationaux de banques libanaises résidant au Royaume-Uni ou en Europe. En reconnaissant que la juridiction anglaise est compétente, la justice britannique pourrait à l’avenir être saisie par d’autres déposants souhaitant contourner l’inaction du système judiciaire libanais, souvent paralysé par les pressions politiques.
Ce cas illustre un déplacement du terrain de la bataille financière : de Beyrouth vers Londres, Genève ou Paris. Il souligne aussi le désespoir croissant d’une diaspora libanaise et arabe disposant de fonds légitimes mais inaccessibles, pris en otage par un système bancaire défaillant.
Une jurisprudence à potentiel multiplicateur pour les déposants libanais à l’étranger
Le jugement du juge Adam Constable pourrait créer un précédent majeur pour d’autres clients internationaux de banques libanaises résidant au Royaume-Uni ou en Europe. En reconnaissant que la juridiction anglaise est compétente, la justice britannique pourrait à l’avenir être saisie par d’autres déposants souhaitant contourner l’inaction du système judiciaire libanais, souvent paralysé par les pressions politiques.
Ce cas illustre un déplacement du terrain de la bataille financière : de Beyrouth vers Londres, Genève ou Paris. Il souligne aussi le désespoir croissant d’une diaspora libanaise et arabe disposant de fonds légitimes mais inaccessibles, pris en otage par un système bancaire défaillant.
Les précédents judiciaires en France et au Royaume-Uni
Plusieurs décisions judiciaires ont déjà été rendues en faveur de déposants contre des banques libanaises :
- En mars 2022, la Haute Cour de Londres a ordonné à Bank Audi et à la SGBL de rembourser près de 4 millions de dollars au déposant libano-britannique Vatché Manoukian.
- En décembre 2022, la même cour a donné gain de cause au ressortissant syro-britannique Georges Gabriel Bitar contre la Bank of Beirut et la Banque libano-française, ordonnant le remboursement de plus de 12 millions de dollars.
- En novembre 2021, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné une banque libanaise à rembourser 2,7 millions de dollars à une déposante résidant en France depuis 45 ans, estimant que la banque avait dirigé ses activités vers la France.
Ces décisions renforcent la possibilité pour les déposants étrangers de poursuivre les banques libanaises devant les juridictions de leurs pays de résidence.
Les chiffres du désastre bancaire libanais
Indicateur | Valeur estimée (2025) |
---|---|
Fonds bloqués dans les banques | 93 milliards USD |
Perte cumulée du PIB depuis 2019 | -58 % (Banque mondiale) |
Taux de change livre libanaise/USD | > 89 000 LL pour 1 USD |
Chute du crédit bancaire | -80 % entre 2018 et 2024 |
Nombre de banques poursuivies à l’étranger | Plus de 25 procédures |
L’affaire Alesayi remet en lumière les effets de décennies de corruption, de mauvaise gestion et de clientélisme. Riad Salamé, ancien gouverneur de la Banque centrale du Liban, est accusé d’avoir détourné des centaines de millions de dollars. Il aurait utilisé plusieurs entités bancaires locales et étrangères, dont Banque Audi (Suisse), comme relais pour ses opérations occultes.