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Banque du Liban et FMI : dialogue de sourds sur la réforme bancaire

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Un dialogue technique gelé par des désaccords politiques

Les négociations entre la Banque du Liban et le Fonds monétaire international sont à l’arrêt, selon des sources concordantes. Malgré plusieurs cycles de discussions, aucune avancée majeure n’a été enregistrée depuis le début de l’année. La principale pierre d’achoppement réside dans la réforme du secteur bancaire : le FMI exige une restructuration rapide et profonde, tandis que la Banque centrale plaide pour une approche progressive, visant à éviter, selon elle, une déstabilisation immédiate au détriment de la croissance économique.

Les représentants du FMI conditionnent tout décaissement d’aide à une réduction drastique du nombre de banques commerciales, jugées en surnombre par rapport à la taille de l’économie libanaise. Ils estiment que la consolidation du secteur est une étape indispensable pour restaurer la confiance, attirer de nouveaux capitaux, et garantir la solvabilité des établissements restants.

En face, la Banque du Liban refuse toute méthode jugée brutale. Elle met en avant les risques sociaux et politiques d’une vague de faillites : pertes massives pour les déposants, vague de licenciements dans le secteur bancaire, tensions avec les actionnaires et les élites locales, souvent directement impliquées dans la gouvernance des institutions financières.

Une approche progressive contre une urgence systémique

Le gouverneur intérimaire de la Banque du Liban défend une stratégie d’assainissement progressif. Selon lui, la priorité doit être donnée à la recapitalisation partielle des banques, à l’amélioration des ratios de solvabilité, et à la restructuration interne des bilans. Cette méthode vise à maintenir la stabilité du système, en laissant le temps aux banques viables de se redresser, tout en éliminant progressivement les institutions insolvables.

Mais le FMI considère cette méthode comme trop lente, inefficace et politiquement biaisée. Il pointe l’absence de mesures concrètes depuis la crise de 2019 : aucune fusion bancaire majeure, aucun audit complet publié, aucune sanction contre les établissements ayant transféré illégalement des capitaux à l’étranger. Pour l’institution internationale, ce statu quo entretient une illusion de normalité, alors que les fondamentaux du système bancaire restent gravement compromis.

Sans aide du FMI, les économistes estiment que certaines banques pourraient faire faillite dès l’année prochaine avec un retour à une situation pré-crise en 2045 environ. Un accord partiel avec le FMI ne fera pas mieux que reporter ces échéances de faillite bancaire à 2030 et le retour à une situation pré-crise vers 2035 alors que seul un accord total avec le FMI pourra relancer l’économie libanaise dès 2030 en évitant des faillites bancaires.

Le nœud de la responsabilité des pertes

Un autre point de friction concerne la répartition des pertes accumulées. Le FMI exige une reconnaissance explicite des pertes enregistrées sur les actifs de la Banque du Liban, et leur répartition selon une hiérarchie claire : d’abord les actionnaires, puis les grandes fortunes, et enfin l’État. La Banque centrale, quant à elle, tente de minimiser l’impact de cette hiérarchie, et explore des mécanismes de compensation différée, via des obligations longues ou des swaps d’actifs.

Ce désaccord technique est en réalité profondément politique. La reconnaissance des pertes obligerait le secteur bancaire à désigner des responsables, à engager des procédures judiciaires ou à imposer des décotes massives aux dépôts non garantis. Cela provoquerait une onde de choc dans une société déjà fragilisée, et risquerait d’aggraver la défiance envers l’ensemble des institutions.

L’enjeu de la transparence et des audits bancaires

Le FMI a demandé à plusieurs reprises la publication intégrale des audits des principales banques commerciales, ainsi que celui de la Banque du Liban lui-même. Ces documents, qui existent partiellement sous forme confidentielle, n’ont jamais été rendus publics dans leur intégralité. La Banque centrale invoque des raisons de stabilité et de confidentialité, mais cette rétention est interprétée par le FMI comme une tentative de masquer l’ampleur réelle des pertes.

Sans ces audits, les institutions financières internationales refusent de s’engager davantage. Elles estiment que toute assistance au Liban risquerait d’alimenter un système bancaire opaque, peu réformé et exposé aux conflits d’intérêts. De leur côté, les autorités libanaises reprochent au FMI une posture dogmatique, qui ne tiendrait pas compte de la complexité du tissu bancaire libanais, composé de banques familiales, communautaires et régionales aux réseaux imbriqués.

Derrière la crise, l’Exclusion des responsables de la crise

le point de tension majeur entre le FMI et la Banque du Liban sous-jacent concerne en réalité le traitement des acteurs à l’origine de la crise. Le Fonds monétaire international insiste sur la nécessité d’écarter les dirigeants bancaires et les actionnaires directement impliqués dans la gestion défaillante des établissements, ainsi que ceux ayant contribué à l’effondrement de la confiance publique.

Pour le FMI, toute réforme crédible passe par un renouvellement des équipes dirigeantes, la fin de l’impunité et l’établissement de mécanismes de responsabilité. En revanche, la Banque centrale semble privilégier une approche plus conciliante, voire protectrice, envers les figures historiques du secteur. Elle évite de cibler explicitement les responsables passés, invoquant le risque d’instabilité et la nécessité de préserver les structures existantes. Ce refus d’épuration du secteur bancaire est perçu par le FMI comme un obstacle structurel à la refondation du système.

Un système bancaire hypertrophié en voie d’asphyxie

Avant la crise, le Liban comptait 63 banques pour environ 6 millions d’habitants. Ce ratio, l’un des plus élevés au monde, a été longtemps présenté comme un atout, illustrant la robustesse du secteur financier. En réalité, il reflétait un système fondé sur des dépôts massifs, des opérations spéculatives et une dépendance excessive à la dette publique.

Depuis 2019, la fuite des capitaux, les restrictions sur les retraits en devises, et l’effondrement de la livre libanaise ont mis à nu la fragilité du système. Les banques sont désormais en situation de paralysie : incapables d’honorer leurs engagements, sous pression judiciaire, et en perte de confiance totale de la part des citoyens. La Banque du Liban continue d’accorder un statut légal à des institutions financièrement exsangues, au nom de la stabilité, mais cette décision est perçue par le FMI comme un maintien artificiel sous perfusion.

Le coût du temps perdu : isolement financier persistant

L’absence d’accord avec le FMI isole le Liban des circuits financiers internationaux. Aucun grand bailleur de fonds, aucune banque de développement, aucun pays donateur ne souhaite investir ou prêter sans validation préalable du Fonds. Ce verrou financier empêche le redémarrage des investissements étrangers, retarde la reconstruction des infrastructures, et aggrave la crise de liquidité.

En maintenant une position prudente voire dilatoire, la Banque centrale bloque indirectement l’ensemble de l’agenda économique. Cette paralysie entretient une perception de non-réformabilité du système libanais, ce qui accroît la fuite des capitaux, ralentit la consommation, et accentue la dollarisation informelle.

Les banques libanaises en attente d’un signal politique

Du côté des établissements bancaires, la situation est marquée par l’attentisme. Les dirigeants des principales banques refusent de prendre des mesures unilatérales : aucune restructuration, aucun plan de recapitalisation sérieux, et encore moins d’initiatives de fusion. Tous attendent une directive claire de la Banque centrale ou un accord politique pour définir la suite.

Cette passivité est renforcée par le flou juridique entourant les responsabilités : qui doit payer les pertes ? Selon quelles modalités ? Avec quelle protection pour les anciens déposants ? En l’absence de réponse, chaque banque adopte une posture défensive, protégeant ses actifs restants et limitant les activités à la simple gestion courante. Ce gel du secteur contribue au blocage de l’économie réelle, notamment pour les PME, les importateurs, et les jeunes entrepreneurs.

Une réforme impossible sans refondation politique

Le FMI considère que la réforme bancaire ne peut être menée sans une refondation politique globale. L’indépendance de la Banque centrale, la crédibilité du Parlement, la transparence de l’exécutif et l’autonomie des juridictions financières sont des conditions préalables à tout programme d’aide. Or, au Liban, ces quatre piliers sont aujourd’hui affaiblis.

La situation actuelle est un symptôme de la crise systémique : l’incapacité de l’appareil politique à produire des décisions stratégiques, à assumer les responsabilités passées, et à construire un consensus de sortie de crise. Le système bancaire reste à la fois victime et vecteur de cette impasse, piégé entre inertie et opacité.

Le spectre d’une solution imposée de l’extérieur

Certains analystes estiment que, faute d’accord volontaire, le Liban finira par se voir imposer un modèle de réforme bancaire par ses créanciers. Cette pression pourrait venir non seulement du FMI, mais aussi des bailleurs arabes, des autorités de régulation étrangères, ou des marchés eux-mêmes. Une crise bancaire incontrôlée, déclenchée par une nouvelle vague de retraits, forcerait une restructuration dans l’urgence, avec des conséquences sociales incontrôlables. Ce scénario pourrait se réaliser dès mi-2026 en raison des risques d’épuisement des dernières liquidités d’établissements financiers selon les scénarios qui circulent actuellement.

Cette perspective reste évitée par les autorités, mais elle est désormais intégrée dans les scénarios de crise des institutions internationales. Le temps qui passe joue contre le Liban : chaque mois sans réforme aggrave la désintégration du système bancaire, rend la reconstruction plus coûteuse, et réduit la marge de manœuvre.

Une impasse technique sur fond d’impuissance politique

La divergence entre le FMI et la Banque du Liban dépasse le simple cadre financier. Elle illustre une crise plus profonde : celle d’un État incapable de faire des choix, de nommer les responsables, et d’assumer les coûts d’une transition. La réforme bancaire est un test de crédibilité nationale, et pour l’instant, ce test est échoué.

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Newsdesk Libnanews
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