Le mercredi 7 mai 2025, deux avions de ligne en provenance des Émirats arabes unis ont atterri à l’aéroport international Rafic Hariri de Beyrouth, mettant fin à plus de trois années d’interruption de vols directs entre les deux pays. Cet événement marque non seulement la levée officielle de l’interdiction de voyage imposée par Abu Dhabi en 2021, mais aussi un tournant diplomatique dans les relations bilatérales, avec en toile de fond une volonté affirmée de relancer le tourisme, les investissements et la coopération sécuritaire.
À leur arrivée, les premiers voyageurs émiratis ont été accueillis avec des bouquets de fleurs et un dispositif d’accueil officiel symbolisant la chaleur libanaise. Les passagers ont exprimé leur satisfaction et leur émotion à l’idée de pouvoir revenir au Liban après « les derniers changements politiques positifs, notamment l’élection d’un nouveau président ».
Une levée d’interdiction après des années de tensions
En octobre 2021, les Émirats arabes unis avaient imposé une interdiction formelle de voyage vers le Liban à leurs ressortissants, en solidarité avec l’Arabie saoudite. Cette décision faisait suite aux déclarations d’un ancien ministre libanais critiquant l’intervention militaire saoudienne au Yémen, ce qui avait conduit à un gel partiel des relations diplomatiques et au rappel de plusieurs ambassadeurs.
Si les Libanais n’étaient pas formellement interdits de se rendre aux Émirats, les procédures de visa s’étaient durcies, ralentissant considérablement les échanges entre les deux pays. Le retour des vols directs et la levée de l’interdiction ce 7 mai 2025 actent une normalisation diplomatique progressive entre Beyrouth et Abu Dhabi.
Une évolution impulsée par Joseph Aoun
Ce réchauffement des relations trouve son origine dans la rencontre, la semaine précédente, entre le président libanais Joseph Aoun et son homologue émirati Mohamed ben Zayed à Abu Dhabi. Cette visite officielle, la première du nouveau chef de l’État libanais dans le Golfe, avait pour objectif de rétablir la confiance politique et de négocier une reprise des échanges à tous les niveaux.
Selon des sources proches du dossier, la réunion aurait abouti à un accord de principe sur la relance des vols, des investissements ciblés dans le secteur du tourisme, et la reprise de projets de coopération interrompus depuis 2020. Cette visite s’est tenue dans un climat diplomatique favorable, le Liban s’étant engagé à sécuriser les flux touristiques, notamment autour de l’aéroport et sur les grands axes routiers menant aux destinations touristiques libanaises.
Une volonté politique affirmée à l’aéroport de Beyrouth
À l’occasion de l’arrivée des vols émiratis, le ministre de l’Information, Paul Morcos, s’est exprimé à l’aéroport, saluant « un moment de confiance retrouvée » entre les deux pays. Il a déclaré : « La reprise des vols émiratis contribue à bâtir une relation de confiance entre le Liban et les Émirats. Des comités ministériels assurent un suivi permanent pour éliminer tous les obstacles susceptibles d’entraver les déplacements des citoyens du Golfe. »
Il a également ajouté que le Liban « est engagé à réactiver le tourisme et à renforcer ses liens avec tous les pays du Golfe. Nous appelons à encourager les visites au Liban. Le pays accueille chaleureusement les Émiratis et tous les ressortissants du CCG. »
Le Golfe prêt à emboîter le pas ?
Selon le quotidien libanais Nidaa al-Watan, les autres pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) suivraient de près le mouvement initié par les Émirats. Des « réunions intensives » ont lieu entre les ambassadeurs du CCG à Beyrouth et les responsables sécuritaires libanais, notamment en ce qui concerne les mesures prises autour de l’aéroport et sur les itinéraires empruntés par les touristes.
Le Premier ministre Nawaf Salam devait recevoir ce mardi 6 mai les représentants diplomatiques des pays du Golfe pour leur présenter le dispositif sécuritaire mis en place, dans l’objectif de lever les dernières restrictions encore en vigueur. Une source bien informée, citée par le journal, a confirmé que « des réunions supplémentaires entre ambassadeurs et hauts responsables de la sécurité libanaise permettront de lever les obstacles légaux et logistiques restants. »
Une infrastructure aéroportuaire renforcée
Parmi les mesures déjà en œuvre, la Sûreté générale libanaise a renforcé sa présence à l’aéroport de Beyrouth. Des patrouilles mixtes sont visibles dans les terminaux, les parkings, ainsi que sur la route menant de l’aéroport au centre-ville. Le ministère de l’Intérieur a également annoncé l’installation de nouvelles caméras de surveillance, la réactivation d’une unité de police touristique et la mise en place d’un centre de coordination sécuritaire intergouvernemental actif dès la mi-mai.
Une opportunité économique majeure pour le Liban
Le retour des touristes émiratis représente une bouffée d’oxygène pour le secteur touristique libanais, l’un des plus touchés par la crise économique et politique des dernières années. Historiquement, les visiteurs du Golfe — notamment les Émiratis, Saoudiens et Koweïtiens — représentaient jusqu’à 35 % des recettes touristiques annuelles du Liban avant 2019.
Selon les chiffres du ministère du Tourisme, les touristes du Golfe dépensent en moyenne 2,8 fois plus par séjour que les visiteurs européens, avec un panier moyen de 2 300 USD par personne. Leur retour est donc attendu avec impatience par les hôteliers, les restaurateurs, les agences de voyage et les commerçants.
Année | Visiteurs du Golfe | Revenus touristiques estimés (USD) |
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2018 | 700 000 | 7,3 milliards |
2020 | 140 000 | 1,1 milliard |
2023 | 220 000 | 2,7 milliards |
2024 | 330 000 | 4,2 milliards (provisoire) |
Source : Ministère du Tourisme libanais – Données préliminaires avril 2025
La diplomatie touristique comme outil de relance
L’État libanais mise sur la diplomatie touristique pour sortir de l’isolement régional et redynamiser son image. L’initiative émiratie pourrait créer un effet domino en incitant Bahreïn, le Koweït et l’Arabie saoudite à lever eux aussi leurs interdictions de voyage, ce qui renforcerait la saison estivale 2025 et poserait les bases d’une reprise économique progressive.
Le ministère du Tourisme prévoit également des campagnes de promotion ciblées dans les médias du Golfe, sur les plateformes numériques arabes et par le biais d’influenceurs du secteur du luxe et du lifestyle. Des partenariats sont en cours avec des chaînes hôtelières internationales pour relancer des circuits « tout compris » vers les destinations phares : Jounieh, Broummana, Cèdres, Batroun, et Beyrouth.
Des attentes fortes dans le secteur privé
Dans le centre-ville de Beyrouth, les hôteliers et restaurateurs interrogés mercredi affichaient un optimisme prudent. « Nous avons rouvert trois étages fermés depuis 2020 », indique Georges K., directeur d’un grand hôtel à Verdun. « Si les Saoudiens suivent, on pourra parler de vraie reprise. Pour l’instant, on reste vigilants. »
Du côté des agences de voyage, des accords sont en cours de renégociation avec des opérateurs basés à Dubaï et Abu Dhabi pour organiser des packages estivaux familiaux, avec services VIP à l’arrivée et visites guidées dans des zones sécurisées.
Le contexte régional : vers une détente durable ?
La décision des Émirats intervient dans un climat régional en recomposition. Le Hezbollah, affaibli par le conflit avec Israël en septembre 2024, semble avoir perdu de son influence dans les rouages exécutifs. Cette évolution est perçue comme un signal rassurant pour les États du Golfe, longtemps critiques vis-à-vis de son rôle au Liban.
La présidence de Joseph Aoun est interprétée par plusieurs chancelleries comme un tournant institutionnel et diplomatique, plus favorable à un dialogue avec les pays du Golfe. Son approche pragmatique, fondée sur des engagements sécuritaires clairs et un discours économique orienté vers les réformes, semble porter ses premiers fruits.