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Edito: de Charlie Chaplin à Mahmoud Khalil, une dérive morale des Etats-Unis

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Il fut un temps où les États-Unis se présentaient comme le phare de la liberté, un sanctuaire où la parole, même dissonante, trouvait refuge. Cette promesse, gravée dans le marbre de leur Constitution, semblait incarner un idéal universel : le droit de penser, de s’exprimer, de contester. Pourtant, à travers les âges, ce miroir s’est fissuré, révélant une nation prompte à sacrifier ses principes sur l’autel de la peur, de la politique ou de l’idéologie. Hier, Charlie Chaplin, génie du rire et de la satire, fut broyé par la machine du maccarthysme pour avoir osé défier l’ordre établi. Aujourd’hui, Mahmoud Khalil, un jeune Palestinien résidant légalement aux États-Unis, se voit menacé d’expulsion pour avoir soutenu la cause de Gaza, victime d’une nouvelle chasse aux sorcières déguisée en impératif sécuritaire. Que nous dit cette répétition historique ? Que les États-Unis, loin de progresser vers une maturité démocratique, s’enfoncent dans une spirale où le délit d’opinion devient une arme d’État. Cet éditorial se veut un cri d’alarme, une interpellation morale : jusqu’où cette dérive ira-t-elle avant que la nation ne se perde elle-même ?

Charlie Chaplin : le bouffon exilé par la peur

Remontons le temps. Nous sommes dans les années 1950, en pleine guerre froide. Les États-Unis, hantés par le spectre du communisme, se lancent dans une croisade paranoïaque sous la houlette du sénateur Joseph McCarthy. Toute voix discordante devient suspecte, chaque artiste un potentiel traître. Charlie Chaplin, cet immigré britannique devenu icône mondiale grâce à son Charlot, en fait les frais. Son tort ? Avoir osé, à travers ses films, critiquer les injustices sociales, moquer l’industrialisation sauvage et, pire encore, refuser de plier devant l’hystérie anticommuniste. Les Temps modernes (1936) dénonçait déjà l’aliénation des travailleurs dans une société capitaliste impitoyable ; Le Dictateur (1940) ridiculisait Hitler et les tyrans avec une audace prophétique. Mais dans l’Amérique de McCarthy, ces chefs-d’œuvre ne sont plus vus comme des actes de génie : ils deviennent des preuves à charge.

Chaplin n’était pas communiste. Il était humaniste, un mot qui, dans le climat de l’époque, sonnait comme une insulte. On lui reprocha ses sympathies supposées, ses amitiés douteuses, son refus de prêter serment d’allégeance aveugle. En 1952, alors qu’il se rendait à Londres pour la première de Limelight, les autorités américaines lui interdirent de revenir sur le sol qui l’avait consacré. Exilé, humilié, il passa ses dernières années en Suisse, loin de cette Amérique qu’il avait tant aimée et critiquée. Le maccarthysme ne s’est pas contenté de briser des carrières ; il a voulu effacer des consciences, faire taire ceux qui osaient voir le monde autrement. Chaplin, avec son rire subversive, était une menace trop grande pour un pays qui préférait la conformité à la liberté.

Et pourtant, que reste-t-il de cette période dans la mémoire collective ? Une tache sombre, une leçon d’histoire que les manuels scolaires évoquent avec embarras. On enseigne aux générations suivantes que le maccarthysme fut une aberration, un égarement passager. Mais alors, pourquoi les États-Unis semblent-ils incapables d’en tirer les leçons ? Pourquoi, sept décennies plus tard, assistons-nous à une résurgence de ces mêmes mécanismes d’intolérance, cette fois sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme ou la défense d’intérêts géopolitiques ?

Mahmoud Khalil : un écho contemporain

Aujourd’hui, en mars 2025, un autre nom résonne dans cette tragédie moderne : Mahmoud Khalil. Ce jeune Palestinien, résident permanent aux États-Unis grâce à une carte verte, est devenu une figure de proue des manifestations pro-palestiniennes à l’Université Columbia. Son crime ? Avoir pris la parole, avec d’autres étudiants, pour dénoncer le sort des Palestiniens à Gaza, exiger un cessez-le-feu et demander à son université de couper ses liens financiers avec Israël. Une voix parmi tant d’autres, dira-t-on, dans un mouvement qui a secoué les campus américains au printemps 2024. Mais cette voix, l’administration Trump, fraîchement revenue au pouvoir, a décidé de la réduire au silence.

Le 8 mars 2025, des agents de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) ont arrêté Khalil dans son appartement universitaire à New York. Sans mandat clair, sans chef d’accusation précis, il a été menotté sous les yeux de sa femme enceinte, citoyenne américaine, et expédié dans un centre de détention en Louisiane. Le motif officiel ? Une vague accusation de « soutien à Hamas », une organisation classée terroriste par les États-Unis, sans qu’aucune preuve tangible ne soit présentée. Le secrétaire d’État Marco Rubio a déclaré sur les réseaux sociaux que les visas et cartes vertes des « soutiens de Hamas » seraient révoqués, tandis que Donald Trump, fidèle à sa rhétorique incendiaire, a promis que cette arrestation serait « la première d’une longue série ». Mahmoud Khalil, un homme sans casier judiciaire, marié à une Américaine, père en devenir, est ainsi devenu un symbole : celui d’une Amérique qui punit l’opinion autant que les actes.

Les parallèles avec Chaplin sautent aux yeux. Comme lui, Khalil est un étranger sur le sol américain, un homme dont la parole dérange. Comme lui, il est accusé non pas de crimes concrets, mais d’une pensée jugée subversive. Hier, le communisme servait de bouc émissaire ; aujourd’hui, c’est le soutien aux Palestiniens de Gaza qui est diabolisé. Les outils ont changé – l’ICE remplace les auditions du Congrès –, mais l’intention reste la même : intimider, ostraciser, expulser. Et dans cette répétition, une question lancinante émerge : les États-Unis ont-ils jamais vraiment cru en leur propre idéal de liberté, ou cet idéal n’est-il qu’une façade, prête à s’effondrer dès que la dissidence menace l’ordre établi ?

Le délit d’opinion : une vieille plaie rouverte

Le concept de délit d’opinion n’est pas une invention américaine, mais les États-Unis semblent y exceller avec une constance troublante. Sous le maccarthysme, des milliers de citoyens – artistes, enseignants, fonctionnaires – furent interrogés, blacklistés, ruinés, non pas pour ce qu’ils avaient fait, mais pour ce qu’ils pensaient ou étaient soupçonnés de penser. La peur du « Rouge » justifiait tout : les écoutes, les dénonciations, les purges. Aujourd’hui, la peur du « terroriste » ou de l’« antisémite » joue le même rôle. Mahmoud Khalil n’a pas été arrêté pour avoir commis un acte violent ou illégal ; il a été arrêté pour avoir exprimé une solidarité avec les Palestiniens, un peuple dont le sort – près de 50 000 morts à Gaza depuis octobre 2023, selon les chiffres officiels – émeut une partie croissante de la jeunesse mondiale.

Cette solidarité est-elle un crime ? Dans une démocratie digne de ce nom, la réponse serait un non retentissant. La liberté d’expression, pilier de la Première Amendement, protège les opinions, même celles qui heurtent, même celles qui dérangent les puissants. Pourtant, l’administration Trump invoque une clause obscure de la loi sur l’immigration, permettant de déporter un résident permanent si sa présence est jugée contraire aux « intérêts de politique étrangère » des États-Unis. Une formulation si vague qu’elle pourrait s’appliquer à quiconque critique une politique alliée, qu’il s’agisse d’Israël, de l’Arabie saoudite ou de tout autre partenaire stratégique. Si Khalil peut être expulsé pour avoir appelé à la fin d’une guerre, qui sera le prochain ? Un étudiant dénonçant les frappes en Ukraine ? Un militant écologiste critiquant les lobbies pétroliers ? La pente est glissante, et les États-Unis y dévalent à une vitesse alarmante.

Ce n’est pas seulement une question juridique ; c’est une question morale. Punir quelqu’un pour ses idées, c’est renier l’essence même de ce qui fait une société libre. C’est admettre que la vérité officielle prime sur la diversité des voix, que la sécurité l’emporte sur la justice. Les défenseurs de Khalil, des groupes de défense des droits civiques aux avocats constitutionnalistes, crient au scandale : son arrestation « pue le maccarthysme », selon les mots de la New York Civil Liberties Union. Ils ont raison. Mais où est la colère collective ? Où est la mobilisation qui devrait secouer une nation face à une telle trahison de ses valeurs ?

Gaza, le miroir des consciences

Au cœur de cette affaire, il y a Gaza. Un territoire exsangue, où les bombes israéliennes, souvent financées par l’aide militaire américaine, ont réduit des villes en ruines et des familles en cendres. Mahmoud Khalil, né dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, porte en lui cette histoire de dépossession, cette mémoire de la Nakba de 1948. Lorsqu’il parle de Gaza, il ne parle pas d’un conflit abstrait ; il parle de son peuple, de sa douleur, de son humanité. Et pourtant, aux États-Unis, cette parole est devenue radioactive. Soutenir les Palestiniens, dénoncer les politiques d’Israël, c’est risquer d’être taxé d’antisémite, de sympathisant du terrorisme, de menace nationale. Le débat est étouffé, les nuances écrasées sous le poids d’une binarité imposée : pour ou contre Israël, pour ou contre l’Amérique.

Charlie Chaplin, en son temps, avait su défier cette binarité. Son Dictateur ne se contentait pas de moquer Hitler ; il plaidait pour une humanité universelle, au-delà des frontières et des idéologies. S’il vivait aujourd’hui, que dirait-il de Gaza ? Que dirait-il d’un pays qui emprisonne un homme pour avoir pleuré les morts d’un peuple oublié ? Chaplin, avec sa caméra et son génie, nous rappellerait peut-être que le silence face à l’injustice est une complicité. Mahmoud Khalil, lui, n’a pas choisi le silence. Il a choisi de parler, de manifester, de négocier avec les autorités de Columbia pour faire entendre une cause que beaucoup préfèrent ignorer. Et pour cela, il paie le prix fort.

Une nation à la croisée des chemins

Les États-Unis se trouvent aujourd’hui à un carrefour moral. Vont-ils persévérer dans cette voie autoritaire, où la dissidence est criminalisée et les étrangers utilisés comme boucs émissaires ? Ou vont-ils se souvenir de ce qu’ils prétendent être : une terre de liberté, un refuge pour les persécutés, un espace où la parole, même impopulaire, est sacrée ? L’arrestation de Mahmoud Khalil n’est pas un incident isolé ; elle est un symptôme, un avertissement. Si un résident permanent, marié à une Américaine, peut être arraché à sa vie pour avoir exprimé une opinion, alors personne n’est à l’abri. Étudiants internationaux, militants, journalistes : tous pourraient devenir des cibles dans cette nouvelle ère de répression.

Le parallèle avec le maccarthysme n’est pas une exagération. Comme dans les années 1950, la peur – hier du communisme, aujourd’hui du terrorisme ou de l’antiaméricanisme – sert de prétexte à des abus de pouvoir. Comme alors, les institutions censées protéger les libertés – les universités, les tribunaux, la presse – vacillent sous la pression politique. Columbia, par exemple, a cédé aux injonctions du gouvernement Trump, livrant des dossiers d’étudiants et acceptant des coupes budgétaires massives pour « inaction » face aux manifestations. Où est le courage ? Où est la résistance qui devrait animer une démocratie face à de telles dérives ?

Et nous, citoyens du monde, que faisons-nous ? Nous contentons-nous de regarder, de hausser les épaules, de dire que c’est loin, que cela ne nous concerne pas ? Ou prenons-nous la mesure de ce que cette histoire signifie pour l’avenir de la liberté partout sur la planète ? Car si les États-Unis, avec leur puissance et leur influence, succombent à la tentation autoritaire, quel espoir reste-t-il pour les nations moins armées face à leurs propres tyrans ?

Un appel à la conscience

Il est temps de se réveiller. Mahmoud Khalil n’est pas un terroriste ; c’est un homme qui croit en la justice, qui refuse de fermer les yeux sur la souffrance. Charlie Chaplin n’était pas un traître ; c’était un artiste qui osait rire des puissants. Ces deux figures, séparées par un siècle, nous tendent un miroir : que faisons-nous de nos libertés ? Les laissons-nous s’éroder sous prétexte de sécurité, d’ordre, de conformité ? Ou les défendons-nous, même lorsque cela nous coûte, même lorsque cela nous oblige à affronter nos propres contradictions ?

Les États-Unis doivent choisir. Ils peuvent libérer Mahmoud Khalil, reconnaître que son arrestation est une erreur, une tache sur leur histoire. Ils peuvent se rappeler que la grandeur d’une nation ne se mesure pas à sa capacité à faire taire ses critiques, mais à sa volonté de les entendre. Ou ils peuvent persister, s’enfoncer dans cette spirale répressive, et prouver au monde que leur discours sur la liberté n’était qu’un mensonge. Hier, ils ont exilé Chaplin, et le monde a pleuré un génie. Aujourd’hui, ils emprisonnent Khalil, et le monde observe, inquiet. Demain, qui sera le prochain ? Et surtout, qui osera encore parler ?

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