Le « Coalition pour l’Indépendance Judiciaire » a récemment publié un communiqué dénonçant l’exclusion de la « Haute Cour de l’État » (l’Autorité de la représentation juridique de l’État) du procès contre Riyad Salameh, l’ex-gouverneur de la Banque du Liban (BdL), et ses complices, accusés de détournement de fonds publics. Cette affaire, qui symbolise la lutte contre la culture de l’impunité des crimes financiers au Liban, révèle un système judiciaire sous pression, manipulé par des intérêts politiques et économiques puissants.

Un système judiciaire sous pression

Le juge d’instruction de Beyrouth, Bilal Halawi, a récemment rejeté la participation de l’Autorité des Litiges de l’État à l’interrogatoire de Riyad Salameh. Ce refus est basé sur l’exigence que cette autorité obtienne l’approbation du ministre des Finances avant d’agir en justice contre Salameh, une position qui soulève des questions importantes sur l’indépendance et la neutralité de cette institution. Si la représentation de l’État est soumise aux caprices des ministres, le risque est grand de voir les intérêts publics compromis pour des raisons politiques.

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Le communiqué souligne que cette situation n’est pas sans précédent. Lors de l’affaire des commissions « Forry », Salameh et le ministère public avaient déjà contesté le rôle de l’Autorité des Litiges. À l’époque, le ministre des Finances, Youssef Khalil, avait pourtant autorisé l’Autorité à prendre les décisions nécessaires pour protéger les droits de l’État. Cette question de procédure, en apparence technique, révèle un enjeu fondamental : la capacité de l’État à se défendre face à ses propres fonctionnaires, sans être entravée par des influences politiques.

Des accusations lourdes : les banques et les élites financières en ligne de mire

L’exclusion de l’Autorité des Litiges de l’affaire Salameh pourrait également être perçue comme une tentative plus large de protéger des intérêts particuliers. En effet, de nombreuses accusations visent les proches de la BdL, y compris des politiciens, des banques, des changeurs agréés, et des entrepreneurs qui ont profité des programmes économiques lancés par la BdL dans les années 2010.

Ces programmes, qui visaient à stabiliser l’économie libanaise, ont, en réalité, permis à une élite restreinte d’accumuler des richesses au détriment du bien commun. Les banques, par exemple, ont été largement critiquées pour avoir contribué à l’effondrement économique en détournant des fonds publics et en empêchant les déposants d’accéder à leurs économies. Les changeurs agréés, quant à eux, ont manipulé les taux de change pour en tirer des bénéfices substantiels, tandis que les citoyens ordinaires subissaient les conséquences de la dévaluation de la livre libanaise.

Un système financier en faillite morale

Avec l’accumulation des scandales, il est devenu évident que la confiance ne pourra jamais être rétablie dans le système bancaire libanais tant que les mêmes acteurs restent aux commandes. Les tentatives de restreindre les enquêtes sur Salameh et ses proches montrent clairement qu’il y a une volonté de préserver un statu quo qui a mené à l’effondrement financier.

En 2020, la BdL était au cœur des critiques pour ses « ingénieries financières », qui ont coûté des milliards de dollars à l’économie libanaise. Ces opérations, qui se sont déroulées entre 2015 et 2019, ont contribué à la destruction des finances publiques, avec un impact direct sur les comptes de l’État déposés à la BdL. Le manque de transparence et la mauvaise gestion ont exacerbé une crise économique déjà profonde, où l’État a perdu une grande partie de ses ressources, de sa monnaie et de ses actifs.

L’ombre de l’impunité et les obstacles à la justice

Le communiqué du « Coalition pour l’Indépendance Judiciaire » soulève également des préoccupations quant aux efforts délibérés pour freiner la justice. L’Autorité des Litiges a été exclue de l’affaire, non seulement en raison des influences politiques, mais aussi par un système juridique conçu pour protéger les intérêts des élites. L’article 751 du Code de procédure civile, par exemple, est fréquemment utilisé pour bloquer les enquêtes dès leur commencement, permettant à de nombreux accusés de retarder ou de contourner le processus judiciaire.

Cette même loi a été utilisée pour paralyser l’enquête sur les commissions « Forry », où les accusés – des banques et des acteurs financiers de haut niveau – ont échappé à toute responsabilité. Si cette pratique persiste, il est peu probable que l’enquête sur Riyad Salameh et ses complices aboutisse à une quelconque justice.

La nécessité d’une réforme judiciaire et d’une transparence accrue

Pour rétablir la confiance dans les institutions financières et judiciaires du Liban, une réforme profonde du système est nécessaire. Cela inclut non seulement la fin de l’impunité des crimes financiers, mais aussi l’instauration d’une véritable indépendance judiciaire, où les enquêtes peuvent se dérouler sans interférence politique. Le système actuel, où les intérêts privés influencent la justice, ne peut mener qu’à un cercle vicieux de corruption et de destruction économique.

Il est impératif que les enquêtes sur Riyad Salameh, les banques et les autres acteurs impliqués dans la destruction économique du Liban se poursuivent sans entraves. La vérité doit être dévoilée, et les responsables doivent être tenus de rendre des comptes. Sans cela, le Liban continuera de sombrer dans un abîme financier et politique, où la confiance ne sera jamais restaurée.

Newsdesk Libnanews
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