Un soulagement psychologique pour les eurobonds et les dépôts bancaires libanais, sans inflexion économique concrète
La décision du département du Trésor américain de lever temporairement certaines sanctions économiques imposées à la Syrie, via l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), a déclenché une réaction positive immédiate sur les marchés financiers libanais. L’annonce, intervenue début mai 2025, autorise pour six mois certaines transactions commerciales et financières transitant par Damas, dans le cadre d’un mécanisme humanitaire élargi. Bien que les implications pratiques pour le Liban restent limitées, les effets psychologiques se sont fait sentir sur la valorisation des eurobonds, la liquidité bancaire et les volumes de transaction à la Bourse de Beyrouth. Dans un marché dominé par l’anticipation et la nervosité géopolitique, l’effet d’annonce suffit souvent à inverser temporairement une tendance.
Eurobonds : rebond technique après des mois de stagnation
Les obligations souveraines libanaises en dollars (eurobonds) ont enregistré une hausse de 2 à 3 points sur leurs prix de marché dès la semaine du 6 mai. L’eurobond échéance 2030 est passé de 12,5 cents à 14,8 cents par dollar, tandis que celui de 2029 est remonté à 13,6 cents. Ces niveaux restent extrêmement faibles et reflètent un marché en situation de défaut depuis 2020, mais la hausse témoigne d’un rebond technique alimenté par les investisseurs spéculatifs à la recherche de « distressed assets ». La nouvelle a relancé brièvement les échanges sur le marché secondaire, où les volumes traités étaient tombés à des niveaux quasi-inexistants depuis janvier.
Marché monétaire : regain de confiance dans les dépôts résidents
Les banques libanaises ont enregistré, selon la Banque du Liban, une augmentation hebdomadaire de 1,7 % des dépôts résidents en livres libanaises, et de 0,9 % en devises, au cours de la deuxième semaine de mai. Il ne s’agit pas d’un retournement de tendance structurel, mais d’un effet ponctuel lié à la perception d’un allégement des tensions régionales et d’une possible ouverture future des flux commerciaux entre Liban et Syrie. Le corridor commercial libano-syrien représente une voie logistique essentielle pour les exportateurs libanais vers la Jordanie et le Golfe. Si la réouverture facilitée de ce couloir se confirme, elle pourrait générer des effets réels sur les liquidités des entreprises exportatrices et, indirectement, sur les dépôts.
Bourse de Beyrouth : regain d’activité sans changement de valorisation
L’indice BLOM Stock Index (BSI), qui regroupe les principales actions cotées à la Bourse de Beyrouth, a progressé de 2,1 % sur la semaine suivant l’annonce, dopé par une augmentation du volume d’échanges, notamment sur les titres Audi, Byblos et Solidere. Le cours de Solidere A est repassé au-dessus des 65 000 LBP, mais reste loin de ses pics de janvier. Aucun élément fondamental ne justifie une révision de valorisation des actifs, mais dans un marché ultra-réduit et dominé par les anticipations politiques, la perception d’un apaisement régional suffit à relancer les volumes. Le nombre de transactions journalières a doublé entre le 6 et le 10 mai, atteignant 2 430 échanges, contre une moyenne de 1 200 en avril.
Une détente psychologique, mais pas de moteur structurel
Malgré cette embellie superficielle, les analystes interrogés par la Lebanese Capital Markets Association s’accordent sur un point : il ne s’agit que d’une correction technique, sans moteur économique durable. La situation des finances publiques libanaises demeure catastrophique, le pays reste sans budget voté pour 2025, et aucun programme de restructuration n’a été adopté. Les eurobonds restent traités à des niveaux de défaut (entre 13 et 18 % de leur valeur nominale), les banques sont en quasi-banqueroute, et la BDL poursuit une politique de refinancement minimal sans visibilité monétaire. La levée partielle des sanctions sur la Syrie ne modifie pas ces fondamentaux, mais renforce un peu le moral de certains acteurs de marché, ce qui peut suffire à créer un élan de court terme.
Corridors commerciaux et transferts : les effets secondaires attendus
Les corridors commerciaux entre Liban et Syrie sont essentiels pour les exportateurs de produits alimentaires, de ciment, d’engrais et de matériaux de construction. En 2024, près de 22 % des exportations libanaises vers les pays du Golfe transitaient par la Syrie. La levée partielle des sanctions pourrait faciliter ces flux, accélérer les délais douaniers, réduire les coûts de transport et améliorer les marges des exportateurs. Cela aurait un effet marginalement positif sur les recettes fiscales et sur la demande de services bancaires d’entreprise. Les transferts informels de fonds entre les deux pays (estimés à 300 millions USD par an) pourraient également devenir plus transparents et sécurisés.
Réactions institutionnelles : prudence et attente
Ni la Banque du Liban ni le ministère des Finances n’ont émis de commentaires officiels sur l’annonce américaine. Du côté des banques, le ton est resté prudent : plusieurs établissements ont salué une « fenêtre de normalisation », mais refusent de s’engager sans cadre clair. Les analystes du cabinet Byblos Financial Studies estiment que toute amélioration durable suppose une coordination régionale et un calendrier prévisible de levée des autres sanctions américaines et européennes. Sans cela, les investisseurs resteront dans l’expectative et le système financier libanais continuera d’évoluer en marge des circuits mondiaux.
Données sur les institutions clés
Banque du Liban (BDL)
Autorité monétaire libanaise
Actifs en baisse de 19 % entre janvier et mai 2025
Politique de refinancement à court terme et gestion des réserves
Bourse de Beyrouth (BSE)
Marché d’actions très peu liquide
Indice BSI : +2,1 % après annonce
Volume de transactions doublé sur la semaine du 6 mai 2025
OFAC – Office of Foreign Assets Control (USA)
Agence du département du Trésor américain
Gère les régimes de sanctions économiques
A émis la General License GL24-S le 3 mai 2025 pour la Syrie