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L’effondrement des services publics au Liban – Un système à l’agonie

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Une crise qui paralyse les services essentiels

La crise économique qui frappe le Liban depuis 2019 est qualifiée par la Banque mondiale comme l’une des pires depuis le milieu du XIXe siècle, un désastre amplifié par des décennies de mauvaise gestion, une dette publique atteignant 170 % du PIB avant la crise, et l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, qui a détruit des infrastructures vitales et coûté plus de 15 milliards de dollars en dégâts. Le PIB libanais, qui s’élevait à 55 milliards de dollars en 2018, a plongé à environ 31 milliards en 2023 selon les estimations actualisées en 2024 par l’Institut des finances internationales (IFI). La livre libanaise, autrefois arrimée à 1507 LBP pour 1 dollar, s’échange à plus de 100 000 LBP sur le marché parallèle en mars 2025, une dévaluation de plus de 95 % qui rend les importations – 80 % des besoins en nourriture, carburant et médicaments – quasi inabordables pour un pays sans production locale suffisante.

Ainsi, cette situation a directement frappé les services publics, qui dépendaient de financements étatiques et d’une économie stable. L’OMS rapporte en 2023 que plus de 60 % des hôpitaux fonctionnent à capacité réduite, un chiffre aggravé en 2024 avec la crise énergétique persistante : les coupures d’électricité atteignent 22 heures par jour, et les générateurs privés, alimentés au diesel, ne compensent plus les pénuries faute de carburant abordable.

Par exemple, les pénuries touchent des produits essentiels comme les antibiotiques (pénicilline, amoxicilline), les anesthésiques (lidocaïne, propofol) et les traitements pour maladies chroniques (insuline, antihypertenseurs), obligeant les patients à se tourner vers un marché noir où une boîte de paracétamol peut coûter jusqu’à 500 000 LBP, soit l’équivalent d’un salaire mensuel moyen au taux parallèle.

Dans le même temps, le secteur éducatif, pilier historique du Liban, est tout aussi sinistré. Avant la crise, le pays se targuait d’un système mixte où les écoles privées, souvent confessionnelles ou affiliées à des institutions étrangères (françaises, américaines), formaient une élite régionale.

Cependant, une étude de l’Université Saint-Joseph (USJ) en 2023 montre que les frais de scolarité dans ces établissements ont été multipliés par dix en raison de leur indexation sur le dollar américain, passant de 2 millions LBP (1 300 dollars) par an en 2019 à 20 millions LBP (10 000 dollars au taux parallèle) en 2024.

De plus, les écoles publiques, déjà sous-financées avant la crise avec un budget annuel de seulement 300 millions de dollars dans les années 2010, sont devenues quasi inopérantes : les salaires des enseignants, dévalués de 90 %, tombent à moins de 50 dollars par mois selon les syndicats éducatifs.

Enfin, la population, dont 82 % vit sous le seuil de pauvreté selon les Nations unies (UNICEF, 2024), doit choisir entre nourriture, générateurs privés (coûtant 200 dollars par mois) et besoins essentiels comme la santé ou l’éducation, souvent sacrifiés. Avec 1,5 million de réfugiés syriens et palestiniens parmi 6 millions d’habitants, la pression sur les infrastructures déjà exsangues reflète un État en complète déliquescence.

Les hôpitaux à bout de souffle : une catastrophe sanitaire en cours

Le secteur de la santé libanais, autrefois référence au Moyen-Orient avec des établissements comme l’Hôpital Américain de Beyrouth ou l’Hôtel-Dieu, est en chute libre. Avant 2019, le pays comptait environ 150 hôpitaux – 28 publics et le reste privés – selon le ministère de la Santé publique, attirant des patients de toute la région pour des soins spécialisés (cardiologie, oncologie). Une enquête de Médecins Sans Frontières (MSF) en 2024 révèle que 15 % des hôpitaux privés ont fermé leurs portes faute de rentabilité, tandis que 70 % des hôpitaux publics fonctionnent à moins de 50 % de leur capacité, réduits à de simples centres de premiers secours.

En effet, le manque de financement est la cause principale. Le Liban importait 85 % de ses médicaments et équipements médicaux avant la crise, un système viable grâce à des subventions publiques et une monnaie stable. Avec la fin des subventions en 2021 et l’effondrement de la livre, les coûts ont explosé : une boîte d’insuline, essentielle pour les 200 000 diabétiques estimés, est passée de 15 000 LBP (10 dollars) en 2019 à 1,5 million LBP (50 dollars) en 2024, selon les pharmaciens interrogés par L’Orient-Le Jour.

Par exemple, à l’Hôpital Rafic Hariri de Beyrouth, les patients doivent fournir leurs propres seringues (50 000 LBP l’unité), bandages (100 000 LBP le paquet) et même bouteilles d’oxygène (jusqu’à 2 millions LBP), une pratique documentée par Human Rights Watch en 2023. La crise énergétique aggrave encore la situation : avec des coupures d’électricité dépassant 22 heures par jour, les hôpitaux dépendent de générateurs privés, mais le prix du diesel – de 1 000 LBP le litre en 2019 à 20 000 LBP en 2024 – limite leur fonctionnement à 4-6 heures quotidiennes, rendant inutilisables les équipements comme les scanners ou les respirateurs.

De plus, la fuite des cerveaux est un fléau majeur. L’Ordre des médecins libanais rapporte que 4 000 médecins, soit 40 % de la profession, ont quitté le pays entre 2020 et 2024, principalement pour l’Europe (France, Allemagne), les États-Unis ou les pays du Golfe (Émirats, Arabie saoudite), attirés par des salaires décents et des conditions stables. Les infirmiers suivent la même tendance : le Syndicat des infirmiers note une baisse de 50 % des effectifs dans les hôpitaux publics, où les salaires, parfois impayés pendant six mois, ne dépassent pas 30 dollars mensuels.

Dans les zones rurales, comme la Bekaa ou le Sud, la situation est désespérée. L’hôpital de Nabatieh a suspendu les chirurgies non urgentes faute de matériel stérile ou d’anesthésiques, tandis que les urgences de Saïda sont débordées par des cas critiques – AVC, infarctus – qu’elles ne peuvent traiter efficacement faute de personnel ou d’équipements fonctionnels.

Ainsi, l’accès aux soins est devenu un privilège réservé à une élite payant en « dollars frais » (non bloqués dans les banques), soit environ 5 % de la population selon la Banque mondiale, tandis que les 95 % restants, souvent sans assurance ou économies, sont abandonnés face à la maladie, augmentant la mortalité évitable (infections, complications post-opératoires).

L’éducation en crise : un luxe de plus en plus inaccessible

Le système éducatif libanais, autrefois fleuron régional, est en ruine. Avant la crise, 70 % des élèves fréquentaient des écoles privées – confessionnelles (maronites, sunnites, chiites) ou internationales (Lycée français, écoles américaines) – selon le Centre de recherche et d’information sur l’éducation (CRDP), formant une main-d’œuvre qualifiée exportée dans le monde arabe et au-delà. L’UNICEF estimait en 2023 que 1,2 million d’enfants – un tiers des moins de 18 ans – étaient déscolarisés ou en risque, un chiffre probablement passé à 1,5 million en 2024 selon les tendances actuelles.

Dans le privé, les frais de scolarité, autrefois payables en livres libanaises, sont désormais exigés en dollars : une école moyenne facture entre 5 000 et 10 000 dollars par an (The New York Times, 2023), contre 1 000 à 2 000 dollars avant la crise, alors que le revenu mensuel moyen est tombé à 100 dollars (Banque mondiale, 2024).

Par exemple, le Collège Notre-Dame de Jamhour, établissement prestigieux, demande 12 000 dollars par élève en 2024, hors frais annexes (transport, livres), inabordable pour 90 % des familles. Le secteur public, censé être une alternative, est au bord de l’effondrement : les enseignants, dont les salaires ont perdu 90 % de leur valeur réelle (de 1 000 dollars en 2019 à 50 dollars en 2024), ont multiplié les grèves, interrompant l’année scolaire 2022-2023 pendant quatre mois et limitant les cours à deux jours par semaine en 2024.

De plus, les infrastructures publiques sont délabrées. À Beyrouth, l’école Khalil Gibran manque de chauffage en hiver (températures à 5°C), d’électricité (coupures de 20 heures) et de manuels scolaires, forçant les élèves à partager des photocopies. À Tripoli, les élèves apportent leurs propres chaises et bureaux selon Al Jazeera (2024), car les bâtiments, datant des années 1970, n’ont pas été rénovés depuis des décennies.

Dans l’enseignement supérieur, l’Université Américaine de Beyrouth (AUB) a vu ses frais passer de 18 000 dollars en 2019 à 25 000 dollars en 2024, malgré des aides financières limitées à 10 % des étudiants. L’Université Libanaise (UL), seule université publique, souffre de sous-financement chronique et de grèves récurrentes, avec une chute de 30 % des inscriptions entre 2020 et 2024, passant de 80 000 à 56 000 étudiants selon ses statistiques.

En conséquence, cette crise menace une génération entière. Le taux d’alphabétisation, qui dépassait 95 % avant 2019, risque de reculer, tandis que la fuite des jeunes diplômés – ingénieurs, médecins, informaticiens – vers le Canada, l’Australie ou le Qatar prive le pays de ses talents futurs.

Un gouvernement impuissant face à l’effondrement des services publics

Le gouvernement libanais, marqué par une paralysie politique depuis l’explosion du port de Beyrouth et l’absence d’un exécutif stable (le cabinet Mikati, formé en 2021, reste en gestion courante en 2025), est incapable de juguler la crise. Les recettes fiscales se sont effondrées, passant de 11 milliards de dollars en 2018 à moins de 2 milliards en 2023 selon le ministère des Finances, limitant drastiquement les fonds disponibles : 100 millions pour la santé et 50 millions pour l’éducation en 2024.

Par exemple, les subventions ponctuelles, comme 200 millions de dollars pour le carburant des hôpitaux en 2023, sont insuffisantes. Un audit de Transparency International montre que 30 % de ces fonds ont été détournés par des intermédiaires corrompus, dans un pays classé 154e sur 180 dans l’indice de corruption 2023.

En effet, la corruption est endémique : les élites confessionnelles (maronites, sunnites, chiites) siphonnent les ressources via des contrats opaques ou 300 000 « employés fantômes » dans la fonction publique, selon une étude de 2022. Les réformes exigées par le FMI – audit des banques, fin des subventions mal ciblées, unification du taux de change – sont bloquées par des divisions politiques : Hezbollah s’oppose à la transparence bancaire, les Forces libanaises rejettent les hausses fiscales, et le vide présidentiel depuis octobre 2022 paralyse toute décision.

Ainsi, les ONG et agences onusiennes tentent de pallier les défaillances. L’UNICEF distribue des kits scolaires à 200 000 enfants, le PAM fournit 1 million de repas mensuels, et MSF équipe 10 hôpitaux en médicaments, pour un total de 500 millions de dollars en 2024, mais ces efforts ne remplacent pas un État fonctionnel.

Des solutions à court et long terme encore floues

À court terme, un renforcement des aides internationales est crucial. La conférence CEDRE, relancée à Paris en 2024, promet 1 milliard de dollars, mais ces fonds sont suspendus à des réformes (audit de la Banque du Liban, réduction des dépenses) que le Parlement, dominé par des factions rivales, n’a pas votées en mars 2025.

De plus, une restructuration des secteurs hospitalier et éducatif est proposée. L’OMS suggère des unités mobiles de soins dans les zones rurales (coût : 50 millions de dollars), et la Banque mondiale prône des partenariats public-privé pour rénover 500 écoles, mais le manque de transparence et de volonté politique freine ces initiatives.

À long terme, une relance économique est indispensable. Un accord FMI de 3 milliards de dollars, négocié depuis 2020, pourrait injecter des liquidités, mais il exige des mesures impopulaires – hausse de la TVA de 11 % à 15 %, coupes dans les salaires publics – rejetées par les syndicats et les partis.

En attendant, la population survit dans des conditions extrêmes : 80 % des foyers dépendent de générateurs privés, les hôpitaux tournent à 20 % de leur capacité, et les écoles publiques n’assurent que 50 jours de cours par an en 2024.

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