Au Proche-Orient, où on se brûle les doigts

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Troublant anniversaire l’année prochaine : on commémorera les cinquante ans de la « Guerre des Six Jours » qui avait permis à Israël d’occuper la partie est de Jérusalem, la Cisjordanie, le Golan et le Sinaï. Et quoi de nouveau depuis ? Des accords de paix conduisant à la reconnaissance de l’État hébreu par l’Égypte et la Jordanie, la restitution de la péninsule du Sinaï à l’État égyptien, des guerres avec le Liban, des condamnations d’Israël par la communauté internationale et plusieurs résolutions du Conseil de Sécurité qui sont restées lettres mortes. Sur la Palestine elle-même, rien : l’accord d’Oslo (1993) qui devait marquer un début de solution de la question palestinienne est définitivement enfoui sous les sables.

Plusieurs présidents américains y ont même trouvé la marque la plus indiscutable de leur nouvelle impuissance : Bill Clinton qui subit un échec retentissant à Camp David (2000), pour avoir voulu relancer le protocole d’Oslo, ou Barack Obama auquel Benjamin Natanyahu ne consentit même pas le gel des colonisations israéliennes comme moyen de relancer la négociation.

Rampe de lancement

Pire encore, on a assisté à un phénomène rare dans l’histoire diplomatique : le démantèlement lent d’une solution possible et connue de tous par le seul jeu de la passivité et de l’inaction choisie. L’idée-fétiche de la solution à deux États est ainsi devenue impossible aujourd’hui par l’accumulation d’un nombre si élevé de colonisations nouvelles que personne n’ose plus parier sur la viabilité territoriale d’un État palestinien. Le paradoxe est clair : la « communauté internationale » s’était arrogée la mission de construire l’État d’Israël, mais elle ne s’est jamais reconnu l’obligation d’en encadrer le suivi…

La récente initiative française, visant à « relancer » le processus de paix, a dès lors de quoi surprendre. Réussir là où plus puissants ont échoué est téméraire, sans doute irréaliste. Le faire sur des bases affaiblies relève du mauvais calcul. La France avait incontestablement des atouts. Un seul demeure intact : la qualité de son service diplomatique et l’expérience qu’il a de la région.

Un autre s’est érodé sans que Paris n’en soit directement responsable : sa capacité de leadership diplomatique au sein de l’Union européenne lui avait autrefois permis de faire progresser, même à très petits pas, ce dossier si compliqué. On sait que la diplomatie française avait joué un rôle décisif dans l’élaboration des déclarations de Venise (1980), Berlin (1999) et Séville (2002) qui ont peu à peu montré le chemin d’une solution crédible. Ce leadership aujourd’hui n’est plus : or, sans le relais de Bruxelles, ce genre d’initiative perd de sa force. L’Europe était une rampe de lancement possible pour une solution française : il faut en parler au passé !

La voix de la France devenue inaudible

Mais le dernier atout s’est défait en toute conscience de ce que ce changement impliquait. Il y a précisément cinquante ans, le Général de Gaulle savait que la capacité française dans la région supposait une distinction qu’il eut à cœur de construire. On entrait alors dans un processus de captation du conflit proche-oriental par la logique rigide de la bipolarité.

La voix de la France ne serait donc audible que si elle était différente et pouvait porter, dans un langage occidental, le droit des Palestiniens à la reconnaissance et à l’existence. Cette position fut maintenue par les successeurs du Général de Gaulle, mais commença à évoluer dès après 2003, lorsque la France se rapprocha de façon spectaculaire d’une politique américaine encore très engagée dans le néo-conservatisme.

Bill Clinton, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat en septembre 1993, un espoir de paix envolé. White House/Flickr

Les présidences de Sarkozy et de Hollande marquèrent même une accélération : on se souvient comment, à la faveur d’un voyage officiel en Israël, François Hollande confia à Natanyahu combien il regrettait de ne pas pouvoir chanter l’amour qu’il portait aux dirigeants israéliens… De même, le gouvernement français tarda-t-il à condamner l’action militaire menée sur Gaza l’été 2014, alors que la quasi-totalité de la communauté internationale s’y était employée.

Fait rarissime, le président de la République, son premier ministre et plusieurs de ses ministres allèrent même tout récemment jusqu’à désavouer publiquement les représentants officiels du gouvernement français à l’Unesco lorsqu’ils votèrent, le 14 avril dernier, une résolution sur la protection du patrimoine palestinien, jugée à Tel-Aviv comme désobligeante pour l’État hébreu…

Le nécessaire inventaire des ressources réelles

Tous ces efforts furent vains : l’initiative française a été tenue pour peu convaincante par le gouvernement israélien et, suprême humiliation, John Kerry a considéré qu’elle était peu compatible avec son propre calendrier. La partie fut remise, d’abord à l’été par François Hollande, puis en juin par le Quai d’Orsay.

En fait, deux questions de fond restent en suspens. En premier lieu, la France est-elle parvenue au bout de son inventaire pour cibler les ressources réelles qui lui permettent d’agir de manière si volontariste ? Assez claires autrefois, elles sont incertaines aujourd’hui.

Par ailleurs, comment négocier quand il n’y a plus de « grain à moudre », d’espaces clairs de transaction, que le déséquilibre des forces est tel que le dominant considère avoir intérêt au statu-quo et que personne ne souhaite vraiment prendre des risques pour modifier celui-ci ? L’échec dérive souvent d’une confiance excessive en la puissance ; il peut naître aussi de l’ignorance du danger qu’il y a de tenir durablement l’autre dans une faiblesse trop prononcée…

Professeur de Sciences politiques, Sciences Po – USPC

Article publié par The Conversation.

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