Un pays paralysé par la crise énergétique
Les coupures d’électricité au Liban représentent l’un des symptômes les plus visibles de la crise économique du pays. Avec des délestages atteignant parfois 20 heures par jour, les ménages et les entreprises dépendent presque exclusivement de générateurs privés. Ce recours massif alourdit considérablement les budgets des citoyens, augmentant la pauvreté et accentuant les inégalités sociales. Les coûts des interruptions électriques pour l’économie libanaise sont estimés à plusieurs milliards de dollars par an, impactant tous les secteurs d’activité.
À ce problème structurel s’ajoute une impasse politique concernant le contrôle du ministère de l’Énergie, un portefeuille clé dans la formation du nouveau gouvernement. Ce ministère, central pour résoudre la crise énergétique, est devenu un point de discorde majeur entre les factions politiques libanaises.
Les origines structurelles de la crise
La situation actuelle découle de décennies de politiques publiques inefficaces. En 1997, sous le gouvernement de Rafic Hariri, le prix de l’électricité avait été fixé à 2 cents par kilowatt, un tarif conçu pour être accessible aux ménages. Cependant, cette tarification artificiellement basse a contribué à un effondrement progressif du secteur. La société publique Électricité du Liban (EDL) a accumulé un déficit chronique, nécessitant des subventions massives et freinant toute modernisation des infrastructures.
Ce tarif n’a été ajusté qu’en 2022, sous la pression des bailleurs internationaux, dans le cadre des réformes imposées par le Fonds Monétaire International (FMI). La libéralisation partielle des prix, bien que nécessaire, est intervenue dans un contexte où la population déjà appauvrie peinait à supporter des charges financières supplémentaires.
Les impacts sectoriels des coupures d’électricité
L’industrie libanaise est l’une des principales victimes de la crise énergétique. Dans des secteurs comme le textile, la production a chuté de près de 40 % en raison des coupures électriques prolongées, entraînant des fermetures d’usines et une hausse du chômage. Le secteur agricole, qui dépend des systèmes d’irrigation électriques, subit également des pertes importantes, affectant la sécurité alimentaire dans les zones rurales.
Le secteur de la santé n’est pas épargné : les hôpitaux allouent une grande partie de leurs budgets à l’alimentation des générateurs, au détriment des investissements dans les équipements médicaux et les services de santé essentiels. Les écoles et les commerces, confrontés à des coûts d’électricité élevés, peinent à fonctionner de manière régulière.
Les luttes autour du ministère de l’Énergie
Dans ce contexte, le ministère de l’Énergie occupe une place centrale dans les négociations pour la formation du gouvernement. Ce portefeuille est convoité par plusieurs factions politiques, notamment le Courant Patriotique Libre (CPL) et les Forces Libanaises. Le CPL, qui a contrôlé ce ministère pendant de nombreuses années, insiste sur son rôle stratégique pour préserver l’influence du parti sur les ressources énergétiques du pays. Les Forces Libanaises, quant à elles, accusent le CPL d’échecs répétés dans la gestion du secteur et réclament un transfert de responsabilités.
Le contrôle de ce ministère est également crucial pour superviser l’exploitation des réserves de gaz offshore, perçues comme une opportunité pour relancer l’économie. Cependant, ces ressources font elles-mêmes l’objet de tensions, chaque faction politique cherchant à maximiser sa part des bénéfices potentiels.
Les réformes nécessaires et les obstacles politiques
Les experts et la communauté internationale insistent sur l’urgence de réformer la société publique Électricité du Liban (EDL) pour réduire les pertes techniques et financières, améliorer la collecte des paiements et promouvoir la transparence. La restructuration de l’EDL et l’intégration des énergies renouvelables sont des étapes essentielles pour stabiliser le secteur.
Cependant, les réformes restent bloquées par des intérêts politiques divergents et un manque de volonté collective. Les pressions internationales, notamment celles des pays donateurs comme la France et les États-Unis, visent à confier ce portefeuille à un ministre technocrate capable d’initier des changements radicaux. Mais ces initiatives se heurtent aux rivalités internes qui paralysent le processus.
L’énergie solaire : une solution émergente
Face à l’échec des réformes structurelles, de nombreux Libanais se tournent vers des solutions alternatives comme l’énergie solaire. Des ONG et des initiatives locales ont permis l’installation de panneaux solaires dans des zones rurales et urbaines, offrant une certaine autonomie énergétique. Cependant, le coût initial élevé de ces équipements limite leur adoption à grande échelle.
Pour que cette transition devienne une solution viable, les experts appellent à des subventions publiques et à des incitations fiscales. Une adoption généralisée de l’énergie solaire pourrait réduire la dépendance aux générateurs privés et alléger la pression sur le secteur public.
Les attentes des citoyens et les perspectives d’avenir
La population libanaise, épuisée par les coupures d’électricité, attend des dirigeants qu’ils surmontent leurs différends politiques pour mettre en œuvre des réformes énergétiques. La frustration croissante des citoyens face à l’inaction alimente des mouvements de protestation sporadiques, exigeant une meilleure gestion des ressources publiques.
Pour sortir de cette crise, une restructuration complète du secteur énergétique est indispensable, avec un engagement à long terme des acteurs politiques et financiers. À plus long terme, l’exploitation des réserves de gaz offshore, combinée à une transition vers les énergies renouvelables, pourrait offrir une solution durable. Mais pour cela, la stabilité politique et une gouvernance transparente restent des conditions sine qua non.