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Holcim se désengage du Liban : une sortie révélatrice dans un climat économique verrouillé

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Holcim (Liban) S.A.L., acteur central de l’industrie cimentière nationale, a confirmé un tournant majeur dans sa structure actionnariale. Holcibel S.A., son principal actionnaire, a signé un accord conditionnel pour céder 52,07 % de ses actions ordinaires à deux entités libanaises : BZL Cement Holding S.A.L. et North Pine S.A.L., respectivement contrôlées par M. Mohamed Zeidan et M. Gilbert Sassine. Cette transaction, rendue publique ce jeudi, marque le retrait programmé de l’un des derniers investisseurs étrangers significatifs encore présents dans un secteur stratégique. Le moment choisi, à peine quelques mois après la fin du conflit de 2023 au Liban-Sud, soulève des interrogations fondamentales sur l’attractivité économique du pays, et l’absence manifeste de perspectives durables dans un environnement structurellement bloqué.

Un groupe emblématique dans une industrie sinistrée

Holcim (Liban) opère depuis près d’un siècle. Ses cimenteries, notamment à Chekka, ont longtemps alimenté les projets d’infrastructures nationaux. Jusqu’en 2020, le groupe bénéficiait d’une demande constante, liée à la croissance démographique, à l’expansion urbaine et aux besoins en reconstruction post-conflit. Cotée à la Bourse de Beyrouth sous le symbole HOLC, l’entreprise affichait des bilans réguliers, bien que fortement exposés à la volatilité du taux de change. Mais ces dernières années, la société n’a pas été épargnée par la crise. En 2024, elle a enregistré une perte nette de 225,8 milliards de livres libanaises, sur un chiffre d’affaires de 4,72 trillions LBP. Cette contre-performance s’explique par une combinaison de facteurs : effondrement du pouvoir d’achat, crise énergétique, difficulté d’accès aux devises et paralysie du système bancaire.

Une transaction stratégique mais conditionnelle

Le communiqué publié par Holcim Liban évoque un accord de vente “conditionnel”. Cela implique que l’opération reste suspendue à l’obtention de validations réglementaires, notamment de la Banque du Liban, de la Bourse de Beyrouth et potentiellement de l’Autorité de régulation des marchés financiers. Aucun montant n’a été communiqué, mais la nature majoritaire de la participation cédée place les nouveaux acheteurs en position de contrôle opérationnel. En cédant plus de la moitié de ses actions, Holcibel S.A. acte un retrait significatif de la gouvernance de l’entreprise, même si les activités de production ne seront pas immédiatement affectées. L’intérêt des nouveaux acquéreurs pourrait se concentrer sur la réorientation locale des opérations et une meilleure adaptation aux contraintes économiques et politiques internes.

Une désertion progressive des capitaux étrangers

Holcim était l’une des dernières entreprises à participation étrangère significative encore active au Liban. Depuis 2015, les désinvestissements se succèdent dans l’industrie, le commerce et la banque. Cette dynamique se confirme avec cette cession. Le fait que cette vente intervienne après une nouvelle séquence de violence dans le Sud du pays — entre octobre 2023 et février 2024 — n’est pas anodin. Elle traduit un signal de défiance prolongée : malgré une accalmie militaire relative, les fondamentaux économiques n’offrent aucun horizon crédible pour les investisseurs. Le Liban souffre d’un déficit de réformes, d’une dette hors de contrôle, et surtout d’un système bancaire à l’arrêt, incapable de garantir le rapatriement des capitaux ou la convertibilité des dépôts en devises. Cette défaillance bancaire structurelle est l’un des premiers freins à l’investissement productif.

Contexte régional : la Syrie en reconstruction, le Liban en stagnation

Cette opération de désengagement intervient alors que la Syrie voisine, malgré une décennie de guerre, entre dans une phase active de reconstruction. Plusieurs projets ont été lancés à Damas, Homs et Alep, soutenus par des capitaux russes, iraniens et chinois. L’industrie du ciment y redémarre, les investisseurs se projettent, et les flux logistiques sont réorganisés. Le Liban, censé servir historiquement de plateforme logistique pour les opérations syriennes, reste quant à lui figé, incapable de se positionner comme partenaire économique régional. Les investisseurs constatent que la reprise syrienne, bien que lente et partielle, avance, alors que l’économie libanaise reste embourbée dans ses contradictions internes. Cette incapacité à réagir, à offrir des garanties minimales, ou même à donner une visibilité institutionnelle, réduit à néant toute velléité de relance nationale.

Risques économiques et sociaux d’une telle opération

Le retrait d’un acteur de l’ampleur de Holcim pourrait avoir des répercussions multiples. Sur le plan industriel, la perte potentielle de savoir-faire managérial et de normes opérationnelles internationales risque de fragiliser les standards de production. Sur le plan social, les salariés pourraient craindre des restructurations ou des coupes budgétaires. Sur le plan concurrentiel, le marché libanais du ciment, déjà concentré, pourrait être confronté à une montée des prix en raison de la faible offre locale et des coûts logistiques élevés. Pour les pouvoirs publics, c’est un échec de plus à inscrire dans la chronique du décrochage économique du Liban.

Un transfert de contrôle au parfum de repli national

Les sociétés acquéreuses, BZL Cement Holding et North Pine, sont immatriculées au Liban et détenues par des figures bien établies dans le tissu économique local. M. Mohamed Zeidan, déjà présent dans plusieurs entreprises de construction, et M. Gilbert Sassine, ex-dirigeant de sociétés industrielles, apparaissent comme des profils solides. Leur capacité à relancer Holcim Liban dépendra de leur aptitude à rétablir une gouvernance moderne, à sécuriser des financements durables, et à restaurer la confiance des partenaires. Mais dans un pays où les structures financières sont à l’agonie, où le crédit bancaire est quasiment inexistant, où les prix de l’immobilier ont baissé de 30% de manière officieuse sans que cela ne soit reflété par les rapports économiques officiels et où le cadre fiscal reste incertain, la relance dépendra aussi de la capacité du gouvernement à accompagner les investisseurs. Or à ce jour, aucun plan industriel, aucune stratégie nationale, aucun soutien bancaire cohérent n’a été proposé par les autorités pour rassurer ou inciter les entreprises à rester. Pire encore, les acteurs d’un système bancaire défaillant prennent l’économie en entier en otage, faute d’accepter la restructuration nécessaire d’un système zombi pour qui l’aide internationale parait, plus que jamais, nécessaire.

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