Le World Happiness Report 2025, publié le 20 mars 2025 par le Wellbeing Research Centre de l’Université d’Oxford, place le Liban au troisième rang des pays les moins heureux au monde, juste devant la Sierra Leone et l’Afghanistan. Alors que la Finlande célèbre sa huitième année consécutive en tête du classement, suivie par le Danemark, l’Islande et la Suède, le Liban, avec un score de 2,707 sur 10, incarne un contraste saisissant. Ce rapport, réalisé avec Gallup et le UN Sustainable Development Solutions Network, révèle les facteurs aggravant le malheur libanais : effondrement économique, isolement social et méfiance généralisée. Dans un pays ravagé par la crise, que nous apprend ce classement sur l’état du Liban en 2025 ?
Un classement accablant pour le Liban
Le Liban, avec un score moyen de 2,707 sur la période 2022-2024, se retrouve à la 141e place sur 143 pays évalués, un plongeon dramatique par rapport à son rang de 91e en 2019 (4,532). Le rapport base ses classements sur les auto-évaluations des habitants, combinées à des indicateurs comme le PIB par habitant, l’espérance de vie en bonne santé, le soutien social, la liberté, la générosité et la perception de la corruption. Pour le Liban, ces facteurs sont tous en chute libre. « Le bonheur repose sur la confiance, les connexions et le soutien mutuel », note Jon Clifton, PDG de Gallup, des éléments cruellement absents dans un pays où l’État vacille et la société se fracture.
L’Afghanistan, pire classé avec 1,721, souffre de la guerre et de l’oppression, notamment pour les femmes. La Sierra Leone (3,245), en deuxième position, lutte contre la pauvreté extrême. Le Liban, malgré son passé de carrefour culturel, partage ce bas du classement en raison d’une crise multidimensionnelle qui s’aggrave depuis 2019 : une économie en ruines, des conflits récurrents, et une perte de foi en autrui et dans les institutions.
Les racines du malheur libanais
L’effondrement économique est le moteur principal de cette descente. Le PIB libanais, qui dépassait 55 milliards de dollars en 2018, a chuté à environ 18 milliards en 2024 (Banque mondiale), soit une contraction de 38 %. L’inflation, atteignant 150 % en 2025, a pulvérisé le pouvoir d’achat : un salaire moyen, autrefois équivalent à 1 000 dollars, vaut aujourd’hui moins de 50 dollars sur le marché noir, où la livre s’échange à plus de 100 000 pour un dollar. Les réserves de la Banque du Liban (BDL), tombées de 36 milliards à 8 milliards de dollars, ne couvrent plus que quelques mois d’importations essentielles – carburant, médicaments, blé.
La guerre de 2024 avec Israël, qui a ravagé des régions comme le sud et la Bekaa entre septembre et novembre, a amplifié ce désastre. Les bombardements ont détruit des infrastructures, déplacé des dizaines de milliers de personnes et coûté des vies, tandis que le cessez-le-feu de novembre reste fragile. Ces violences, suivies par la chute de Bachar el-Assad en Syrie en décembre 2024, ont coupé le Liban de son allié régional, exacerbant son isolement économique et sécuritaire.
Le soutien social, un pilier du bonheur selon le rapport, s’effrite au Liban. Alors que les ménages de 4-5 personnes favorisent le bien-être au Mexique (10e) ou au Costa Rica (6e), au Liban, les familles se disloquent sous la pression. L’émigration massive – 500 000 départs depuis 2020 – vide le pays de sa jeunesse, laissant derrière elle des foyers brisés et des aînés sans aide. Le rapport note que 19 % des jeunes adultes mondiaux n’ont personne sur qui compter, une statistique qui, au Liban, dépasse probablement ce seuil, vu l’effondrement des réseaux sociaux traditionnels.
Confiance et générosité : des valeurs perdues
Le rapport met en avant la croyance en la gentillesse d’autrui comme un prédicteur clé de bonheur. En Finlande (1re, 7,741), plus de 80 % des portefeuilles perdus sont restitués, un reflet de la confiance communautaire. Au Liban, cette foi est anéantie. Les restrictions bancaires depuis 2019 ont gelé des milliards de dollars d’épargne, alimentant une méfiance envers les institutions et les uns envers les autres. Les Libanais, pessimistes sur la restitution d’un portefeuille perdu, reflètent une société où la solidarité a cédé la place à la survie individuelle.
La corruption, perçue comme endémique, aggrave cette fracture. Avec un indice de 24/100 (Transparency International 2024), le Liban est vu comme un État où les élites détournent les ressources – des fonds publics aux aides internationales – au détriment de la population. Sous Nawaf Salam, Premier ministre désigné depuis janvier 2025, les réformes promises peinent à voir le jour, bloquées par un Parlement divisé et des partis traditionnels protégeant leurs privilèges.
Comparaisons et contrastes mondiaux
Alors que la Finlande prospère grâce à une espérance de vie de 82 ans, un faible taux de corruption et une forte cohésion sociale, le Liban sombre dans l’opposé. L’espérance de vie en bonne santé, estimée à 66 ans avant la crise, a chuté sous les effets des pénuries médicales et des coupures électriques (22 heures par jour). La liberté, mesurée par la capacité à faire des choix de vie, est entravée par une économie paralysée et une instabilité chronique. La générosité, florissante dans des pays comme le Costa Rica, est étouffée au Liban par la misère : 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Le classement révèle aussi des surprises. Israël, malgré la guerre avec le Hamas, atteint la 8e place (7,341), grâce à des données pré-conflit montrant une résilience communautaire. Les États-Unis, tombant à leur pire rang (24e, 6,725), souffrent d’un isolement croissant – 53 % de repas pris seuls en deux décennies. Le Liban, lui, n’a pas cette résilience : les repas partagés, jadis un pilier culturel, sont devenus un luxe dans un pays où un panier de base coûte plus qu’un salaire mensuel.
Une jeunesse abandonnée
Le rapport met en garde contre une crise mondiale chez les jeunes : 19 % des 18-25 ans n’ont personne sur qui compter, une hausse de 39 % depuis 2006. Au Liban, ce chiffre est probablement plus élevé. Les jeunes, médecins, ingénieurs ou informaticiens, fuient en masse – 4 000 départs par mois en 2025 – vers le Canada, les Émirats ou l’Europe, vidant le pays de ses talents. Ceux qui restent affrontent un chômage endémique (50 % chez les moins de 30 ans) et un désespoir palpable, loin des réseaux de soutien vantés dans les pays nordiques.
Perspectives sombres en mars 2025
Le World Happiness Report 2025 dresse un portrait accablant du Liban : un pays où la confiance, le soutien et la liberté se sont évaporés sous le poids d’une crise sans fin. Alors que la Finlande illustre le pouvoir des liens humains, le Liban, sous la houlette fragile de Salam et Joseph Aoun, lutte pour survivre à une économie exsangue et des tensions régionales. En ce 20 mars 2025, ce classement est un cri d’alarme : sans un sursaut, le malheur libanais risque de s’ancrer durablement.