Les élections municipales comme miroir de la crise institutionnelle libanaise

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Un scrutin local à l’ombre d’un système paralysé
Les élections municipales tenues en mai 2025 s’inscrivent dans un contexte de blocage institutionnel prolongé au Liban. Sans président de la République depuis plus de deux ans avant l’élection récente de Joseph Aoun, sans gouvernement pleinement opérationnel et avec un Parlement aux travaux intermittents, ces échéances locales constituent l’un des rares moments de fonctionnement effectif du processus électoral. Pourtant, loin d’être un exercice autonome, ces élections reflètent, prolongent et parfois aggravent les dysfonctionnements systémiques de l’État central.

Calendrier électoral décalé et crise de la confiance
Le processus électoral a été fragmenté en plusieurs étapes régionales, en raison de contraintes logistiques, financières et sécuritaires. Ce découpage a contribué à désynchroniser la dynamique nationale, créant des disparités dans la mobilisation, la couverture médiatique et la gestion institutionnelle du scrutin.
Les citoyens, confrontés à des reports fréquents et à l’incertitude juridique entourant les mandats municipaux prolongés, ont exprimé une défiance croissante à l’égard du processus. La participation a globalement chuté par rapport aux scrutins précédents, en particulier dans les centres urbains et les zones à fort taux de chômage.
Des accusations de manipulation des listes électorales, d’obstruction administrative, ou de refus de candidatures ont émergé dans plusieurs régions, sans que des recours efficaces ne soient mis en œuvre.

Administration municipale et vacance de l’État
Dans de nombreuses communes, les conseils municipaux sortants ont exercé leurs fonctions au-delà de leur mandat légal, parfois sans réunion formelle ou prise de décision régulière. La supervision du ministère de l’Intérieur s’est avérée incomplète, faute de moyens humains et logistiques.
Certaines municipalités, faute de quorum, ont vu leurs prérogatives transférées à des mohafez ou à des fonctionnaires nommés. Ce transfert de compétences a souvent accentué l’opacité de la gestion des affaires locales, notamment dans les secteurs de l’urbanisme, de la gestion des déchets, de l’électricité locale ou de la distribution d’eau.
Des budgets municipaux ont été reconduits sans audit, et plusieurs rapports de la Cour des comptes sur la gestion des fonds locaux n’ont pas été rendus publics ou ont été retardés. Cette absence de transparence renforce la perception d’un système politique dysfonctionnel à tous les échelons.

Intervention des partis et instrumentalisation politique
Les formations politiques traditionnelles ont investi massivement les élections municipales, non pour y expérimenter des projets locaux mais pour en faire un champ de préfiguration de leurs équilibres nationaux. Les coalitions électorales se sont formées selon des logiques identitaires, confessionnelles ou clientélistes, avec peu de place laissée aux enjeux concrets de gouvernance municipale.
Dans de nombreuses localités, les partis ont présenté des listes uniques ou de consensus, excluant les voix indépendantes ou issues de la société civile. Là où des indépendants ont pu émerger, ils ont fait l’objet d’attaques, de campagnes de discrédit ou de manœuvres de division.
Les listes soutenues par les forces en place ont souvent utilisé les moyens municipaux, les réseaux d’aide sociale et les institutions religieuses pour mobiliser leurs électeurs, brouillant la séparation entre pouvoir administratif local et appareil partisan.

Fonctionnement juridique lacunaire des conseils municipaux
Le cadre légal régissant les conseils municipaux reste inchangé depuis plusieurs décennies. Les textes en vigueur datent pour l’essentiel de 1977, avec quelques amendements mineurs. Ce cadre ne prévoit pas de mécanismes efficaces de contrôle citoyen, de transparence budgétaire, ni d’intégration systématique des femmes et des jeunes dans les fonctions exécutives.
Les réunions des conseils municipaux ne sont pas systématiquement publiques. Les procès-verbaux ne sont pas toujours publiés, et les décisions stratégiques sont parfois prises en dehors de toute procédure formelle. L’absence d’un corps de contrôle indépendant empêche la vérification régulière de la conformité des décisions prises par les conseils avec les textes réglementaires.
De nombreux maires exercent des prérogatives élargies, parfois en contournant leurs conseils municipaux. La confusion entre pouvoir exécutif, représentativité politique et réseau d’influence familial ou communautaire est fréquente.

Financement opaque et dépendance vis-à-vis de l’État central
Les budgets municipaux reposent en grande partie sur des transferts de l’État central via le Fonds municipal indépendant. Ces transferts, irréguliers et souvent retardés, conditionnent la capacité des conseils municipaux à exécuter leurs missions.
Dans plusieurs cas, les communes ont accumulé des dettes ou suspendu leurs projets, faute de visibilité sur leurs ressources. Les plus petites communes, en particulier dans les zones rurales, dépendent presque exclusivement de ces aides.
Des soupçons d’opacité dans l’attribution des fonds, de favoritisme ou d’exclusion à caractère politique ont été exprimés par des élus locaux. L’absence de répartition équitable ou transparente renforce le sentiment d’injustice territoriale.
Les tentatives d’auto-financement, notamment par la perception de taxes locales, sont souvent inefficaces ou entravées par une administration défaillante.

Absence de mécanismes de participation citoyenne
Les textes régissant les municipalités libanaises ne prévoient pas de dispositifs formels de participation citoyenne en dehors du vote. Les consultations publiques, les budgets participatifs, ou les comités de quartier ne sont pas encadrés légalement, ce qui limite l’implication directe des habitants dans la prise de décision locale.
Dans la pratique, peu de conseils municipaux organisent des réunions ouvertes ou sollicitent l’avis des citoyens sur les projets en cours. Les pétitions ou initiatives citoyennes restent informelles et rarement prises en compte.
Les initiatives de certaines ONG ou groupes civiques en faveur de la transparence, de la reddition de comptes ou de la participation ont rencontré des résistances, ou se sont heurtées à l’indifférence des institutions locales. Cette distance entre élus et citoyens nourrit la perception d’une démocratie formelle sans contenu concret au niveau local.

Réseaux d’allégeance et verrouillage du pouvoir local
Les élections municipales sont souvent utilisées comme levier pour renforcer les réseaux d’allégeance politique ou communautaire. Dans certaines communes, des familles influentes ou des groupes religieux détiennent le contrôle de la municipalité depuis plusieurs mandats, sans alternance ni remise en cause des pratiques établies.
Le pouvoir local devient alors un outil de régulation sociale, fondé sur la distribution de faveurs, l’accès différencié aux ressources publiques et la gestion clientélaire des demandes des habitants. Ce mode de fonctionnement perpétue la dépendance des citoyens envers les figures d’autorité traditionnelles, au détriment de toute construction d’un service public neutre et équitable.
La reproduction des élites locales est facilitée par l’absence de limite de mandats, de contrôle interne ou de mécanismes d’évaluation. Dans certaines localités, les mêmes familles détiennent la mairie et les principales fonctions administratives, parfois sur plusieurs générations.

Érosion de la légitimité locale
L’effet combiné du désengagement de l’État, de l’inefficacité administrative, de l’influence partisane et de l’absence de participation citoyenne a conduit à une érosion significative de la légitimité des conseils municipaux dans de nombreuses régions.
Les citoyens expriment une faible confiance envers leurs élus locaux, perçus comme peu réactifs, inaccessibles ou indifférents aux réalités quotidiennes. Les services municipaux, lorsqu’ils existent, sont souvent inégalement répartis, mal coordonnés ou dépendants de soutiens extérieurs.
Cette situation alimente un cycle de désengagement civique, où les électeurs se mobilisent de moins en moins, tandis que les structures de gouvernance locale deviennent de plus en plus refermées sur elles-mêmes.
La crise économique, les migrations internes et le vieillissement de la population dans certains villages renforcent encore ce sentiment de déconnexion entre institutions et citoyens.

Marginalisation des dynamiques indépendantes
Malgré la participation de listes indépendantes issues de la société civile, notamment dans les grandes villes comme Beyrouth, Saïda ou Tripoli, les obstacles juridiques, financiers et médiatiques auxquels elles se heurtent restent considérables.
Les candidats indépendants ne bénéficient pas de subventions publiques, d’accès équitable aux médias, ni de mécanismes de protection contre les pressions ou intimidations. Ils doivent souvent s’auto-financer, sans garantie de sécurité ou de couverture équitable par les médias locaux.
Dans certaines municipalités, des obstacles administratifs ont été érigés contre ces candidatures : rejets de dossiers pour vice de forme, délais réduits pour les procédures de recours, ou manque de transparence dans l’enregistrement des candidatures.
Malgré ces entraves, certaines listes ont réussi à mobiliser des électeurs sur des bases programmatiques, en mettant en avant la transparence, l’écologie, l’inclusion sociale et la réforme des politiques locales. Toutefois, ces expériences restent minoritaires à l’échelle nationale.

Interaction entre pouvoir local et reconstruction nationale
Les élections municipales de 2025 se déroulent dans une phase critique pour le Liban, où les institutions centrales peinent à restaurer leur fonctionnement normal. Dans ce contexte, la gouvernance locale pourrait théoriquement servir de socle de relance institutionnelle, à condition de bénéficier d’un cadre juridique modernisé, de financements sécurisés, et d’un pilotage stratégique au niveau national.
Plusieurs experts soulignent que les municipalités pourraient jouer un rôle central dans la relance de secteurs tels que le logement, la santé de proximité, l’environnement ou l’éducation de base. Les expériences locales de résilience, dans certaines zones rurales ou quartiers périphériques, témoignent de la capacité d’innovation d’acteurs locaux en dehors du champ partisan.
Cependant, en l’absence de coordination avec l’État, ces dynamiques restent fragmentées et vulnérables. L’absence d’une vision nationale de la décentralisation continue d’entraver l’émergence d’un véritable pouvoir local autonome, capable de porter un projet collectif au-delà des appartenances immédiates.

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Newsdesk Libnanews
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