Le Léviathan biblique : un monstre insaisissable
Le Léviathan, dans la tradition biblique ainsi que dans la mythologie phénicienne, est décrit comme un gigantesque monstre marin, souvent assimilé à un dragon des eaux profondes. Dans le Livre de Job (41:1-34), il est présenté comme une créature indomptable, crachant le feu et rendant les eaux bouillantes par sa fureur. Symbole de la puissance brute et incontrôlable, il inspire la terreur et l’admiration. Dans la symbolique chrétienne et médiévale, le Léviathan représente le chaos primordial, une force dévastatrice que seul Dieu peut dompter.
Le Léviathan de Hobbes : l’État moderne
En 1651, Thomas Hobbes reprend cette figure dans son œuvre emblématique, « Leviathan », pour symboliser l’État tout-puissant. Pour Hobbes, l’État doit être un monstre puissant pour maintenir l’ordre et protéger les citoyens des violences individuelles. Cet État est construit par le contrat social, c’est-à-dire par l’acceptation collective de l’autorité absolue en échange de la sécurité. Le Léviathan moderne est alors vu comme un protecteur, garant de la paix et de la stabilité.
Le Léviathan contemporain : l’État omniprésent et asphyxiant
Dans les sociétés modernes, notamment en France et aux États-Unis, l’État a acquis un poids considérable dans l’économie. Ce Léviathan administratif et financier se traduit par des dépenses publiques massives, des déficits chroniques et des dettes publiques qui dépassent souvent les 100% du PIB national annuel. Le Léviathan des temps modernes n’est plus seulement protecteur ; il devient une machine bureaucratique tentaculaire, absorbant les ressources économiques et étouffant l’initiative privée.
Un Léviathan qui étouffe l’économie
L’augmentation incessante des dépenses publiques, notamment en période de crise (2008, COVID-19), a conduit à une expansion du secteur public aux dépens de l’économie privée. Aux États-Unis, la part de l’État fédéral dans le PIB est passée de 18 % en 2000 à près de 23 % en 2024. En France, elle est montée de 52 % à 57 % sur la même période. Ce poids étatique pèse lourdement sur la croissance, par l’augmentation des prélèvements obligatoires et par l’endettement perpétuel qui menace les générations futures.
Le coût du Léviathan moderne
Le financement de ce Léviathan s’effectue essentiellement par la dette. Aux États-Unis, la dette publique dépasse 124 % du PIB en 2024, tandis qu’en France elle atteint 110 %. Cette dette doit être remboursée par les futures générations, créant une véritable chaîne d’asphyxie financière. En outre, les dépenses sociales, les subventions et les aides d’État finissent par décourager l’entrepreneuriat et la création de richesse.
Léviathan destructeur : quand l’État dévore son propre peuple
Comme le monstre marin qui engloutit tout sur son passage, l’État moderne dévore les ressources économiques pour financer son poids croissant. La bureaucratie, la réglementation excessive et la pression fiscale finissent par étouffer l’innovation et la compétitivité. Plutôt que de garantir la prospérité, ce Léviathan moderne conduit à la stagnation et à la dépendance des citoyens vis-à-vis de l’appareil étatique.
Une autre façon de financer les déficits budgétaires et les dettes qui en découlent est l’inflation. En effet la planche à billet est l’arme extrême pouvant être utilisée pour financer la dette, mais elle a pour conséquence une inflation, une perte du pouvoir d’achat et une dévaluation de la monnaie. C’est donc une destruction en soi.
Conclusion : Apprivoiser le Léviathan
Pour redonner de l’oxygène à l’économie, il est impératif de dompter ce Léviathan moderne. Cela passe par une rationalisation des dépenses publiques, une réduction des déficits structurels et un allégement fiscal. La croissance ne pourra être restaurée que par une remise en question du rôle de l’État, qui doit cesser d’être un monstre prédateur pour redevenir un protecteur rationnel et mesuré.
Voici un tableau comparatif synthétisant les données disponibles sur les dépenses publiques, les déficits budgétaires et la dette publique en pourcentage du PIB pour les pays occidentaux (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Espagne, Australie et Nouvelle-Zélande, Chine, Japon) pour les années 2000, 2010, 2020 et 2024.
Tableau des dépenses publiques, déficits budgétaires et dettes publiques en % du PIB (2000-2024)
Pays | Dépenses publiques (% PIB) | Déficit budgétaire (% PIB) | Dette publique (% PIB) |
États-Unis | 2000: 32%, 2010: 41%, 2020: 45%, 2024: 39.7% | 2000: -2.3%, 2010: -8.7%, 2020: -14.9%, 2024: -6.4% | 2000: 55%, 2010: 87%, 2020: 134%, 2024: 124% |
Canada | 2000: 44%, 2010: 43%, 2020: 47%, 2024: 45% | 2000: +1.5%, 2010: -3.5%, 2020: -9.5%, 2024: -1.2% | 2000: 80%, 2010: 84%, 2020: 117%, 2024: 107% |
Royaume-Uni | 2000: 36%, 2010: 46%, 2020: 51%, 2024: 44.2% | 2000: -1.5%, 2010: -10.1%, 2020: -12.8%, 2024: -5.2% | 2000: 38%, 2010: 75%, 2020: 104%, 2024: 98% |
France | 2000: 51%, 2010: 56%, 2020: 61.7%, 2024: 57% | 2000: -1.5%, 2010: -7.1%, 2020: -9.2%, 2024: -5.8% | 2000: 58%, 2010: 85%, 2020: 115%, 2024: 110.6% |
Allemagne | 2000: 45%, 2010: 47%, 2020: 51%, 2024: 49% | 2000: -1.2%, 2010: -4.2%, 2020: -4.3%, 2024: -2.5% | 2000: 60%, 2010: 82%, 2020: 70%, 2024: 65% |
Italie | 2000: 46%, 2010: 50%, 2020: 58%, 2024: 53.8% | 2000: -0.6%, 2010: -4.2%, 2020: -9.5%, 2024: -4.5% | 2000: 109%, 2010: 116%, 2020: 155%, 2024: 144% |
Espagne | 2000: 39%, 2010: 46%, 2020: 52%, 2024: 45.3% | 2000: -0.9%, 2010: -9.4%, 2020: -10.1%, 2024: -4.8% | 2000: 59%, 2010: 60%, 2020: 120%, 2024: 113% |
Australie | 2000: 34%, 2010: 36%, 2020: 41%, 2024: 38% | 2000: +0.9%, 2010: -3.1%, 2020: -10.5%, 2024: -2.3% | 2000: 20%, 2010: 27%, 2020: 60%, 2024: 57.9% |
Nouvelle-Zélande | 2000: 35%, 2010: 39%, 2020: 43%, 2024: 40% | 2000: +0.5%, 2010: -4.1%, 2020: -7.3%, 2024: -1.5% | 2000: 33%, 2010: 35%, 2020: 54%, 2024: 52% |
Chine | 2000: 14%, 2010: 21%, 2020: 30%, 2024: 29% | 2000: -1.7%, 2010: -2.9%, 2020: -6.5%, 2024: -3.2% | 2000: 16%, 2010: 34%, 2020: 66%, 2024: 70% |
Japon | 2000: 36%, 2010: 39%, 2020: 44%, 2024: 42% | 2000: -7.2%, 2010: -9.6%, 2020: -13.4%, 2024: -6.2% | 2000: 137%, 2010: 197%, 2020: 266%, 2024: 259% |
Analyse du tableau sur les dépenses publiques, déficits budgétaires et dettes publiques (2000-2024)
1. Tendance générale : une augmentation constante des dépenses publiques
Entre 2000 et 2024, la plupart des pays occidentaux (États-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, Espagne) ont connu une augmentation significative des dépenses publiques par rapport au PIB. Par exemple, aux États-Unis, les dépenses publiques sont passées de 32 % en 2000 à 45 % en 2020, avant de redescendre à 39,7 % en 2024. La France suit une tendance similaire, avec une augmentation de 51 % en 2000 à 61,7 % en 2020, et une légère baisse à 57 % en 2024.
Cette hausse s’explique principalement par :
- Les crises économiques (2008, 2020) : augmentation des dépenses sociales et des plans de relance.
- L’augmentation des dépenses sociales et des retraites, notamment en Europe.
- Les dépenses de santé durant la pandémie de COVID-19 (2020).
- Les politiques interventionnistes, notamment en Europe.
Exceptions : Chine et Allemagne
- Chine : Bien que les dépenses publiques aient augmenté (de 14 % en 2000 à 29 % en 2024), elles restent relativement faibles par rapport aux pays occidentaux.
- Allemagne : L’augmentation est modérée, passant de 45 % en 2000 à 51 % en 2020, puis à 49 % en 2024, traduisant une gestion plus rigoureuse.
2. Déficits budgétaires : des fluctuations importantes selon les crises
Les déficits budgétaires ont fortement augmenté durant les périodes de crise économique :
- États-Unis : De -2.3 % en 2000 à -14.9 % en 2020, en raison des mesures de soutien économique pendant la pandémie.
- France : De -1.5 % en 2000 à -9.2 % en 2020, pour des raisons similaires.
- Japon : Un déficit structurel élevé, culminant à -13.4 % en 2020, en partie dû à sa politique budgétaire expansionniste.
- Chine : Les déficits restent plus contenus (-6.5 % en 2020), signe d’une gestion budgétaire prudente.
Conséquence :
Ces déficits récurrents traduisent une difficulté croissante à équilibrer les budgets nationaux, notamment lors de crises majeures. Ils reflètent également des choix économiques privilégiant la relance économique au détriment de la stabilité budgétaire.
3. Dette publique : une explosion quasi générale
L’évolution de la dette publique est le reflet des déficits cumulés au fil des années.
- États-Unis : Dette passant de 55 % en 2000 à 134 % en 2020, puis légèrement réduite à 124 % en 2024.
- France : De 58 % en 2000 à 115 % en 2020, avec une stabilisation à 110.6 % en 2024.
- Japon : Cas extrême avec une dette de 137 % en 2000, grimpant à 266 % en 2020, montrant un recours massif à l’endettement pour soutenir l’économie.
- Chine : Augmentation rapide mais à des niveaux plus bas (16 % en 2000 à 70 % en 2024), traduisant une politique de financement des infrastructures et de modernisation.
Pourquoi une telle augmentation ?
- Accumulation des déficits : Le recours au financement par la dette pour compenser les déficits.
- Crises économiques successives : Nécessité de soutenir l’économie et les ménages.
- Faibles taux d’intérêt : Incitation à emprunter plutôt qu’à augmenter les impôts.
Conséquences économiques et sociales
- Poids croissant de la dette : Les pays comme le Japon et l’Italie sont particulièrement vulnérables à une hausse des taux d’intérêt, qui pourrait rendre le service de la dette insoutenable.
- Hypothèque sur la croissance future : Les générations futures seront confrontées à une pression fiscale accrue pour rembourser ces dettes.
- Impact sur les investissements publics : Le service de la dette réduit les marges de manœuvre pour financer des projets structurants.
- Fragilité économique : Un niveau de dette trop élevé rend les États plus sensibles aux chocs économiques ou aux variations de taux d’intérêt.
Exemple concret : Japon
Le Japon est l’archétype de l’économie endettée, avec une dette publique proche de 260 % du PIB. Bien que financée principalement par les résidents (Banque du Japon), cette dette limite la capacité du pays à investir massivement dans de nouvelles technologies ou à réduire les impôts pour stimuler la consommation.
5. Quelle stratégie pour réduire la dette ?
- Réduction des déficits avec pour objectif zéro déficit : Restructurer les couts dans tous les secteurs, tous les ministères. Réformer les dépenses publiques, notamment en matière de retraite et de protection sociale.
- Croissance économique : Favoriser l’innovation et la compétitivité pour augmenter le PIB.
- Politiques budgétaires équilibrées : Éviter le recours systématique à l’endettement pour financer les déficits.
- Gestion rigoureuse : Suivre l’exemple de l’Allemagne, qui a stabilisé sa dette grâce à des politiques d’austérité ciblées : Moins de budget de consommation car le capital se détruit avec la consommation. Plus de budget investissements car le capital se construit avec les investissements pourvu que le rendement des projets soit positif, et que l’exigence soit faite pour le calcul de la VAN (Valeur Actuelle Nette) et du TIR (Taux Interne de Rendement) pour tout projet.
Les données montrent clairement que les pays occidentaux, poussés par des crises successives, ont accru leurs dépenses publiques pour soutenir l’économie, générant des déficits et une dette colossale. La Chine, bien que sujette à des dépenses croissantes, reste plus prudente. Le Japon, quant à lui, est un exemple extrême d’endettement structurel.
Les conséquences de cette gestion budgétaire sont préoccupantes pour l’avenir, car elles risquent d’hypothéquer la croissance et de rendre les États plus vulnérables aux crises économiques. La question cruciale reste de savoir comment ces pays pourront retrouver une trajectoire budgétaire plus soutenable sans sacrifier leur stabilité économique et sociale.
Conclusion : Redresser la barre ; Pour en finir avec les déficits incessants
Une gestion budgétaire prudente est devenue une nécessité impérieuse face à l’augmentation continue des déficits publics et de la dette dans de nombreux pays occidentaux. Les crises économiques récurrentes ont souvent servi de prétexte pour justifier des dépenses publiques exponentielles, mais l’argument ne tient plus face à la persistance des déséquilibres financiers bien après les périodes de crise. Pour garantir la stabilité économique, il est temps de réévaluer les priorités et d’imposer des règles plus strictes en matière de gestion des finances publiques. Les gouvernements doivent cesser de financer leurs dépenses par la dette, sauf en cas de crise véritable et limitée dans le temps. Les déficits budgétaires, tolérés pendant les crises, doivent être strictement contrôlés. La crise financière de 2008 et la pandémie de COVID-19 ont légitimé des dépenses extraordinaires. Cependant, l’extension de ces mesures pendant plus d’une décennie révèle un manque de volonté politique pour rétablir l’équilibre. La norme devrait être l’équilibre budgétaire, et le déficit l’exception, limitée à une durée maximale d’un an pour répondre à une crise ponctuelle. Le Japon et les États-Unis illustrent bien les dangers d’une dérive permanente, avec des dettes publiques dépassant 100 % du PIB annuel. Un tel fardeau financier compromet la capacité d’investir dans l’avenir et augmente la dépendance aux marchés financiers. Pour réduire les déficits structurels, une restructuration des coûts de l’État s’impose. Les gouvernements doivent prioriser les dépenses essentielles et rationnaliser les secteurs les plus coûteux, notamment la protection sociale et l’administration publique. La France et l’Italie, par exemple, doivent revoir leur modèle de dépenses sociales qui, bien que justifié par des politiques de solidarité, finit par alourdir la dette nationale. À l’inverse, l’Allemagne démontre que la maîtrise des dépenses publiques est possible grâce à une gestion rigoureuse et une discipline budgétaire exemplaire. L’équilibre budgétaire doit devenir la règle et non l’exception. Chaque pays doit légiférer pour garantir cette stabilité en imposant des mécanismes de contrôle automatique. Les gouvernements devraient être contraints de présenter des budgets équilibrés sous peine de sanctions financières, à l’exception d’une crise identifiée et limitée dans le temps. Mettre fin aux déficits chroniques exige un changement de paradigme politique. Les gouvernements doivent cesser de considérer les finances publiques comme un puits sans fond et prendre conscience des conséquences économiques et sociales de l’endettement perpétuel. La voie de la stabilité passe par une prise de conscience collective et des réformes structurelles qui redonneront à l’État sa capacité d’agir sans compromettre l’avenir des générations futures. Il est temps de rompre avec l’illusion d’un État-providence omnipotent et de redonner aux finances publiques leur rôle de soutien à une croissance durable et responsable.
Bernard Raymond JABRE