L’Iran sur le qui-vive face à la menace djihadiste

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Didier Chaudet, Institut français d’études sur l’Asie centrale

Le 7 juin 2017, des terroristes affiliés à Daech ont attaqué le Parlement iranien et le mausolée de Khomeini. Rappel marquant, pour celles et ceux qui ne le savaient pas encore, que le djihadisme a fait des chiites et de l’Iran des cibles de choix.

Pour Téhéran, cette menace est au cœur des prises de décision sécuritaires depuis plusieurs années. Les autorités du pays soulignent depuis longtemps que ce danger est bien réel, et qu’il n’a été contré, jusqu’au 7 juin, que grâce aux efforts du contre-terrorisme iranien. Ainsi, elles ont affirmé avoir stoppé une opération djihadiste visant à frapper 50 cibles sur Téhéran, ou encore empêché 1500 Iraniens de rejoindre Daech. Avant le 7 juin, il était facile d’y voir une certaine exagération. Les récentes attaques sur Téhéran amènent à remettre en cause ce jugement critique.

Une semaine plus tard, le 13 juin, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a ouvertement évoqué un danger djihadiste (sponsorisé, selon lui, par l’Arabie Saoudite) aux frontières ouest et est de l’Iran. Et de fait, c’est bien sur deux fronts, au moins, que la République islamique doit mener sa propre « guerre contre le terrorisme ».

Le « front » de l’Ouest : le chaudron du Kurdistan

À l’Ouest, le danger est d’abord représenté par Daech. Ce groupe a mis en cause la stabilité de deux pays essentiels pour les intérêts iraniens :

  • Téhéran a voulu, depuis 2003, un Irak uni, évitant la division (les parties kurde et sunnite pouvant vite se retourner contre les Iraniens), ni trop fort, ni trop faible, sous son influence. Or Daech, par sa guerre sectaire totale, compromet l’unité relative du pays.
  • En Syrie, Téhéran soutient Bachar el-Assad pour éviter de voir émerger un pouvoir syrien sunnite anti-iranien et, à terme, associé aux Saoudiens ; conserver un régime ami à Damas est également essentiel pour la politique d’influence au Liban, et d’opposition à Israël. Ici encore, l’action de Daech s’oppose radicalement à ces objectifs.

Mais si des Iraniens se battent en Syrie et en Irak, c’est avant tout pour éviter d’avoir à combattre les djihadistes dans les provinces du Kermanshah et Hamadan (ouest de l’Iran), pour paraphraser le Guide de la révolution Ali Khamenei. Or, après les attaques du 7 juin, justement, au moins cinquante personnes ont été arrêtées dans la province du Kermanshah. Des ceintures d’explosifs et des détonateurs auraient été découverts. Plus largement, il y aurait eu autour de 150 arrestations dans le Kurdistan iranien, les terroristes ayant frappé Téhéran étant d’origine kurde.

Ce n’est pas totalement une surprise : le salafisme radical s’est développé dans le Kurdistan iranien, en lien avec les évolutions du Kurdistan irakien voisin, au moins depuis 2003. Les Iraniens accusent d’autres pays de soutenir les groupes terroristes, un point difficilement vérifiable indépendamment. Mais, de fait, plutôt que la conséquence directe des actions d’un autre État, le djihadisme dans ce territoire sunnite iranien s’est d’abord nourri du chaos voisin, et des liens entre salafistes radicaux kurdes d’Irak et d’Iran.

Les informations données par les autorités iraniennes après les attaques du 7 juin confirment le lien entre le danger djihadiste pour l’Iran et les développements sur le front de l’Ouest. Les terroristes qui ont frappé Téhéran ont combattu pour Daech à Mossoul et à Raqqa. Et leur cellule terroriste aurait été dirigée par un individu venu d’Irak et s’étant installé dans la province de Kermanshah.

Le front de l’Est : danger djihadiste sur le Sistan‑Baloutchistan

À l’Est, la menace terroriste est d’abord le fait d’un séparatisme baloutche qui a dérivé vers le djihadisme. Le Sistan-Baloutchistan est une province particulièrement déshéritée : le taux de chômage y est de plus de 50 %. Le trafic, notamment de drogues, à la frontière avec l’Afghanistan et le Pakistan, s’est imposé comme une activité économique importante dans la région. Ces frontières poreuses ont également nourri un djihadisme qui s’est appuyé sur des relations historiquement difficiles entre périphérie baloutche-sunnite et centre persan-chiite.

On remarque que la menace terroriste se renouvelle sans cesse, malgré une politique contre-terroriste qui a donné des résultats. Ainsi, Téhéran a pu décapiter le mouvement rebelle Jundallah, né en 2002, avec la capture et l’exécution de son leadership, les frères Rigi. Mais, aujourd’hui, ce sont des rebelles plus ouvertement djihadistes, comme ceux du groupe Jaish al-Adl, qui continuent les attaques au Sistan-Baloutchistan. La politique uniquement sécuritaire-répressive semble montrer ses limites.

On retrouve aussi indirectement, de nouveau, Daech dans le danger djihadiste à l’Est : ce groupe s’est ainsi matérialisé en Afghanistan ; il y mène une guerre à outrance contre les Hazaras afghans mais aussi contre Kaboul et les talibans, menaçant la stabilité d’un autre voisin important pour l’Iran. Plus dangereux encore, Daech chercherait à s’implanter dans le Baloutchistan pakistanais, à partir duquel il pourrait frapper (et recruter) au Sistan-Baloutchistan.

L’importance du « troisième front », intérieur

Mais le terrorisme qui frappe ce pays est, d’abord, le fait de citoyens iraniens, faisant planer un risque pour l’influence régionale de l’Iran. Pour protéger les citoyens iraniens du terrorisme, c’est donc le troisième front, intérieur, qui compte. Et il ne peut être vu que sous l’angle sécuritaire : le rapport de Téhéran à sa minorité sunnite (à peu près 10 % de la population, principalement Kurdes et Baloutches) déterminera en bonne partie le futur de cette « guerre contre le terrorisme » iranienne.

Il faut éviter le simplisme consistant à présenter les difficultés de la minorité sunnite en Iran comme alimentant forcément une logique séparatiste. En effet, on constate que les sunnites se sont largement impliqués dans le processus électoral iranien. L’un de leurs principaux représentants, Molavi Abdol Hamid, a clairement soutenu le candidat Rohani pour son deuxième mandat présidentiel. Et, globalement, les sunnites soutiennent bien plus les réformistes modérés iraniens que les séparatistes ou les djihadistes anti-chiites. Autant de preuves d’un engagement citoyen d’une population qui cherche, en majorité, l’intégration politique et économique.

Malgré tout, le sentiment d’être discriminé est bien réel. Ainsi le candidat à un emploi, voire le patient d’un hôpital, doit déclarer son affiliation religieuse. On remarquera que la principale demande des Baloutches sunnites n’est pas sectaire : bien au contraire, ils demandent l’égalité sur le marché de l’emploi, qui peut être compromise quand l’affiliation religieuse doit être mise en avant.

Daech a bien compris l’importance des sunnites iraniens dans sa lutte contre Téhéran : au cours des derniers mois, la propagande – en farsi – visant cette population, est apparue bien plus nourrie que par le passé. Pour la contrer, l’Iran devra, certes, continuer sa lutte contre-terroriste au niveau régional et à l’intérieur. Mais elle ne pourra véritablement remporter sa « guerre contre le terrorisme » que si elle réussit à « conquérir les cœurs et les esprits » de sa minorité sunnite.

Didier Chaudet, Attaché scientifique, Institut français d’études sur l’Asie centrale

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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