Embourbé dans sa gestion calamiteuse de l’épidémie du Covid-19 entre mensonges, mépris de l’Asie et autosuffisance de l’entre-soi du monde civilisé d’une part, et conséquences d’une politique de détricotage des services de santé publique, en particulier des hôpitaux publics entrepris depuis plus de vingt ans et qu’il continue de mettre en œuvre de plus belle d’autre part, Macron n’a trouvé de mieux que de reprendre à son compte la bonne vieille recette du bouc émissaire pour orienter la colère populaire et lui trouver un exutoire à sa hauteur. 

Les Gilets jaunes avaient généré les accusations systématiques, en long, en large et en travers, à longueur d’émissions, de jours, de semaines et de mois durant, d’antisémitisme, d’homophobie et autres insanités. 

La conjugaison des crises sanitaire, économique, politique nécessitait un exutoire à la hauteur de l’enjeu, et pas encore éculé, à savoir les séparatismes. Et en l’occurrence, le premier d’entre eux, bien plus facile à nommer et porteur à tous les coups, le séparatisme islamique. 

Macron a été entendu, tant au niveau de la célérité de réaction qu’au niveau de son ampleur, au-delà de toute espérance. À peine son discours prononcé qu’un professeur de collège, paré de qualités réelles et supposées, s’est cru bien avisé de ressortir des caricatures de Charlie Hebdo, pour donner une leçon civilisationnelle (contenu des caricatures mais aussi action de distinction des élèves musulmans de leurs camarades de classe), sous prétexte de liberté d’expression, à ses jeunes élèves pré-adolescents. 

Peut-être suffisamment ingénu, peut-être amnésique ou étourdi à la façon Pierre Richard dans “La moutarde me monte au nez”, mais certainement de toute bonne foi, il devait ignorer que ces caricatures ont été, dès leur première publication et systématiquement par la suite, à tort ou à raison, une source de colère et de sentiments d’humiliation chez une partie significative de ses compatriotes, mais aussi au niveau des populations musulmanes à l’échelle mondiale. En clair, on ne pouvait pas mieux trouver pour mettre le feu aux poudres. L’exutoire rêvé de Macron s’est ainsi mis en marche, à pleins tubes, trouvant immédiatement un esprit aussi criminel qu’immature pour établir et exécuter une sentence de mort, avec une mise en scène aussi abjecte pour la culture de la victime que ne le sont les caricatures pour la sienne propre. Cette mise à mort, dans sa forme comme dans son fond, empêchera tout débat sur les caricatures en cause comme sur leur utilisation pour un cours à des élèves de treize ans, caricatures relevant plus de la pornographie de caniveau, voire d’égouts que d’autre chose. Caricatures qui disent, non la réalité de l’islam, n’en déplaise leurs auteurs, mais le fantasme d’une élite vautrée dans un tel niveau de putréfaction qu’elle en arrive à brandir des images pornographiques (n’en rêverait-elle pas pour elle-même ?) pour illustrer les valeurs de la République. Pire, en servant ces images à des élèves à peine entrés dans la pré-adolescence, et au rythme avec lequel la société évolue, devrions-nous assister à leur utilisation en cours d’instruction civique à des élèves de primaire dans un horizon de quelques années à peine et finir ainsi dans une pédopornograhie qui ne dirait pas son nom ? On en viendrait à en rire n’eût été une perspective aussi dramatique que consternante. La réaction salutaire d’un établissement scolaire belge face à des faits identiques quelques jours plus tard, sanctionnant immédiatement le professeur, le protégeant du même coup et coupant l’herbe sous les pieds à tout éventuel prétexte à protestations et autres éventuelles réactions violentes, dit tout le fossé entre une réaction saine, avisée et proportionnée et la guerre outrancière de Macron dans le seul but d’offrir à la population française un exutoire aussi malsain que destructeur   pour sauver son pouvoir et continuer à mettre en œuvre sa politique au service des quelques ultra riches. 

D’une campagne malsaine à l’autre

La mise en scène de l’assassinat de Samuel Paty est-elle plus abjecte que celle de Théo van Gogh il y a une quinzaine d’années ? Le port du voile recèle-t-il un caractère plus hideux qu’il ne l’était lorsqu’il a été projeté sous les feux de l’actualité avec l’affaire des collégiennes voilées il y a une trentaine d’années ? Que nenni ! Ce qui a changé est le degré de haine et de rejet contre l’islam et les musulmans qui s’accentue au fil des campagnes contre l’islamisme, une haine et un rejet qui s’élargissent à des couches de plus en plus larges de la population, une haine et un rejet qui gangrènent les esprits jusqu’à enrayer tout esprit critique, et aujourd’hui toute velléité même d’esprit critique quand ce sont jusqu’aux chercheurs et jusqu’aux universités qui sont accusés de promouvoir et de protéger le terrorisme islamique parce qu’ils ne se contentent pas de produire des analyses et des études à charge. Développer une recherche critique sur les conditions de production de la radicalisation et du terrorisme islamistes, c’est le justifier décrètent aujourd’hui nos pouvoirs établis. Ce n’est pas faute d’avoir préparé les conditions de cette sentence, cela fait déjà plusieurs années que ces accusations sont proférées à chaque occasion dans les médias, préparant et maturant ainsi les esprits pour, le moment venu, les instituer en règle ou, à tout le moins, une épée de Damoclès pour les obliger à l’auto censure et à se tenir bien dans les rangs. Il semble bien que le moment soit enfin venu. Et ce ne sont pas les quelques protestations dans certains journaux mainstreet pour se donner bonne conscience qui y changeront quelque chose. Protestations timides et au-dessus de la mêlée du genre “Ce qui est vrai”, “Ce qui est faux”, “Ce qui est exagéré”, suivez mon regard…

La lutte contre l’antisémitisme, pour légitime qu’elle soit, avait enfanté un monstre sous prétexte de lutter contre l’extreme-droite, à savoir la loi interdisant toute étude critique sur la shoah. La lutte contre le terrorisme est en train d’enfanter un nouveau monstre de même nature, à savoir une loi contre toute étude critique sur le terrorisme, non plus pour contrer l’extrême-droite, mais bien pour la servir cette fois. Ironie de l’histoire qui bégaie de nouveau.

Force est de constater que nous sommes arrivés aujourd’hui à un niveau de haine et de rejet qui fait accepter, justifier et même réclamer un durcissement toujours plus accentué des atteintes aux libertés. Cela fait cinq ans que la France vit en État d’urgence et au-delà de l’État d’urgence, l’essentiel de la première mouture en cours ces dernières décennies ayant été déjà intégré au droit commun. Ce sont plutôt des éléments de l’État d’exception qui sont aujourd’hui appliqués et qu’il faudrait se soucier de mettre en évidence, analyser pour en étudier la portée et la dynamique.

Car toutes ces campagnes successives contre l’islamisme, outre le racisme et les fractures sociales contre les citoyens musulmans de plus en plus douloureuses qu’elles alimentent, ont systématiquement renforcé les pratiques autoritaires de l’État, les violences répressives légales tant du point de vue des moyens mis en œuvre (certains relevant complètement de la guerre urbaine) que des pratiques légales ou acceptées car devenus d’un usage courant (hors dérives policières bien entendu). Autoritarisme de l’État intériorisé comme naturel par ceux qui l’exercent, réclamé par souci de se sentir en sécurité par ceux, de plus en plus nombreux, qui le subissent, devenant ainsi et progressivement le creuset d’un soft totalitarisme qui ne dit pas son nom mais qui n’en est pas moins réel. Et ce soft totalitarisme vise à de nouvelles ambitions, de nouvelles conquêtes.

De la guerre contre le séparatisme islamique à la guerre contre les séparatismes

Les campagnes anti-immigrés depuis les années mille neuf cent soixante-dix  puis anti-islamistes à partir des années deux mille n’ont pas servi uniquement à restreindre les libertés, développer l’arsenal répressif et la mise en place du soft totalitarisme, elles ont aussi servi à parachever les réformes néolibérales tendant à casser des secteurs entiers de l’économie tout comme les secteurs publics comme l’école ou la santé. Pour chaque période qui a vu un trop plein de mécontentement devenu impossible à canaliser, les présidents duccessifs de ces deux dernières décennies ont su jouer opportunément la carte de l’islamisme et de ses dangers supposés ou réels pour y faire déverser la colère populaire. Et cela marche à tous les coups, quitte à calmer quelque peu le jeu une fois l’opération réalisée avec succès. Mais le fond de méfiance, de haine et/ou de rejet s’accumule et macére avec les années, et de campagne en campagne, pour se réveiller et sévir encore et encore avec toujours plus de brutalité. Suffisamment pour ne plus se contenter de la seule imposition de la pensée unique, politiquement s’entend, mais pour cultiver cette fois une pensée qui ne souffrira d’aucune forme d’organisation autonome, à quelque niveau que ce soit.

L’accumulation des attaques sociales et idéologiques de ces dernières décennies ont fini en réalité par remettre en cause la cohésion nationale elle-même. Ayant progressivement renoncé à se battre dans le système à force d’échecs et de défaites face à un pouvoir devenu autiste, nombre de strates de la population ont construit à leur corps défendant des lieux de vie, d’oxygénation, d’expression hors des clous et chemins balisés. Des radios libres aux réseaux sociaux dont la puissance est démultipliée par l’Internet, des quartiers aux groupes communautaires qui ne cessent de s’élargir jusqu’à se doter de monnaies locales, et qui essaiment sur tout le territoire, une vie riche, foisonnante et porteuse d’espoir et de débouchés concrets et accessibles prend forme et tend à se passer des circuits traditionnels sous le joug du néolibéralisme et susceptibles d’offrir une profondeur stratégique à un basculement révolutionnaire à terme. Peu de personnes croient encore au grand soir, et à raison. Les processus révolutionnaires se fondent d’abord sur des ruptures sociales et économiques qui sappent les fondations du monde ancien et consolident et/ou restructurent la formation de poches et de circuits qui ouvrent la voie au monde nouveau qui se dessine. C’est un processus du temps long qu’occultent systématiquement les espoirs nés d’explosions sociales du temps cours. Cela fait un demi-siècle si l’on se réfère aux nouveaux mouvements sociaux nés dans les années soixante-dix, et près d’un siècle si l’on se réfère aux grandes avancées sociales, économiques et éducationelles nées de la résistance et de la Libération que ce processus du temps long est à l’œuvre, avec ses avancées et ses reculs. Ces deux dernières décennies de défaites successives ont en fait accéléré l’éclosion et l’essaimage de modes sociaux alternatifs.  C’est ce processus en profondeur qui produit aujourd’hui, à travers les Gilets jaunes, la mise en réseaux de citoyens brisés, soumis, enfermés sur eux-mêmes, isolés les uns des autres, voires hostiles, la formation de nouvelles solidarités sociales tout comme les excroissances politiques que sont le RIC (référendum d’initiative citoyenne), les pratiques des Citoyens constituants et autres expressions politiques qui voient le jour ces quelques mois. 

C’est cela le danger, c’est cela le sens et l’objectif affiché de Macron lorsqu’il déclare la guerre aux séparatismes. Le séparatisme islamique est l’arbre qui cache la forêt de cette immense offensive qui a par ailleurs commencé par la volonté de mise au pas des réseaux sociaux sous prétextes de Fake news, de dérives antisémites, d’appels à la haine ou d’apologie de la violence et du terrorisme, guerre déjà bien entamée. Tout doit être de nouveau sous contrôle et en adéquation avec les exigences du néolibéralisme et de l’enrichissement des plus riches. En attendant, bouffez du musulman tant que vous pouvez et au-delà, pour qu’enfin votre rage s’apaise de nouveau.

C’est cela la guerre de Macron. C’est contre celle-là qu’il s’agit de se lever. La guerre contre le séparatisme islamique n’est que l’arbre qui cache la forêt, à savoir la contre-offensive du néolibéralisme pour réduire la contre société qui se construit et qui cherche à s’en émanciper et la laissera se vider ainsi de sa sève pour n’en laisser qu’un visage devenu hideux et macabre.

Scandre Hachem

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