Ramsès II : le patient égyptien

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La momie de Ramsès II est l’objet d’études depuis plus d’un siècle. William Vaughn Tupper/Boston Public Library

Valérie Delattre, Université de Bourgogne – UBFC

L’exposition « Ramsès II et l’or des Pharaons » à La Villette braque à nouveau les projecteurs sur un souverain sans conteste parmi les plus célèbres de l’Antiquité… Ramsès lui-même ne sera toutefois pas présent, sa momie de plus de 3200 ans, après bien des péripéties, est désormais trop fragile.

Sa dépouille fut en effet voyageuse, voire audacieuse – prenant même l’avion en 1976. Son ultime trajet, après moult péripéties, restera sans doute cette improbable parade du 3 avril 2021 : Ramsès II, en compagnie d’autres momies tout aussi royales, dont celle d’Hatchepsout, quitta le vieux musée, place Tahrir, au Caire, pour aller prendre ses quartiers – définitifs ? – au nouveau Musée national de la civilisation égyptienne.

Ce qui n’empêche pas la royale momie d’être bavarde… Depuis 140 ans qu’elle est étudiée sous toutes les coutures de ses bandelettes, elle en a raconté beaucoup, tant sur elle-même que sur le vieux souverain. Qu’ont permis de découvrir les investigations et soins minutieux menés sur cet illustre patient ?

Les tribulations de la momie

Le règne de Ramsès II (1279 à 1213 av. J.-C.) est incroyablement long, même s’il ne surpasse pas celui de Louis XIV et de ses 71 ans de pouvoir, quelques siècles plus tard : on parle de 66 ans de faits guerriers et de conquêtes, de constructions « pharaoniques » et de géopolitique avisée, scandés par la bataille de Qadesh et la construction des temples d’Abou Simbel.

Le souverain meurt à plus de 80 ans et est inhumé dans la vallée des Rois, dans un tombeau long de quelque 168 m. Localisée en 1737 par le voyageur britannique Richard Pococke, elle est aujourd’hui la tombe « KV7 » (KV pour Kings’ Valley, le numéro renvoyant à l’ordre des découvertes des sépultures).

Mais eut égard aux merveilles d’Abou Simbel ou de la tombe de son épouse Néfertari, le monument peut s’avérer déceptif… Le tombeau est vide de longue date. Il est de plus fragilisé par les inondations, et ses fresques et bas-reliefs sont largement dégradés. Depuis 1993, des campagnes de fouilles et de consolidations diligentées par la Mission archéologique française de Thèbes-Ouest (MAFTO) luttent pour sa préservation.

Malgré bien des aléas géologico-historiques, la précieuse momie est préservée.

Par crainte de pillages précoces, elle avait été transférée dès l’Antiquité dans l’hypogée de son père, Séthi Ier, puis dans celui de Inhapy creusé dans les parois abruptes qui enserrent la royale vallée. Cette tombe sera en fait recyclée par les autorités de la fin du Nouvel Empire en… cache pour les dépouilles des plus puissants souverains de la période.

La cachette royale de Deir el-Bahari a probablement été aménagée au début du Xe siècle av. J.-C. dans le secteur de la nécropole thébaine. Pendant près de 3 000 ans, elle va abriter les momies des Ramsès, de Séthi Ier, Thoutmosis III, Ahmôsis… Elle ne sera redécouverte qu’en 1881, par un collaborateur de l’égyptologue français Gaston Maspero.

La momie de Ramsès II peu après son débandelettage
Dès son débandelettage, la momie de Ramsès II va être soumise à diverses études. Rijksmuseum/Musée du Caire

Et au milieu de plus de 5 000 objets funéraires, dont 36 sarcophages, les archéologues vont tomber, stupéfaits, sur la momie du vieux pharaon, toujours enveloppé de ses bandelettes, et repose dans un sarcophage en bois de cèdre – peut-être de son grand-père, Ramsès Ier.

En 1886, alors qu’il est exposé au Musée de Boulaq, l’un des premiers musées d’égyptologie du Caire, le Pacha d’Égypte ordonne son débandelettage…

Il se murmure que l’effroi des spectateurs, diplomates et politiques, à la vue d’une « secousse » inopinée liée à la tension post-mortem du bras de Ramsès II serait, pour partie, à l’origine de la si tenace malédiction des pharaons !

Un voyage d’État unique… et salvateur

En ce qui concerne Ramsès, elle n’est pourtant pas en bon état. En 1907, l’écrivain voyageur Pierre Loti, de passage au Caire, se désolait déjà de la profonde dégradation du corps, dont la première radiographie, quelques années plus tard, révèlera les importantes fissures des muscles abdominaux.

En 1976, profitant de l’exposition qui lui est consacrée au Grand Palais à Paris, et malgré un contexte géopolitique délicat, l’infatigable égyptologue française Christiane Desroches-Noblecourt confie aux autorités locales qu’il est urgent de « soigner » la momie.

Le diagnostic des spécialistes français, mandatés sur place, est cruel : la prolifération de champignons contemporains – et non de moisissures antiques – doit être enrayée au plus vite. Une odeur âcre se dégage du corps, qui doit être à la fois réhydraté et solidifié par des injections de silicone et de polymère. Un protocole de travaux et de « retouches » est déployé, réunissant une centaine de chercheurs et de techniciens, au sein d’un laboratoire dédié, aménagé au Musée de l’Homme.

Ramsès II, premier pharaon à embarquer à bord d’un Transall de l’armée de l’air française, est accueilli par la garde républicaine, au Bourget, le 26 septembre 1976. Comme le serait un chef d’État en visite officielle.

Aucune technique invasive au programme du traitement : quelques infimes prélèvements (comptant des cheveux « jaunâtres » piégés par les pièces de lin…) sont toutefois scellés et soumis aux laboratoires compétents. Alors que le scanner, l’IRM et la tomographie restent confidentiels, on utilisera la radioscopie, l’endoscopie et encore la chromodensimétrie pour étudier le patient.

La question primordiale est celle de l’origine de la dégradation biologique de la momie. Le fautif, rapidement identifié parmi de nombreuses souches, est un champignon très virulent, appelé Daedalea biennis. Les variations de température et d’humidité ont favorisé ses assauts, le rendant susceptible de dégrader l’entièreté des matières organiques de Ramsès II et de ses voisins.

De quand date l’attaque ? Quand bien même la momification du pharaon n’aurait pas été optimum, la résine brûlante utilisée par les embaumeurs aurait dû enrayer toute activité microbienne, surtout dans le climat sec de Haute-Égypte. L’infection de la momie s’est donc produite « récemment », vraisemblablement au Caire – on parle d’une « maladie de musée ». Ramsès s’y verra également attaqué par des mites et une aspersion d’insecticide indélicate au début du XXe siècle.

Le traitement doit être radical pour le champignon envahisseur, mais pas pour le malade – fut-il déjà mort. Délaissant le froid et le chaud, les spécialistes ont opté pour l’irradiation… ce qui fit frémir nombre de chercheurs, qui craignent pour la fragile chevelure de Ramsès. Il n’était pas concevable de restituer un pharaon guéri mais dépigmenté ou chauve !

Les rayons gamma, testés au préalable sur une momie de moins grande importance historique, vont s’avérer suffisamment pénétrants et efficients pour stériliser cet « objet archéologique » improbable, et sans radioactivité résiduelle. L’intervention se déroula le 9 mai 1977 au Commissariat à l’énergie atomique de Saclay. L’illustre patient put reprendre l’avion dès le lendemain de son traitement pour regagner Le Caire.

« Chaque momie est une archive »

L’expression d’Alain Froment, spécialiste en anthropologie biologique, résume bien ces dépouilles millénaires, soumises à des batteries de tests, ont aujourd’hui des choses à dire…

La momie ainsi guérie, qu’a-t-on appris sur le souverain lui-même ? Les nouvelles technologies de photogrammétrie et d’imagerie médicale permettent d’appréhender la santé des pharaons (comme de toutes les autres momies), du plus intime parasite intestinal au plus spectaculaire traumatisme osseux.

Si les moins privilégiés enduraient les affres des stress de croissance, de la famine et de conditions de vie dégradées, l’élite manifeste des taux élevés de cholestérol – les artères coronaires de nombreux pharaons sont bouchées – et les signes d’une grande sédentarité bien nourrie ! On a ainsi pu procéder à de véritables diagnostics rétrospectifs, révélant le cancer et la maladie de peau d’Hatchepsout ou la vérole de Ramsès V.

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Pour Ramsès II, l’examen radiologique livre un bilan de santé assez complet : le vieux pharaon présente des pathologies à la fois congénitales et liées à son âge avancé.

Sa sphère bucco-dentaire est particulièrement affectée : il souffrait de caries, certaines dents n’étant même plus représentées que par leur racine. De profonds stigmates de parodontite (inflammation des gencives) affectent plusieurs molaires et des pertes ante mortem, avec fermeture des alvéoles, touchent des incisives et des canines. En revanche, malgré l’impact de publications antérieures l’affirmant avec force, et quand bien même les Égyptiens aient été de remarquables dentistes et orthodontistes, aucune trace de soins dentaires et encore moins de prothèse ni d’implant.

Mais surtout, Ramsès II devait se déplacer difficilement.

Son squelette est dévoré par une probable spondylarthrite ankylosante, une pathologie qui affecte essentiellement la colonne vertébrale, le bassin et/ou le gril thoracique. Elle touche aussi les articulations des membres inférieurs et les extrémités ; le pharaon présente ainsi une fracture au niveau de la première phalange du troisième orteil gauche avec un cal de cicatrisation.

Chez Ramsès II, elle a provoqué une telle lordose (concavité) cervicale que, courbé et quasi bossu, il ne pouvait sans doute plus redresser sa tête. Les fractures lisibles sur ces mêmes vertèbres sont liées aux gestes invasifs des embaumeurs, destinés à l’allonger lors de l’ultime cérémonie.

Le vieux pharaon était aussi atteint de maux divers, habituels chez une personne de son âge, tels des troubles vasculaires, entraînant notamment une calcification des artères iliaques et fémorales, et des troubles articulaires. Loin des fantasmes d’un assassinat dans son sommeil, il semble que Ramsès II soit mort de vieillesse, perclus de maux douloureux et handicapants.

Image numérique de la momie de Ramsès II au nouveau musée
La momie de Ramsès est désormais exposée au National Museum of Egyptian Civilization, dans un espace dédié qu’elle partage avec les autres momies pharaoniques. Onceinawhile/National Museum of Egyptian Civilization, CC BY-SA

Le retour de la momie… ou presque

Le vieux pharaon, reparti pour une seconde éternité, ne sera pas présent lors de cette nouvelle exposition internationale. Seul son magnifique sarcophage en cèdre, moins vulnérable, sera présent – en France uniquement. Le symbole reste fort, 45 ans après le premier voyage.

Et si le regret de ne pas pouvoir rencontrer, de visu, le vieux souverain débouchait sur une réflexion collective éthique ?

Celle sur la « mise en scène » des restes humains. Du cabinet de curiosités aux collections des musées, exposer les morts issus de la fouille de contextes funéraires, qu’ils soient squelettisés ou momifiés, n’est jamais anodin. Le respect dû au corps humain cesse-t-il avec la mort ? Est-il réellement irrespectueux de « montrer » les acteurs du passé ?

La question du consentement ne cesse de tarauder les spécialistes, alors même qu’il s’agit de statuer sur la nature de ces vestiges : sont-ils des objets ou des sujets ? Les lois nationales, le code de déontologie fixent d’imparfaits cadres alors que d’aucuns légifèrent déjà sur la question de la restitution.

Valérie Delattre, Archéo-anthropologue, INRAP, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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