Le Liban a longtemps occupé une place centrale dans le jeu géopolitique du Moyen-Orient. Sa situation stratégique, son ouverture sur la Méditerranée et son rôle d’intermédiaire entre les mondes arabe et occidental en ont fait un acteur incontournable pendant une grande partie du XXᵉ siècle. Beyrouth, surnommée autrefois la « Suisse du Moyen-Orient », était un centre financier et culturel majeur, attirant capitaux et élites de toute la région. Mais cette époque est désormais révolue. Vingt ans après l’assassinat de Rafic Hariri, qui avait tenté de redonner au Liban une stature régionale, le pays est aujourd’hui marginalisé sur la scène diplomatique, éclipsé par des puissances plus influentes et empêtré dans des crises internes qui l’empêchent d’exercer une quelconque influence.
L’un des principaux facteurs de ce déclin est l’affaiblissement progressif de la souveraineté libanaise. Depuis la fin de la guerre civile en 1990, le pays a toujours été sous l’emprise d’acteurs étrangers qui ont dicté, directement ou indirectement, ses orientations politiques. La présence militaire syrienne, qui a perduré jusqu’en 2005, a fait du Liban un satellite de Damas pendant plus d’une décennie. Si le retrait des troupes syriennes après l’assassinat de Hariri en 2005 a brièvement redonné au Liban une certaine autonomie, il a également ouvert un nouveau cycle d’instabilité politique, marqué par une polarisation extrême entre deux blocs opposés : l’un aligné sur l’axe occidental et arabe, représenté par les forces du 14 Mars, et l’autre soutenu par l’Iran et la Syrie, mené par le Hezbollah et ses alliés.
Cette division interne, loin de s’atténuer, a continué de s’aggraver au fil des ans. Elle a empêché le Liban de parler d’une seule voix sur la scène internationale et a bloqué tout projet national de développement ou de réforme. L’incapacité des dirigeants libanais à surmonter leurs divergences a renforcé l’image d’un État faible et ingouvernable, ce qui a contribué à éloigner progressivement ses partenaires régionaux et internationaux.
Le rôle régional du Liban a également été fragilisé par la montée en puissance des puissances du Golfe et la redéfinition de leurs priorités diplomatiques. Dans les années 1990 et 2000, des pays comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis considéraient encore Beyrouth comme un allié stratégique et un terrain d’influence clé. Ils y investissaient massivement, aussi bien dans les infrastructures que dans le secteur bancaire. Mais avec l’ascension du Hezbollah et l’accroissement de l’influence iranienne, ces États ont progressivement réduit leur engagement au Liban, préférant concentrer leurs efforts sur des pays où ils pouvaient exercer un contrôle plus direct. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite et les Émirats se tournent vers d’autres pôles régionaux comme l’Égypte, la Jordanie et, plus récemment, Israël dans le cadre des accords d’Abraham, tandis que le Liban reste un dossier secondaire, perçu comme un État en faillite livré aux rivalités locales.
Par ailleurs, le désintérêt croissant des États-Unis pour le Moyen-Orient a également contribué à reléguer le Liban au second plan. Washington, autrefois impliqué dans les équilibres régionaux libanais, s’est progressivement désengagé, notamment sous l’administration Obama qui a cherché à réduire l’implication militaire américaine au Moyen-Orient. Cette tendance s’est confirmée sous les présidences suivantes, avec une priorité donnée à des dossiers comme l’Iran, la Chine et la Russie. Le Liban, autrefois un point d’ancrage de la stratégie américaine au Levant, est désormais perçu comme un territoire instable où toute intervention serait coûteuse et inefficace.
En parallèle, la montée en puissance du Hezbollah a contribué à changer la perception du Liban sur la scène internationale. Autrefois vu comme un pays d’ouverture, capable de faire le lien entre le monde arabe et l’Occident, le Liban est aujourd’hui considéré par de nombreux États comme une base avancée de l’Iran, un terrain où les rivalités entre Téhéran et ses adversaires se jouent par procuration. Cette image a notamment poussé les États du Golfe à durcir leur position vis-à-vis du Liban, imposant des sanctions économiques et réduisant leur soutien financier au pays.
L’effondrement économique de 2019-2020 a accentué cette marginalisation. Autrefois pôle financier majeur de la région, le Liban a perdu son attractivité économique. Son secteur bancaire, qui faisait sa force, s’est effondré, entraînant une perte de confiance totale de la communauté internationale. Aucun investisseur ne veut désormais prendre le risque d’injecter des fonds dans un pays où les institutions sont paralysées, où l’État est insolvable et où les banques ont confisqué les dépôts des citoyens.
L’incapacité du Liban à capitaliser sur les transformations régionales
Alors que le Moyen-Orient connaît des évolutions géopolitiques majeures, le Liban semble être l’un des seuls pays de la région à ne pas s’adapter. Ces dernières années ont vu un rapprochement spectaculaire entre Israël et plusieurs États arabes, un réalignement des priorités stratégiques des grandes puissances et une réorganisation des alliances régionales. Pourtant, le Liban est resté figé, incapable d’adopter une politique étrangère cohérente ou de redéfinir son rôle dans ce nouvel ordre régional.
Alors que l’Arabie saoudite et l’Iran ont récemment amorcé un dialogue après des années de confrontation, le Liban n’a pas su se positionner comme un acteur clé dans cette nouvelle dynamique. Au contraire, le pays a été marginalisé, n’étant plus qu’un enjeu secondaire dans les négociations entre Riyad et Téhéran. Cette situation contraste avec celle d’autres pays de la région, comme la Jordanie ou l’Égypte, qui ont su adapter leur diplomatie pour rester des interlocuteurs privilégiés des grandes puissances régionales et mondiales.
En somme, le Liban est aujourd’hui un acteur passif du jeu géopolitique régional, incapable d’influencer les événements qui le concernent directement. Cette marginalisation est le résultat de plusieurs décennies de mauvaise gouvernance, de luttes intestines et d’une incapacité à s’adapter aux nouvelles réalités du Moyen-Orient. Si le pays veut retrouver une place sur l’échiquier régional, il devra impérativement sortir de son immobilisme politique et économique et adopter une politique étrangère plus proactive et cohérente.
Le Liban face à une crise existentielle : quel avenir dans le nouvel ordre régional ?
Le Liban traverse une phase critique où son rôle dans le nouvel ordre régional est plus incertain que jamais. Pendant des décennies, le pays a su préserver un équilibre fragile, lui permettant de rester un carrefour diplomatique et économique, malgré les tensions et les guerres qui l’entouraient. Mais aujourd’hui, cet équilibre est rompu, et le Liban n’est plus un acteur influent dans la région.
L’un des principaux obstacles à son repositionnement est son instabilité politique chronique. Aucun gouvernement n’a été capable d’élaborer une politique étrangère cohérente et indépendante, et chaque décision diplomatique est immédiatement influencée par les rapports de force internes. Le blocage institutionnel permanent empêche tout consensus sur une orientation à donner au pays, et aucun projet national ne semble émerger pour répondre aux nouvelles dynamiques du Moyen-Orient.
Alors que de nombreux pays de la région ont su s’adapter aux changements géopolitiques, en restructurant leur économie et en redéfinissant leurs alliances, le Liban est resté figé dans les mêmes schémas de dépendance. Son alignement sur des puissances extérieures a rendu impossible toute autonomie décisionnelle, et son système de gouvernance clientéliste empêche la mise en place des réformes nécessaires.
Les alliances régionales se redessinent, et le Liban ne fait plus partie des priorités diplomatiques des grandes puissances arabes. Les investissements du Golfe se dirigent désormais vers des États stables et politiquement fiables, tandis que le Liban est perçu comme un pays à haut risque, incapable de garantir la protection des capitaux étrangers.
L’économie libanaise, autrefois un moteur de l’influence régionale du pays, est en ruine. L’effondrement du secteur bancaire et la perte de confiance des investisseurs ont réduit la capacité du Liban à négocier avec ses partenaires historiques. Le pays, qui était un hub financier et commercial, est aujourd’hui exclu des grands circuits économiques du Moyen-Orient, n’ayant ni les infrastructures ni la stabilité pour rivaliser avec des centres émergents comme Riyad, Dubaï ou Doha.
L’avenir du Liban dépend en grande partie de sa capacité à s’extraire des rivalités régionales. Tant qu’il restera un territoire disputé entre puissances étrangères, son influence ne pourra que continuer à s’amenuiser. Le système confessionnel, qui était censé garantir un équilibre entre les différentes forces internes, est désormais une source de blocage permanent, empêchant toute transformation politique et diplomatique.
Face à ces défis, plusieurs scénarios sont envisagés. Le pays pourrait rester dans une situation de stagnation, incapable de mettre en œuvre des réformes structurelles et toujours dépendant des aides extérieures. Une autre possibilité serait une rupture avec le système actuel, mais celle-ci nécessiterait un profond renouvellement de la classe politique et un apaisement des tensions internes, ce qui semble hors d’atteinte dans le contexte actuel.
Le Liban se retrouve donc dans une impasse, sans vision claire sur son rôle futur dans la région. Les transformations géopolitiques du Moyen-Orient avancent sans lui, et il devient un territoire marginalisé dans les grandes stratégies régionales et internationales. Aucune force interne n’a, pour l’instant, la capacité de changer cette trajectoire, et l’État libanais semble incapable de reprendre la maîtrise de son destin.