Le 12 mai 2025, les électeurs du Nord et de l’Akkar se sont rendus aux urnes pour la deuxième phase des élections municipales et des mokhtars. Si le déroulement du scrutin s’est globalement effectué dans le calme, il a été marqué par une participation électorale modérée et quelques incidents isolés. Au-delà de leur dimension administrative, ces élections ont révélé des dynamiques politiques sous-jacentes, dessinant les contours d’une recomposition locale en gestation.
Participation : une mobilisation à géométrie variable
Les taux de participation ont varié de manière significative selon les localités. À Tripoli, la plus grande ville du Nord, seule une minorité des électeurs s’est mobilisée, avec un taux avoisinant les 25 %, traduisant une forme de désaffection civique et une perte de confiance dans les structures locales. En revanche, des zones comme Zgharta ou le Koura ont enregistré des taux supérieurs à 35 %, voire atteignant près de 50 % dans des villages de la Minieh-Dinnieh.
Les raisons de cette disparité tiennent autant à la structuration des listes locales qu’à l’implication des partis traditionnels. Dans les bastions où les formations politiques ont pu maintenir des alliances cohérentes, la mobilisation s’est avérée plus forte. Ailleurs, la fragmentation ou l’absence d’offre politique lisible a contribué à l’abstention.
Incidents : tensions ponctuelles et désorganisation
Malgré l’engagement des forces de sécurité pour sécuriser le scrutin, plusieurs incidents ont été signalés, en particulier à Tripoli et à Bécharré. À Tripoli, des affrontements verbaux entre partisans de différentes listes ont momentanément interrompu le vote dans plusieurs bureaux. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont montré des altercations autour des urnes, nourrissant les accusations de fraude électorale.
À Bécharré, une dispute a éclaté entre membres de deux familles influentes, sur fond de tensions liées à la constitution des listes. Si aucun incident majeur n’a été rapporté, ces épisodes traduisent un climat de défiance et de rivalité latente qui persiste dans certaines localités. Le ministre de l’Intérieur a salué le calme relatif du processus, tout en reconnaissant la nécessité d’un encadrement plus strict dans les zones sensibles.
Résultats : le retour des notables et percée des indépendants
À l’issue du scrutin, plusieurs tendances se sont dégagées. Dans les régions chrétiennes, les partis traditionnels ont renforcé leurs positions. À Bécharré, la liste soutenue par les Forces libanaises a remporté la totalité des sièges. À Batroun, une coalition regroupant le Courant patriotique libre, les Kataëb et les Marada a permis une victoire consolidée face aux listes indépendantes.
Dans la région sunnite, et notamment à Tripoli, la carte électorale a été plus fragmentée. L’absence de figures tutélaires comme Saad Hariri a laissé place à une compétition ouverte entre différentes plateformes locales. Les listes menées par les députés Ihab Matar et Ashraf Rifi ont obtenu des résultats contrastés, illustrant l’éclatement de l’électorat sunnite. Plusieurs indépendants issus de la société civile ou d’initiatives communautaires ont réussi à s’imposer, notamment dans des quartiers périphériques.
À Minieh-Dinnieh, des figures issues du mouvement de protestation d’octobre 2019 ont fait une percée significative, notamment grâce à une campagne de terrain axée sur la transparence, la gestion locale et le rejet des clientélismes habituels. Cette poussée souligne une demande de renouvellement qui traverse toutes les régions, malgré l’ancrage des structures traditionnelles.
Enjeux : recomposition politique et crédibilité institutionnelle
Au-delà des résultats, ces élections locales ont révélé plusieurs enjeux fondamentaux. D’abord, elles constituent une étape essentielle dans le processus de réactivation démocratique, dans un pays encore sans élections législatives anticipées. Ensuite, elles permettent de mesurer le poids des formations traditionnelles face aux forces émergentes.
Le scrutin a également servi de baromètre pour le gouvernement de Nawaf Salam, qui a fait de la tenue du calendrier électoral un test de crédibilité. La présence du président Joseph Aoun au ministère de l’Intérieur durant la journée électorale visait à afficher l’implication des autorités dans le bon déroulement du processus. L’initiative a été saluée par plusieurs observateurs comme un signal positif en direction des partenaires internationaux.
Enfin, ces élections révèlent une géopolitique locale mouvante. Si les partis traditionnels conservent une emprise forte sur certaines zones, la montée de l’indépendance électorale, le retour des figures locales issues de la protestation, et la fragmentation du vote sunnite annoncent une recomposition potentielle à moyen terme. Le pouvoir municipal devient ainsi un terrain d’affirmation et de repositionnement stratégique, à la veille d’échéances politiques plus larges.