En attendant l’éclaircie

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Je retrouve le train à grande vitesse et traverse de vastes étendues. Ce qui me permet de me situer à nouveau dans l’espace, de remettre de l’ordre dans mes idées, de m’extraire de toutes les émotions intenses, emmagasinées durant la période de transition des fêtes de fin d’année. Les attentats de Berlin (marché de Noël) et d’Istanbul (nuit de la saint Sylvestre) m’avaient fortement ébranlé. Toujours le même désarroi devant les chocs culturels qui se multiplient.

La transmission par satellite a fait que même en France, je suis resté bloqué, sur les images des familles éplorées au Liban. La réaction du gouvernement Libanais a produit ponctuellement, un sursaut de solidarité salutaire. Il est plus facile d’affronter les épreuves douloureuses, collectivement. Les jeunes victimes ont ressoudé, émotionnellement et culturellement les Libanais, qui ont à nouveau pris conscience et de manière transcommunautaire, qu’ils avaient un mode de vie et une culture commune, qu’ils devaient préserver. Une grande partie s’est reconnue en eux.

En reprenant le train, j’emporte dans mes bagages les 9 livres sélectionnés du prix France-Liban. Je les ai déjà lus mais j’aime faire voyager les livres avec moi. On a l’impression que les personnages vous accompagnent comme autant de passagers. J’ai toujours l ’impression qu’ils sont plus vrais que la vie elle-même car ils sont inscrits pour toujours et ne risquent pas, de vous échapper ou de vous trahir. J’ai pris également le numéro d’Historia hors-série consacré au Liban, que j’avais parcouru longuement jusqu’à le retenir, pour avoir la sentiment, muni de ce document succinct et synthétique, que le déplacement dans l’espace facilitait et confortait, le voyage à travers le temps. En traversant les distances qui séparent la France de la Belgique puis de l’Allemagne j’ai l’impression de retrouver une continuité culturelle et de surmonter de nouvelles fractures. L’Europe continue à être à la fois, une expérience vivante et une laborieuse construction.

J’emporte également le dernier numéro de l’Express consacré à l’Odyssée de la France et qui titre « Depuis plus de vingt siècles, le monde a façonné notre identité » ainsi que le dernier numéro du Point avec Michel Onfray en couverture, à l’occasion de la parution de son dernier livre La décadence avec cette interrogation violente à débattre « Notre civilisation disparaît elle ? »

L’autre actualité politique consacrée aux primaires de la gauche paraît soudain secondaire car le débat idéologique, qui touche les acquis sociaux et économiques, semble provisoirement accessoire, devant la recrudescence des conflits culturels et leur multiplication à travers le monde. Nous continuons à osciller entre nos préoccupations matérielles économiques et notre survie culturelle. Partout le discours se focalise à présent, sur les identités.

Certes ce discours structurel ne date pas d’hier, il a toujours existé mais a atteint avec la mondialisation, une acuité délicate voire périlleuse car notre cadre spatio-temporel, s’est considérablement modifié, avec la révolution des moyens de communication. Nous avons besoin de le reconstituer dans l’Histoire et la Géographie. Comment se définir sinon à travers la rationalité du Temps et de l’Espace ? Pouvons-nous survivre dans un cadre incertain, avec ce sentiment angoissant comme le dit François Hollande (qui a jeté contraint et désemparé l’éponge) lors de ses derniers vœux « d’être à un moment dangereux de l’Histoire où tout peut basculer ». On ne sait toujours pas, qui pourrait lui succéder. En attendant le parti socialiste est en pleine débandade.

Dans dix jours, Donald Trump succédera véritablement à Barack Obama. Deux modèles aux antipodes l’un de l’autre. La défaillance et la pusillanimité de l’un, a entraîné la complaisance et la vantardise de l’autre. Toujours l’image du Père manquant. Il n’y a plus que le père Noël qui assure quelque peu, ses services mais même lui est devenu meurtrier à Istanbul.

Au Liban, nous avons un petit répit jusqu’aux prochaines élections législatives (dont on ne sait toujours pas quelle loi les régirait) et puis le prochain gouvernement qui en serait issu mais qui pratiquement ressemblerait, à tous les autres depuis presqu’un siècle. Un pays pluriculturel et pluricommunautaire est une association d’intérêts des différents chefs communautaires. De toute manière devant la brutalité de son environnement, la stabilité du Liban paraît essentielle. En attendant que le despote Syrien reprenne pleinement ses services. Dans une même géographie, l’histoire se répète. Le numéro d’Historia nous en informe amplement.

A moins que les Libanais soient finalement convaincus, que leur modèle de société leur est bénéfique à tous et que les conflits récurrents ne résoudront rien mais les maintiendront sous tutelle. Avons-nous atteint une sorte de maturité, qui nous ferait réaliser qu’il est préférable de s’entendre au mieux entre nous, que d’aller quémander des appuis ailleurs dont le prix est souvent très exorbitant ? Certes notre système paraît bancal, improvisé et souvent dysfonctionnel mais il reflète notre vécu propre et nos sacrifices. A travers nos ambivalences subjectives et structurelles, sommes-nous parvenus à une sorte de rationalité, indispensable à notre survie collective ?

Les différences culturelles sont incontournables (langue, religion, race, mœurs) car elles nous structurent mais peuvent si elles se transforment en discours idéologique et discriminatoire, nous dénaturer. Il faut les aménager durablement et les relativiser en les compensant. Il faudrait non seulement absorber et jouir sans frein, de nos avancées technologiques mais intérioriser le monde, dans ses nouvelles dimensions globales, afin de le préserver et de pouvoir à notre tour le transmettre.

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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