Ouverture de l’enquête et cadre judiciaire
Une procédure judiciaire a été officiellement ouverte contre un ancien gouverneur de la Banque du Liban, en lien avec des transferts suspects de capitaux effectués à l’étranger durant l’année 2019, au cœur de la crise monétaire libanaise. Cette action marque un tournant dans la volonté affichée des autorités judiciaires libanaises de rendre des comptes sur une des périodes financières les plus opaques et controversées de l’histoire économique récente du pays.
Les charges portent sur plusieurs infractions graves, parmi lesquelles figurent des abus de pouvoir, la manipulation de taux d’intérêt et le blanchiment d’argent. L’enquête vise à retracer les circuits financiers empruntés pour faire sortir des fonds considérables en pleine crise de liquidité. Ces transferts, selon les premiers éléments de l’enquête, auraient bénéficié à un cercle restreint d’acteurs économiques et politiques.
Le dossier est examiné par une cellule spécialisée dans les crimes financiers, qui a requis la coopération de plusieurs institutions bancaires nationales et internationales. Les magistrats chargés de l’enquête ont demandé l’accès aux relevés bancaires, aux courriels professionnels et aux communications du gouverneur à l’époque des faits, afin de constituer une chronologie précise des décisions prises et des mouvements d’actifs impliqués.
Implication du GAFI et surveillance accrue
Le dossier judiciaire a retenu l’attention du Groupe d’action financière (GAFI), l’organisme international chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. À la suite de cette affaire, le Liban a été placé sous une forme de surveillance renforcée, contraignant ses autorités à faire preuve d’une transparence accrue dans leurs pratiques financières et réglementaires.
Le GAFI émet des recommandations et peut exiger de ses membres qu’ils prennent des mesures correctives lorsqu’un pays est jugé à risque. Dans ce contexte, la justice libanaise est appelée à démontrer son indépendance et sa rigueur dans la conduite des enquêtes, sous peine de voir le système bancaire libanais encore davantage marginalisé au niveau international. Les institutions financières internationales, déjà méfiantes, pourraient ainsi durcir leurs exigences vis-à-vis des banques libanaises, voire restreindre leur accès aux services transfrontaliers.
Cette pression externe agit comme un catalyseur pour la réforme. Elle pousse les autorités à adopter des procédures plus strictes, notamment en matière de due diligence, de signalement des transactions suspectes et de contrôle des flux sortants. Toutefois, ces efforts risquent d’être entravés par des résistances internes, notamment au sein des réseaux économiques et politiques qui ont profité du système ancien.
Crise monétaire de 2019 : contexte et responsabilités
L’enquête en cours s’inscrit dans un climat encore très marqué par les conséquences de la crise financière de 2019. Cette dernière a vu la chute brutale de la valeur de la livre libanaise, une inflation galopante, et la disparition quasi totale de la liquidité bancaire pour les petits déposants. En parallèle, plusieurs grandes fortunes ont réussi à transférer leurs avoirs à l’étranger, suscitant colère et suspicion au sein de la population.
Au centre de cette crise se trouvait la Banque du Liban, institution qui, par ses choix de politiques monétaires et ses opérations de placement, a été accusée d’avoir aggravé la vulnérabilité du système. L’ancien gouverneur, dont la gestion était critiquée depuis plusieurs années, est désormais visé personnellement dans le cadre de cette affaire, marquant une rupture dans le traitement des responsabilités institutionnelles.
Les accusations portent notamment sur l’usage de taux d’intérêt artificiellement élevés pour attirer des dépôts en dollars, mécanisme qui a contribué à construire une pyramide financière instable. Cette stratégie, qualifiée par certains analystes de « Ponzi institutionnalisé », a entretenu une illusion de stabilité avant de s’effondrer sous le poids des déficits et du manque de confiance.
Enjeux politiques et résistance institutionnelle
L’ouverture d’une enquête contre un ancien haut responsable bancaire n’est pas sans implications politiques. Le gouverneur visé disposait de soutiens puissants au sein de l’élite économique et politique, ce qui rend toute procédure judiciaire contre lui particulièrement sensible. Plusieurs partis ont déjà tenté de minimiser la portée de l’affaire ou de la présenter comme une chasse aux sorcières, arguant d’un manque de preuves solides.
En parallèle, certaines institutions bancaires tentent de freiner la transmission d’informations aux enquêteurs, invoquant le secret bancaire encore en vigueur. Cette résistance témoigne de la difficulté à faire évoluer un système historiquement opaque, fondé sur des relations d’influence et de réciprocité entre les sphères politique et financière.
Toutefois, la pression internationale, conjuguée à l’exaspération populaire, renforce la légitimité des magistrats dans leur mission. Si cette enquête parvient à aboutir, elle pourrait constituer un précédent majeur, ouvrant la voie à d’autres procédures contre des responsables encore en fonction ou récemment retraités.
Impact sur le système bancaire et perspectives de réforme
À court terme, l’affaire fragilise un peu plus le système bancaire libanais, déjà largement discrédité. La méfiance des déposants reste élevée, et les fuites de capitaux vers l’étranger continuent, bien que les contrôles de change soient officiellement en vigueur. La réputation du Liban sur les marchés financiers internationaux est au plus bas, et les appels à un audit externe complet du système bancaire se multiplient.
Dans ce contexte, la justice devient un acteur central de la reconstruction économique. Sa capacité à établir des responsabilités et à sanctionner les abus conditionnera en partie le retour de la confiance, aussi bien au niveau national qu’international. Les négociations en cours avec les bailleurs de fonds, dont le Fonds monétaire international, sont directement influencées par la crédibilité du système judiciaire.
Des réformes structurelles sont en discussion, notamment la levée partielle du secret bancaire, l’obligation de publication des actifs des responsables publics, et la création d’un parquet financier autonome. Ces propositions rencontrent encore des résistances, mais elles sont désormais portées par des segments de la société civile et certains membres du gouvernement désireux de rompre avec les pratiques passées.