Gebran Bassil écarté du pouvoir : manœuvre politique ou pari risqué ?

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Un éloignement progressif du pouvoir

Depuis la nomination de Nawaf Salam au poste de Premier ministre désigné, Gebran Bassil et son parti, le Courant Patriotique Libre (CPL), ont progressivement perdu de leur influence dans les négociations gouvernementales. Autrefois considéré comme un acteur clé dans la formation des coalitions, Bassil semble aujourd’hui mis à l’écart, en raison d’un repositionnement stratégique des forces politiques libanaises, mais aussi sous l’effet de pressions internationales croissantes qui cherchent à recomposer la scène politique​.

L’isolement de Bassil s’explique d’abord par l’évolution des rapports de force internes. Dans les précédents gouvernements, le CPL jouait un rôle de pivot, formant des alliances tantôt avec le Hezbollah, tantôt avec des forces chrétiennes plus proches des milieux occidentaux. Cependant, avec l’émergence de nouvelles lignes de fracture, notamment entre les forces pro-occidentales et les partisans d’un maintien du Hezbollah au sein des institutions, le CPL se retrouve sans véritable ancrage clair. Cette situation l’empêche d’imposer ses conditions dans les discussions actuelles​.

L’exclusion progressive de Bassil a été renforcée par la volonté de Nawaf Salam d’éviter les polémiques liées aux blocages institutionnels passésLes bailleurs de fonds internationaux, notamment les pays occidentaux et les institutions financières, perçoivent Gebran Bassil comme un facteur d’instabilité, en raison de son passé controversé et de son implication dans des décisions gouvernementales jugées inefficaces. Selon Al Joumhouriyat (08/02/2025), plusieurs diplomates européens ont indiqué en privé que la participation du CPL au gouvernement serait un frein aux aides internationales, car cela renforcerait l’image d’un système incapable de réformes profondes​.

En outre, la relation de Bassil avec le Hezbollah est devenue plus ambiguë. S’il a par le passé bénéficié du soutien du parti chiite pour consolider son influence au sein des institutions, il semble aujourd’hui moins aligné sur les positions du tandem Amal-Hezbollah, ce qui réduit son poids dans les négociationsLe Hezbollah privilégie actuellement une stratégie de consolidation avec des alliés plus fiables, tels que Nabih Berri et certaines factions sunnites, ce qui affaiblit encore plus la position de Bassil​.

Ainsi, le leader du CPL se retrouve pris entre deux feux : trop distant du Hezbollah pour bénéficier de son soutien total, mais trop controversé aux yeux des pays occidentaux pour s’imposer comme un acteur de réformes crédibleCette marginalisation progressive l’oblige désormais à revoir sa stratégie et à trouver de nouvelles alliances pour conserver une influence dans le jeu politique libanais​.

Un recalibrage politique face à l’exclusion

Face à son éloignement progressif des cercles de pouvoirGebran Bassil a rapidement réorienté sa stratégie politique en adoptant une posture d’opposition semi-officielle. Conscient que son influence au sein des négociations gouvernementales s’amenuise, il a choisi d’intensifier ses critiques contre Nawaf Salam et de dénoncer une tentative d’ingérence étrangère dans la formation du cabinet ministériel​.

Lors d’un discours prononcé à Beyrouth, Bassil a accusé Nawaf Salam d’être sous influence occidentale, affirmant que « ce gouvernement est dicté depuis l’étranger et cherche à marginaliser certaines forces politiques sous prétexte de réformes ». Cette déclaration, largement relayée par les médias pro-CPL, marque un tournant dans sa communication politique : alors qu’il s’était jusque-là positionné comme un acteur du compromis, il adopte désormais un ton plus offensif, visant à mobiliser ses partisans et à reconstituer son influence​.

L’axe central de cette nouvelle stratégie repose sur une rhétorique identitaire et confessionnelleBassil affirme que les forces chrétiennes influentes sont délibérément écartées du processus décisionnel et que leur rôle historique dans la gestion du pays est menacé. Il a ainsi déclaré que « les véritables décisions ne sont plus prises à Beyrouth, mais à Washington, Riyad et Paris », insinuant que le gouvernement en gestation ne reflète pas les réalités politiques internes du Liban​.

Cette posture a pour but de resserrer les rangs autour du Courant Patriotique Libre et de réactiver son électorat, en particulier au sein des bastions chrétiens du Mont-Liban et du Nord. Cependant, cette stratégie comporte aussi des risques, car elle pourrait isoler davantage Bassil sur la scène politique nationale. En cherchant à se positionner en victime d’un plan international visant à l’affaiblir, il prend le risque de voir son parti se couper des alliances qui lui avaient permis de peser dans les précédents gouvernements​.

Un isolement stratégique ou un pari pour l’avenir ?

Le positionnement de Gebran Bassil en tant qu’opposant au gouvernement de Nawaf Salam soulève des interrogations sur la viabilité de sa stratégie à long terme. Alors qu’il avait toujours joué un rôle central dans les alliances politiques libanaises, son choix de prendre ses distances avec le processus de formation du gouvernementsemble être un pari risquéEn restant hors des cercles de décision, il pourrait voir son influence politique s’éroder, mais cela pourrait aussi lui permettre d’éviter d’être associé à un éventuel échec du nouveau gouvernement​.

Dans les milieux politiques libanais, certains observateurs estiment que Bassil mise sur un effondrement rapide du gouvernement de Nawaf Salam pour réapparaître en sauveur et récupérer du capital politique. En se positionnant en figure de l’opposition, il cherche à se présenter comme l’alternative crédible à un gouvernement qu’il qualifie d’illégitime et d’imposé de l’extérieur. Toutefois, cette stratégie n’est pas sans danger, car elle pourrait accentuer son isolement et l’éloigner davantage des centres de pouvoir​.

Un autre facteur déterminant dans l’avenir politique de Bassil est sa relation avec le Hezbollah. Si le Courant Patriotique Libre a longtemps été un allié clé du parti chiite, les tensions entre les deux camps sont devenues plus visibles ces derniers moisLe Hezbollah privilégie actuellement des alliances plus solides, notamment avec Nabih Berri et d’autres factions chiites, ce qui réduit l’influence de Bassil dans les décisions majeuresSans soutien fort du Hezbollah, le CPL pourrait perdre une grande partie de son poids politique​.

En fin de compte, Gebran Bassil joue une carte à double tranchant : s’il parvient à mobiliser son électorat et à apparaître comme un leader persécuté par des forces étrangères, il pourrait se repositionner efficacement en vue des prochaines élections. En revanche, si le gouvernement Salam réussit à se maintenir et à obtenir un soutien international, son absence du pouvoir pourrait se transformer en une marginalisation durable​.

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