Un tribunal américain a reconnu coupable Hadi Matar, un Américain d’origine libanaise, pour avoir tenté d’assassiner l’écrivain Salman Rushdie en 2022. L’attaque, survenue lors d’un événement littéraire à New York, avait plongé Rushdie dans un état critique après qu’il eut été poignardé à plusieurs reprises. Matar, qui risque jusqu’à 25 ans de prison, sera fixé sur son sort en avril. Ce procès met en lumière une affaire mêlant liberté d’expression, fanatisme religieux et tensions géopolitiques persistantes autour de l’auteur des Versets sataniques.
Un verdict rapide après un procès marqué par des tensions
Le jury a délibéré moins de deux heures avant de rendre son verdict, une rapidité qui témoigne de la solidité des preuves contre Matar. L’accusation a présenté des témoignages accablants, notamment celui de Salman Rushdie lui-même, qui a décrit avec précision l’attaque brutale dont il a été victime.
Rushdie a raconté comment, en plein événement culturel dans un centre de conférence rural de New York, Matar avait foncé sur lui avant de lui porter environ dix coups de couteau à l’aide d’une lame de quinze centimètres. Parmi ses blessures, il a mentionné une plaie perforante à l’œil droit qui lui a causé une douleur extrême. Il a décrit l’instant où il a cru mourir, baignant dans son propre sang, avant d’être transporté d’urgence en hélicoptère vers un hôpital.
Le procès a également révélé des détails sur la gravité des séquelles laissées par l’attaque. Rushdie a subi une section du nerf optique, une laceration de la trachée, ainsi que des blessures profondes au foie et aux intestins. Son bras gauche a été partiellement paralysé en raison des lésions nerveuses. Interrogé sur l’intensité de la douleur ressentie, il a simplement répondu : « 10 sur 10 ».
Un accusé au discours radical
Durant le procès, Matar s’est montré provocateur à plusieurs reprises, criant des slogans pro-palestiniens et tentant d’interrompre les débats. Il a toutefois choisi de ne pas témoigner à la barre.
Avant son arrestation, Matar avait affirmé avoir lu seulement deux pages des Versets sataniques mais être convaincu que Rushdie avait « attaqué l’Islam ». Ce livre, publié en 1988, a été au cœur d’une controverse mondiale opposant défenseurs de la liberté d’expression et partisans d’une interdiction des propos jugés blasphématoires.
Les conséquences tragiques de la fatwa de 1989
L’attaque contre Salman Rushdie s’inscrit dans un long historique de violences liées à la fatwa prononcée en 1989 par l’ayatollah Ruhollah Khomeini, alors dirigeant suprême de l’Iran. Cette fatwa appelait à l’exécution de Rushdie pour blasphème en raison du contenu des Versets sataniques.
Dès sa publication, le roman a déclenché des manifestations violentes, des attaques contre des librairies et la censure dans plusieurs pays musulmans. En 1991, son traducteur japonais Hitoshi Igarashi a été assassiné. Son éditeur norvégien William Nygaard a été victime de plusieurs balles, mais a survécu. Rushdie lui-même a vécu sous protection policière au Royaume-Uni pendant plus de dix ans, avant de s’installer aux États-Unis où il menait une vie plus normale avant l’attaque de 2022.
Un procès aux résonances géopolitiques
L’affaire Matar a également pris une dimension diplomatique. Selon le FBI, le Hezbollah, soutenu par l’Iran, a approuvé la fatwa et encouragé les attaques contre Rushdie. L’accusé, Hadi Matar, fait d’ailleurs l’objet d’une autre inculpation pour terrorisme devant un tribunal fédéral américain.
L’Iran a officiellement démenti tout lien avec l’assaillant, affirmant que seul Rushdie était responsable des conséquences de ses écrits. Cette position s’inscrit dans une stratégie diplomatique ambiguë, l’Iran ayant maintenu une posture fluctuante concernant la fatwa au fil des années.
Un symbole de la lutte entre liberté d’expression et intolérance religieuse
Depuis plus de trente ans, Salman Rushdie est devenu un symbole du combat pour la liberté d’expression. Son œuvre, décriée par certains et défendue par d’autres, interroge les limites du sacré et du droit à la critique religieuse. En 2023, il a publié un livre intitulé Knife, dans lequel il revient sur son expérience de victime d’une tentative d’assassinat.
Lors de son témoignage, il a évoqué avec ironie sa première réaction après l’attaque : « La première chose que j’ai dite après avoir retrouvé ma voix, c’est : ‘Je peux parler’ », une déclaration qui a suscité quelques rires discrets parmi les jurés.
Le verdict contre Hadi Matar marque un acte de justice, mais l’affaire Rushdie continue de cristalliser les tensions entre ceux qui prônent une liberté absolue d’expression et ceux qui estiment que certains discours peuvent justifier des représailles violentes.