Accords en suspens et conditionnalité des aides : un révélateur de la dépendance libanaise
Le 8 mai 2025, plusieurs journaux libanais reviennent sur un dossier aussi technique que stratégique : 22 accords entre le Liban et l’Arabie saoudite seraient gelés dans l’attente de « réformes sérieuses ». Ce dossier, évoqué par les autorités comme levier de relance, semble en réalité pris dans une logique de conditionnalité politique et de réticence structurelle. L’article analyse le contenu annoncé de ces accords, leur poids réel dans le débat public et les obstacles à leur concrétisation.
Des accords annoncés, mais non publiés
Ces accords ont été initialement évoqués lors de la visite du président Joseph Aoun en Arabie saoudite au mois de mars 2025. Ils couvriraient les secteurs des infrastructures, de la santé, de l’éducation, de l’énergie et de la gouvernance. Aucun d’eux n’a toutefois été rendu public en détail.
Un haut fonctionnaire du ministère des Finances affirme que « les documents existent, mais aucun n’est juridiquement finalisé ». Aucun projet de financement n’a été inscrit au budget 2025. La mention répétée de ces accords dans les discours politiques apparaît alors comme une stratégie de communication.
Leur simple évocation a suffi à susciter des attentes dans certains milieux économiques, notamment dans la construction et la sous-traitance publique. Un dirigeant d’entreprise y voit « une carotte brandie devant une économie affamée ».
Conditionnalité saoudienne : réformes ou retrait
L’Arabie saoudite lie explicitement la signature de ces accords à la réalisation d’un ensemble de réformes jugées « indispensables ». Cela inclut la restructuration bancaire, la lutte contre la corruption, et surtout le désengagement des institutions publiques de toute interférence sécuritaire ou politico-confessionnelle.
Un conseiller saoudien a exprimé la volonté d’« éviter que l’aide financière ne serve à reproduire les déséquilibres actuels ». L’enjeu, ici, est autant économique que politique : l’Arabie saoudite conditionne son retour à Beyrouth à une marginalisation du Hezbollah et de ses réseaux d’influence.
Une logique de sanction douce, qui ne dit pas son nom
Cette attitude s’inscrit dans une stratégie plus large qualifiée de « sanction douce ». Plutôt que de couper brutalement les relations diplomatiques, Riyad maintient une posture de retrait sélectif, tout en gardant des leviers d’influence à travers ses promesses conditionnées.
L’ancien ministre de l’Économie déclare : « Ce ne sont pas des accords, ce sont des outils de pression sans calendrier. » La rhétorique des aides sert davantage à orienter les décisions internes qu’à structurer de véritables transferts budgétaires.
Absence d’évaluation des montants et des priorités
Aucun média ne précise les montants associés à ces accords. Certains responsables ont évoqué des chiffres proches de 3 milliards de dollars, mais sans détail sur les tranches, les modalités ni les échéances. L’absence de budget associé alimente les soupçons d’instrumentalisation.
Ces promesses non chiffrées entretiennent une forme de dépendance économique sans garanties concrètes. Cette communication est perçue comme une tentative de pacifier l’opinion intérieure plus qu’un plan structuré.
Comparaison avec les précédents de 2006 et 2016
La situation actuelle rappelle celle de l’après-guerre de 2006, où des promesses saoudiennes n’avaient été que partiellement réalisées. En 2016, un financement militaire avait été suspendu sans justification. La stratégie actuelle repose sur une attente conditionnelle, à la fois politique et administrative, permettant de maintenir une présence symbolique forte sans engagement financier direct.
Réactions locales : entre espoir et scepticisme
Dans les milieux d’affaires, cette attente se traduit par une grande prudence. Des entrepreneurs reportent leurs projets d’investissement, en attendant des signes plus concrets. Un promoteur immobilier résume : « On ne bâtit pas sur du vent. »
Certains partis politiques y voient « une opportunité historique », tandis que d’autres dénoncent une tentative d’ingérence. Le Premier ministre adopte une ligne intermédiaire, saluant « l’intérêt des pays frères » tout en appelant à « une dynamique interne fondée sur l’application de la Constitution ».
Une attente qui risque de se transformer en impasse
Plusieurs analystes craignent que l’insistance sur ces accords suspendus ne serve de prétexte à l’inaction. En les brandissant comme solution potentielle à la crise économique, les autorités reportent indéfiniment la nécessité de construire des politiques endogènes.
Un économiste estime que « le Liban ne peut pas reconstruire son économie uniquement à coups d’attentes conditionnées ». Il appelle à « sortir du mythe de la manne externe pour s’engager dans un vrai dialogue fiscal, monétaire et productif ».
Un outil d’influence plus que de développement
En définitive, les 22 accords apparaissent moins comme un plan de soutien concret que comme un outil d’influence diplomatique. Ils permettent à l’Arabie saoudite de maintenir une présence politique tout en exerçant une pression indirecte sur les équilibres internes.
Pour le Liban, leur activation dépendra de la capacité à redéfinir un pacte politique national susceptible de rassurer les partenaires arabes et occidentaux. En l’absence de ce consensus, ces textes risquent de rejoindre les longues listes d’accords non appliqués.