En ce début mars 2025, la littérature libanaise s’affirme comme une force rayonnante sur la scène internationale, portée par des auteurs dont les récits captivent lecteurs et critiques à travers le globe. Ancrée dans un pays riche d’une histoire multiculturelle, cette tradition littéraire s’épanouit grâce à une créativité qui transcende les frontières, offrant des voix uniques qui résonnent bien au-delà du petit État méditerranéen niché entre mer et montagnes. Le Liban, carrefour culturel où l’arabe, le français et l’anglais cohabitent depuis des générations, a donné naissance à des plumes capables de transformer expériences et mémoires en œuvres universelles, touchant des publics dans des dizaines de langues.
Beyrouth, cœur vibrant de cette effervescence, a toujours été un lieu d’échanges et d’inspiration, souvent surnommé la « Suisse du Moyen-Orient » pour son cosmopolitisme d’antan. En 2017, plus de 400 expositions annuelles animaient la ville, témoignant d’une vitalité culturelle qui, même mise à l’épreuve, ne s’est jamais éteinte. Aujourd’hui, des figures comme Amin Maalouf, Hoda Barakat et Charif Majdalani, traduites dans le monde entier et couronnées de prix prestigieux, incarnent ce succès, tandis qu’une nouvelle génération d’écrivains et d’éditeurs indépendants prend le relais, propulsant la littérature libanaise vers des horizons toujours plus vastes. Dans un contexte où le talent continue de s’élever au-dessus des défis, ces auteurs et leurs histoires offrent un éclat d’espoir et une célébration de l’identité libanaise, prouvant que l’art peut prospérer là où l’imagination refuse de plier.
Les mots libanais voyagent à travers le globe
La traduction des livres libanais en plusieurs langues constitue un pilier fondamental du succès international de cette littérature, permettant aux récits nés dans les ruelles de Beyrouth ou les villages du Mont-Liban de toucher des lecteurs aux quatre coins du globe. Amin Maalouf, écrivain franco-libanais né en 1949 à Beyrouth, reste une figure emblématique de cette exportation littéraire. Installé à Paris depuis 1976, il a écrit Le Rocher de Tanios (Grasset, 1993), un roman qui mêle une fresque historique du Liban ottoman du XIXe siècle à une légende mystique, remportant le prestigieux Prix Goncourt la même année. Ce livre, traduit en plus de 20 langues – anglais (The Rock of Tanios), espagnol (La roca de Tanios), italien (La roccia di Tanios), japonais, et même en turc et en persan – a captivé des millions de lecteurs par sa prose poétique et son exploration des tensions communautaires, un thème récurrent dans son œuvre. Son essai Les Identités meurtrières (1998, Grasset), traduit en 30 langues, dont le chinois et le russe, décortique les conflits identitaires avec une lucidité qui résonne dans les sociétés contemporaines marquées par la polarisation. En 2024, son dernier ouvrage, Le Labyrinthe des égarés (Grasset), une réflexion sur les civilisations perdues et les chaos modernes, a été rapidement traduit en anglais et en arabe, vendu à Beyrouth pour 11 euros contre 23 euros à Paris grâce à une initiative locale soutenue par l’Institut français, rendant son travail accessible malgré la crise économique.
Hoda Barakat, née en 1952 à Beyrouth et établie à Paris depuis 1989, a marqué la littérature arabe et mondiale avec son roman Courrier de nuit (Actes Sud, 2019, traduit par Philippe Vigreux). Ce livre, une mosaïque de lettres fictives écrites par des exilés perdus dans leurs souvenirs et leur désespoir, a remporté le Prix international de la fiction arabe en 2019, une distinction majeure dans le monde arabe. Traduit en anglais (The Night Mail), espagnol, italien et allemand, avec des versions en cours en mandarin et en hindi pour 2025, il illustre sa capacité à universaliser l’expérience libanaise de l’exil et de la solitude. Son premier roman, La Pierre du rire (1990), traduit en 12 langues dont l’anglais et le français, explore les cicatrices psychologiques de la guerre civile à travers un narrateur ambigu, Khalil, offrant une plongée dans les méandres de l’âme humaine qui dépasse les frontières culturelles. Sa prose, dense et introspective, a valu à Barakat une reconnaissance comme l’une des voix féminines les plus puissantes du monde arabe contemporain.
Charif Majdalani, né en 1960 à Beyrouth, complète ce trio avec une œuvre tout aussi exportée. Villa des femmes (Seuil, 2015), traduit en 10 langues dont l’anglais (The House of Women) et l’allemand (Das Haus der Frauen), retrace une saga familiale dans le Liban des années 1960, mêlant grandeur et déclin avec une élégance qui lui a valu le Prix Jean Giono en 2015. Beyrouth 2020 (2020, Actes Sud), un journal intime écrit au lendemain de l’explosion du port, traduit en anglais et italien, capture les émotions brutes d’une ville en ruines, offrant un témoignage poignant qui a séduit les lecteurs étrangers par son universalité. Majdalani, enseignant à l’Université Saint-Joseph et chroniqueur, incarne une littérature libanaise qui allie érudition et sensibilité, trouvant un écho dans les cercles littéraires européens et américains.
Une nouvelle génération en traduction
La nouvelle génération suit cette voie. Rabih Alameddine, né en 1959 à Amman mais élevé à Beyrouth avant de s’installer aux États-Unis, a vu son roman Les Vies de papier (2016, Gallimard pour la version française) traduit en 15 langues, dont l’anglais (An Unnecessary Woman), l’espagnol (La mujer de papel) et le portugais. Ce livre, qui suit Aaliya, une traductrice excentrique vivant recluse à Beyrouth, mêle humour noir et méditations sur la littérature, touchant un public mondial par sa célébration de la résilience et de l’art face à l’adversité. Zeina Abirached, née en 1981 à Beyrouth et installée à Paris depuis 2004, a conquis les lecteurs avec ses bandes dessinées : Le Jeu des hirondelles (2007, Cambourakis), traduit en 10 langues dont l’anglais (A Game for Swallows) et le japonais, raconte son enfance dans Beyrouth en guerre à travers des dessins en noir et blanc, une simplicité graphique qui universalise son récit personnel. Dima Abdallah, née en 1977 à Beyrouth, a émergé avec Mauvaises herbes (2020, Sabine Wespieser), traduit en anglais (Bad Grass) et allemand (Unkraut). Ce premier roman, une méditation poétique sur le deuil et l’exil à travers une fillette et son père dans un Beyrouth dévasté, a reçu une mention spéciale au Prix de la littérature arabe 2020, attirant l’attention des éditeurs étrangers pour sa sensibilité brute. Alexandre Najjar, né en 1967, avocat et écrivain prolifique, a vu Le Roman de Beyrouth (2005, Plon) traduit en anglais et italien, une fresque historique sur la capitale libanaise qui mêle érudition et nostalgie, tandis que son Dictionnaire amoureux du Liban (2014) circule en français et en arabe, offrant une célébration littéraire du pays. Ces traductions, souvent soutenues par des éditeurs indépendants et des institutions comme l’Institut français et l’UNESCO, permettent à la littérature libanaise de toucher des publics divers, transformant les récits libanais en passerelles culturelles dans un pays où l’accès local aux livres reste un luxe.
Prix littéraires remportés : la reconnaissance internationale des plumes libanaises
Les écrivains libanais accumulent les prix littéraires, affirmant leur place parmi les plumes les plus reconnues au monde. Amin Maalouf, avec Le Rocher de Tanios (1993), a remporté le Prix Goncourt, un sacre qui a marqué un tournant pour la littérature libanaise francophone. Né à Beyrouth dans une famille chrétienne melkite, Maalouf a fui la guerre civile en 1976 pour s’installer en France, où sa carrière a pris une dimension internationale. Son élection à l’Académie française en 2011, occupant le fauteuil de Claude Lévi-Strauss, a fait de lui le premier Libanais à intégrer cette institution, un symbole de l’excellence littéraire de son pays natal. Ses récits, qui naviguent entre histoire, fable et réflexion philosophique, ont valu à ses œuvres une diffusion massive, renforçant la réputation des lettres libanaises comme un pont entre Orient et Occident.
Hoda Barakat a marqué un autre jalon avec Courrier de nuit (2019), qui lui a valu le Prix international de la fiction arabe, doté de 50 000 dollars et créé en 2008 par la Fondation Booker à Abou Dabi. Ce roman, écrit en arabe et traduit en plusieurs langues, explore la solitude des exilés à travers une mosaïque de lettres fictives, un style qui lui a permis de devenir la deuxième femme à décrocher ce prix après Raja Alem en 2011. Barakat, née dans une famille maronite et formée à l’Université libanaise, a également reçu le Prix Naguib Mahfouz en 2000 pour l’ensemble de son œuvre, une distinction égyptienne qui célèbre la littérature arabe moderne. Ses textes, empreints d’une introspection sombre sur la guerre et l’exil, ont établi sa voix comme l’une des plus puissantes du monde arabe contemporain, portée par une prose qui transcende les barrières linguistiques.
Charif Majdalani, écrivain et professeur né en 1960 à Beyrouth, a été honoré par le Prix Jean Giono en 2015 pour Villa des femmes (2015, Seuil), un roman qui retrace une saga familiale dans le Liban des années 1960, mêlant grandeur et déclin avec une élégance narrative saluée par la critique française. Issu d’une famille grecque-orthodoxe, Majdalani écrit en français, une langue qu’il a perfectionnée à l’Université Saint-Joseph, et ses œuvres oscillent entre fresques historiques et récits intimes, offrant une fenêtre sur une société libanaise multiconfessionnelle en mutation. Son journal Beyrouth 2020 (2020), écrit dans l’urgence après l’explosion du port, a consolidé sa réputation comme chroniqueur sensible des drames de son pays, touchant un public international par sa capacité à capturer l’âme d’une ville blessée.
Une nouvelle garde primée et célébrée
La nouvelle génération ne démérite pas. Rabih Alameddine a été finaliste du National Book Award aux États-Unis en 2014 pour Les Vies de papier (An Unnecessary Woman), une reconnaissance rare pour un auteur libanais, célébrant une traductrice beyrouthine qui trouve refuge dans les livres face à une vie solitaire marquée par la guerre. Né à Amman de parents libanais druzes et formé aux États-Unis, Alameddine mêle humour noir et érudition, une combinaison qui lui a valu des éloges dans les cercles littéraires anglophones. Zeina Abirached, née en 1981 à Beyrouth, a été décorée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2016 par la France pour ses bandes dessinées, notamment Le Jeu des hirondelles (2007), qui raconte son enfance dans un Beyrouth assiégé avec une simplicité graphique qui a séduit un public mondial. Formée à l’Académie libanaise des beaux-arts, elle vit à Paris depuis 2004, où son style, influencé par Marjane Satrapi, a trouvé un écho dans la littérature illustrée contemporaine.
Dima Abdallah, née en 1977 à Beyrouth, a reçu une mention spéciale au Prix de la littérature arabe 2020 pour Mauvaises herbes (2020), son premier roman qui explore le deuil et l’exil à travers une fillette et son père dans un Beyrouth en ruines. Élevée dans une famille chiite et expatriée à Paris depuis 1989, Abdallah a conquis les lecteurs par sa prose poétique et introspective, un talent émergent qui s’ajoute à une lignée d’auteurs libanais célébrés. Alexandre Najjar, né en 1967, avocat et écrivain prolifique, a été nommé Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2018 par la France, et son Roman de Beyrouth (2005) offre une fresque historique qui continue d’éblouir les lecteurs par son érudition. En 2024, Mohammed Tarazi a remporté le Prix Naguib Mahfouz pour Mīkrūfūn kātim Ṣawt (Micro coupé), une distinction égyptienne qui amplifie la portée de son œuvre dans le monde arabe et au-delà, soulignant la vitalité d’une littérature née dans l’adversité.
Essor de l’édition indépendante : une résistance créative dans la crise
Malgré une crise économique dévastatrice, l’édition indépendante au Liban connaît un essor remarquable, soutenant ce succès international. En 2019-2020, le chiffre d’affaires des maisons d’édition a chuté de 70 %, passant de 1 730 éditeurs en 2000 à moins d’une quarantaine en 2024, selon les estimations du secteur. L’inflation galopante a rendu les livres importés prohibitifs – un roman à 20 euros représente la moitié du salaire mensuel d’un militaire en 2024 – tandis que l’explosion du port a détruit des presses et librairies, comme Papercup à Mar Mikhaël, et que les bombardements de 2024 ont encore fragilisé une industrie déjà à l’agonie. Les coûts d’impression ont triplé depuis 2019 en raison de la pénurie de papier et d’encre, importés en dollars dans un pays où la monnaie locale a perdu toute valeur, et les pannes d’électricité – limitées à 4 heures par jour – entravent la production. Pourtant, dans ce paysage désolé, des éditeurs indépendants trilingues (arabe, français, anglais) résistent, adaptant leurs stratégies pour maintenir une littérature vivante.
Une nouvelle vague d’éditeurs et d’initiatives audacieuses
Dar Al Farabi, fondée en 1954 à Beyrouth, reste un pilier de l’édition arabe, publiant des auteurs comme Hoda Barakat en arabe et soutenant leurs traductions internationales malgré des ressources limitées. Dar al-Tanweer, née en 2012, a poursuivi ses activités en 2024, imprimant des éditions locales à faible coût pour contourner les importations, avec des tirages réduits mais ciblés vers des lecteurs arabophones locaux et régionaux. Dar Kitab al-Jadid al-Moutahida, plus jeune, a pivoté vers des publications numériques en 2024, offrant des e-books accessibles sur des plateformes comme Kindle et Google Books, une innovation qui permet à des auteurs comme Charif Majdalani de toucher un public mondial malgré les restrictions physiques. Ces éditeurs, souvent familiaux ou gérés par des passionnés, maintiennent une production modeste mais essentielle, publiant des œuvres qui oscillent entre récits de guerre, poésie introspective et chroniques sociales, reflet d’une société libanaise complexe.
Les librairies jouent aussi un rôle crucial dans cet essor. Antoine, chaîne historique avec des succursales à Beyrouth, a racheté des droits de titres français – comme ceux de Bayard et Flammarion – pour les imprimer localement en 2024, les vendant à moitié prix (11 euros contre 23 euros à Paris pour Le Labyrinthe des égarés d’Amin Maalouf), une initiative soutenue par l’Institut français pour préserver l’accès à la littérature francophone. Al Maaref Forum et Arab Diffusion Company, des éditeurs indépendants, ont ciblé les marchés du Golfe, où les foires du livre – comme Sharjah et Riyad – offrent des débouchés lucratifs. En novembre 2024, Sharjah a accueilli une délégation libanaise élargie, vendant des droits de traduction pour des œuvres comme Mauvaises herbes de Dima Abdallah, capitalisant sur un savoir-faire éditorial reconnu dans la région. Ces éditeurs, souvent à la tête de petites équipes – parfois trois à cinq personnes travaillant dans des bureaux sans chauffage – maintiennent une production qui soutient les auteurs locaux, leur permettant de rayonner à l’international dans un contexte où les grandes maisons occidentales hésitent à investir au Liban.
Une créativité née de la nécessité
Cet essor s’accompagne d’une créativité née de la nécessité. Les éditeurs indépendants, privés de subventions étatiques – le budget culturel libanais est inférieur à 1 % du PIB depuis des décennies – ont recours à des campagnes de financement participatif. En 2024, une initiative en ligne appelée « Ink of Beirut » a levé 100 000 dollars pour publier des recueils bilingues de poésie et de nouvelles, incluant des auteurs émergents comme Nada Ghosn, dont les textes sur l’exil et la reconstruction trouvent un écho dans la diaspora. Les imprimeurs locaux, comme Dar al-Houna à Tripoli, ont adapté leurs presses pour produire des éditions à faible tirage – parfois 200 exemplaires – vendues à des prix abordables (5 dollars en arabe) pour répondre à la demande intérieure tout en exportant des droits à l’étranger. Ces efforts, bien que modestes face à l’ampleur de la crise, permettent à des auteurs comme Alexandre Najjar, avec ses fresques historiques, et Mohammed Tarazi, avec ses récits introspectifs sur le silence et la guerre, de continuer à écrire et à être lus, offrant une lueur d’espoir dans un pays où la littérature devient un refuge face à l’effondrement.