Le Liban, en proie à une instabilité chronique depuis des années, franchit une étape clé dans la restructuration de ses institutions sécuritaires. Le 6 mars 2025, une source gouvernementale a révélé au quotidien al-Joumhouria qu’un accord avait été conclu pour nommer le général de division Rudolph Haykal au poste de commandant de l’armée libanaise, un rôle stratégique dans un pays où l’armée est souvent perçue comme le dernier rempart de l’unité nationale. Cette décision intervient alors que d’autres nominations sécuritaires, cruciales pour la stabilité interne, sont prévues pour être finalisées la semaine prochaine. « Il n’y a aucun problème concernant les nominations sécuritaires, et l’inclination est de maintenir le chef par intérim de la Sûreté générale, le général de division Elias Bayssari, en poste jusqu’à la fin de son mandat prolongé », a ajouté la source. Pendant ce temps, le poste de gouverneur de la Banque du Liban reste en suspens, les discussions sur les candidatures n’ayant pas encore débuté. Al-Akhbar, un autre quotidien, a rapporté que le président de la Chambre, Nabih Berri, pourrait se rendre à Baabda le jeudi 6 mars pour discuter de ces nominations avec le président Joseph Aoun, bien que cette visite n’ait pas été confirmée la veille au soir, faute de consensus sur des postes clés comme ceux de la Sûreté générale et de la Sécurité de l’État. Dans un contexte de crise économique, politique et sécuritaire, cette vague de nominations soulève autant d’espoirs que de questions sur la capacité du Liban à surmonter ses divisions internes.
Rudolph Haykal : un général discret à la tête de l’armée
La nomination de Rudolph Haykal comme commandant de l’armée libanaise marque un tournant dans la gestion des forces armées, une institution qui compte 80 000 soldats en 2025 et qui a joué un rôle central dans la préservation de la stabilité nationale. Haykal, un officier maronite de 55 ans, s’est distingué par une carrière militaire discrète mais solide. Originaire du nord du Liban, il a gravi les échelons depuis son entrée dans l’armée en 1990, au sortir de la guerre civile qui a ravagé le pays de 1975 à 1990. Avant cette nomination, il commandait la 9e brigade d’infanterie, une unité déployée le long de la frontière sud, où il a supervisé des opérations de coordination avec la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) face aux tensions avec Israël.
En 2025, l’armée libanaise reste une institution respectée, malgré des ressources limitées – son budget annuel n’excède pas 1,2 milliard de dollars, contre 24 milliards pour Israël – et des salaires dévalués par la crise économique, tombés à environ 50 dollars par mois pour un soldat de base. Haykal succède à Joseph Aoun, qui a dirigé l’armée de 2017 à janvier 2025 avant d’être élu président de la République le 9 janvier 2025, devenant le cinquième commandant militaire à accéder à ce poste. Cette transition intervient dans un climat de reconstruction post-guerre, après le conflit de 2024 avec Israël qui a tué plus de 4 100 Libanais et détruit 30 000 bâtiments, selon les estimations de mars 2025.
L’accord sur Haykal, conclu après des mois de blocage politique, reflète un compromis rare entre les factions libanaises. Le 5 mars 2025, des réunions à huis clos entre le président Joseph Aoun, le Premier ministre Nawaf Salam et des représentants des principaux blocs parlementaires – Forces libanaises, Hezbollah, Amal et Parti socialiste progressiste – ont permis de surmonter les veto croisés qui paralysaient les nominations depuis la fin du mandat de Michel Aoun en octobre 2022. Haykal, perçu comme un technocrate neutre, a bénéficié d’un large soutien : les Forces libanaises y voient un officier intègre, tandis que Hezbollah et Amal, affaiblis depuis la guerre de 2024, n’ont pas opposé de résistance significative, préférant sécuriser d’autres postes sécuritaires. Cette nomination, effective dès le 10 mars selon le calendrier annoncé, positionne Haykal comme un acteur clé dans la mise en œuvre du cessez-le-feu de novembre 2024, qui exige un déploiement renforcé de l’armée au sud du Liban pour empêcher le retour en force du Hezbollah.
Les nominations sécuritaires : un puzzle en cours d’assemblage
Si la désignation de Haykal marque un progrès, les autres nominations sécuritaires restent en suspens, illustrant les luttes de pouvoir qui continuent de gangrener le système politique libanais. La source gouvernementale citée par al-Joumhouria le 6 mars 2025 a insisté sur l’absence de « problème majeur » dans ce processus, suggérant une finalisation imminente des postes clés la semaine suivante, soit avant le 13 mars. Parmi ces postes, celui de directeur général de la Sûreté générale, occupé par intérim par Elias Bayssari depuis juillet 2023, semble assuré de continuité. Bayssari, un général maronite de 62 ans, a vu son mandat prolongé en 2024 par un décret controversé, une pratique courante dans un pays où les institutions peinent à fonctionner pleinement. En 2025, il supervise une agence de 5 000 agents responsables des visas, du contrôle des étrangers et de la délivrance des passeports, des tâches cruciales dans un contexte où 1,5 million de Libanais ont émigré depuis 2019.
La décision de maintenir Bayssari jusqu’à la fin de son mandat prolongé – prévu pour juillet 2025 – répond à une logique de stabilité. En février 2025, il a coordonné avec l’armée libanaise l’évacuation de 34 enfants blessés de Gaza via le passage de Rafah, une opération humanitaire saluée par l’OMS. Cette continuité contraste avec les incertitudes autour de la Sécurité de l’État, une agence de renseignement directement rattachée au Conseil suprême de défense. En 2025, son directeur, le général Tony Saliba, nommé en 2020, fait face à des critiques pour son inefficacité dans la lutte contre les réseaux de contrebande à la frontière syrienne, où 500 millions de dollars de marchandises illégales transitent chaque année. Le manque de consensus sur son remplacement – Hezbollah poussant pour un chiite loyal, les Forces libanaises pour un maronite indépendant – a retardé les discussions, comme l’a noté al-Akhbar le 5 mars.
Le poste de gouverneur de la Banque du Liban (BDL), vacant depuis le départ de Riad Salamé en juillet 2023, reste le plus épineux. En 2025, Wassim Mansouri assure l’intérim, mais les nominations définitives n’ont pas encore été abordées, selon al-Joumhouria. La BDL, qui gérait 36 milliards de dollars de réserves en 2019, n’en détient plus que 8 milliards en mars 2025, un effondrement lié à la crise économique qui a vu la livre chuter à 150 000 pour un dollar sur le marché noir. Les tractations pour ce poste impliquent des figures comme le président Aoun, Nabih Berri et les bailleurs internationaux – États-Unis, France, FMI – qui exigent un gouverneur capable de restructurer un secteur bancaire en faillite, avec 70 milliards de dollars de pertes accumulées depuis 2019. Ce retard reflète les divisions entre factions : Berri privilégie un chiite proche d’Amal, tandis que les Forces libanaises et le PSP de Walid Joumblatt plaident pour un technocrate indépendant.
Nabih Berri et Joseph Aoun : une rencontre incertaine à Baabda
La visite potentielle de Nabih Berri, président de la Chambre depuis 1992, au palais présidentiel de Baabda le 6 mars 2025, illustre les enjeux de ces nominations. Al-Akhbar a rapporté que cette rencontre avec le président Joseph Aoun était prévue pour finaliser l’accord sur les postes sécuritaires, mais elle restait incertaine au soir du 5 mars, faute de consensus. Berri, leader du mouvement Amal et allié historique du Hezbollah, joue un rôle pivot dans le système confessionnel libanais, où les chiites contrôlent des institutions clés comme la Sûreté générale. En 2025, son influence s’est légèrement érodée après la guerre de 2024, qui a affaibli Hezbollah – 4 000 combattants tués, 70 % de son arsenal détruit – mais il conserve un pouvoir de blocage au Parlement, avec 17 sièges pour Amal sur 128.
Joseph Aoun, élu président le 9 janvier 2025 avec 99 voix au second tour, incarne une nouvelle dynamique. Ancien commandant de l’armée, il a promis dans son discours inaugural de restaurer l’autorité de l’État, un objectif qui inclut la normalisation des nominations sécuritaires. Le 5 mars, il a présidé une réunion avec le cabinet de Nawaf Salam pour accélérer ce processus, mais les désaccords sur la Sécurité de l’État et la Sûreté générale ont freiné les progrès. Berri, selon al-Akhbar, hésite à valider un package sans garantir des postes pour ses alliés, une prudence qui reflète les luttes internes : en 2024, il avait déjà bloqué des nominations pour préserver l’équilibre confessionnel, retardant la désignation d’un successeur à Salamé à la BDL.
L’absence de confirmation de cette visite au 5 mars au soir souligne les tensions. Si elle a lieu le 6 mars, elle pourrait débloquer les discussions avant la session du cabinet prévue le 7 mars, où ces nominations pourraient être inscrites à l’ordre du jour. Sinon, le risque est que le sujet soit relégué hors agenda, prolongeant une paralysie institutionnelle qui dure depuis la vacance présidentielle d’octobre 2022 à janvier 2025. En 2025, le Liban ne peut se permettre ce luxe : la reconstruction post-guerre nécessite 15 milliards de dollars, selon la Banque mondiale, et la stabilité sécuritaire est une condition sine qua non pour débloquer l’aide internationale.
Les enjeux sécuritaires : l’armée au cœur de la stabilisation
La nomination de Rudolph Haykal intervient dans un contexte où l’armée libanaise est plus que jamais sollicitée. Le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, négocié par les États-Unis et la France après 14 mois de guerre avec Israël, a imposé un redéploiement de 15 000 soldats au sud du Liban, en coordination avec la FINUL, pour empêcher le Hezbollah de reconstituer ses forces. En mars 2025, l’armée a saisi 20 caches d’armes dans des villages comme Aynatha et Kfarkila, démontrant son engagement malgré des ressources limitées – 80 % de son matériel date d’avant 1990. Haykal, qui a supervisé des opérations similaires à la frontière sud, est vu comme un choix pragmatique pour maintenir cette mission, renforcée par une aide américaine de 95 millions de dollars débloquée le 4 mars 2025.
Mais cette stabilisation dépend aussi des autres agences sécuritaires. La Sûreté générale, sous Bayssari, gère la frontière avec la Syrie, où la chute d’Assad en décembre 2024 a intensifié le trafic – 500 millions de dollars de marchandises illégales en 2024. La Sécurité de l’État, elle, lutte contre les réseaux d’espionnage, un rôle crucial alors que 10 agents israéliens présumés ont été arrêtés en 2024. Le manque de consensus sur ces postes, comme l’a noté al-Akhbar, freine leur efficacité : en 2025, la Sécurité de l’État n’a que 1 500 agents, contre 5 000 pour la Sûreté générale, et son budget a été coupé de 20 % depuis 2023. Cette fragmentation sécuritaire fragilise le Liban face aux menaces internes et externes, rendant l’accord sur Haykal d’autant plus symbolique.
Une crise plus large : le vide à la Banque du Liban
Le poste de gouverneur de la Banque du Liban, non abordé dans les discussions actuelles, reste un point noir. En 2025, la BDL est au cœur d’une crise économique sans précédent : la livre, qui valait 1 500 pour un dollar en 2019, s’échange à 150 000 sur le marché noir en mars, avec une inflation de 250 %. Les réserves, tombées à 8 milliards de dollars, ne couvrent que deux mois d’importations, contre 12 mois en 2018. Wassim Mansouri, en intérim depuis juillet 2023, a stabilisé les taux de change à 89 500 officiellement, mais sans réformes structurelles – recapitalisation des banques, levée du secret bancaire – exigées par le FMI pour débloquer 3 milliards de dollars d’aide promise en 2022.
Les tractations pour ce poste impliquent des enjeux confessionnels et internationaux. Nabih Berri pousse pour un chiite proche d’Amal, tandis que les Forces libanaises et le PSP veulent un technocrate soutenu par les États-Unis et la France. En février 2025, une réunion à Paris avec des envoyés du Quintette (États-Unis, France, Arabie saoudite, Qatar, Égypte) a échoué à proposer un nom, reflétant l’impasse politique. Ce vide, combiné aux nominations sécuritaires en cours, illustre la difficulté du Liban à aligner ses institutions sur les besoins d’un pays où 85 % de la population vit sous le seuil de pauvreté en 2025, contre 28 % en 2018.