Le ministre des Affaires étrangères libanais, Youssef Rajji, a fermement rejeté un reportage publié le 4 mars 2025 par le portail américain Axios, qui affirmait l’existence d’un « accord tacite » entre le Liban, Israël et les États-Unis concernant la présence militaire israélienne dans cinq postes au sud du Liban. « Nous n’avons aucune connaissance d’un tel prétendu accord », a déclaré Rajji lors d’une allocution télévisée le 5 mars 2025, balayant les allégations selon lesquelles Beyrouth aurait accepté une prolongation de cette présence pour « plusieurs semaines ou mois » jusqu’à ce que l’armée libanaise stabilise la région et neutralise la menace du Hezbollah. Selon Axios, des responsables américains et israéliens auraient confirmé cet arrangement, mais le gouvernement libanais maintient une position officielle claire : il s’oppose à toute présence israélienne sur son territoire. Alors que l’armée israélienne s’est presque entièrement retirée du sud du Liban après le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, ces cinq positions, situées à quelques centaines de mètres de la frontière, cristallisent une nouvelle source de tensions. Entre démentis officiels, pressions régionales et enjeux diplomatiques, cet épisode soulève des questions sur la viabilité de la trêve et la souveraineté libanaise.
Un démenti catégorique : Rajji défend la souveraineté libanaise
Youssef Rajji, nommé ministre des Affaires étrangères en février 2025 dans le cabinet technocratique de Nawaf Salam, a pris la parole le 5 mars pour clarifier la position du Liban face aux allégations d’Axios. Lors d’une conférence de presse à Beyrouth, il a insisté sur le fait que son gouvernement n’avait jamais été informé ni n’avait consenti à un tel arrangement. « Le Liban n’a pas participé à une quelconque entente de ce type avec les États-Unis ou Israël », a-t-il affirmé, ajoutant que la présence israélienne dans les cinq postes au sud du pays – à Khiam, Maroun el-Ras, Aitaroun, Bint Jbeil et Yaroun – constituait une violation claire du cessez-le-feu signé en novembre 2024. Cet accord, négocié sous la médiation des États-Unis et de la France, stipulait un retrait complet des forces israéliennes du territoire libanais dans les 60 jours, une échéance dépassée depuis le 26 janvier 2025.
Le ministre, un diplomate chevronné ayant servi comme ambassadeur en Jordanie de 2022 à 2025, a réitéré l’engagement du Liban envers sa souveraineté territoriale. « Israël doit se retirer immédiatement de ces zones », a-t-il déclaré, soulignant que l’armée libanaise, avec ses 80 000 soldats, avait renforcé sa présence au sud du fleuve Litani depuis décembre 2024, déployant 5 000 hommes supplémentaires pour sécuriser la frontière. En 2025, cette mobilisation a permis à l’armée de reprendre le contrôle de 70 % des zones précédemment occupées par Israël, un effort salué par Rajji comme preuve de la capacité du Liban à maintenir l’ordre sans présence étrangère. Ce démenti intervient alors que le Liban, fragilisé par une crise économique où la livre a perdu 95 % de sa valeur depuis 2019 et par les séquelles de la guerre de 2024 contre Israël, cherche à affirmer son autorité face à des ingérences extérieures.
La réaction de Rajji reflète une frustration croissante à Beyrouth. Le 4 mars, Axios avait publié un article basé sur des déclarations de responsables américains et israéliens, suggérant que cet « accord tacite » permettrait à Israël de maintenir ses positions jusqu’à ce que l’armée libanaise garantisse l’absence de menace du Hezbollah, un groupe armé qui a subi des pertes massives – 4 000 combattants tués en 2024 – mais conserve une influence significative. Rajji a qualifié ces allégations de « spéculations infondées », accusant implicitement certains acteurs de chercher à justifier une occupation prolongée sous couvert de sécurité régionale. Cette prise de position, ferme et rapide, vise à rassurer une population libanaise déjà échaudée par des mois de conflit et de violations répétées de la trêve – plus de 1 000 incidents signalés depuis novembre 2024, entraînant 77 morts et 270 blessés.
Le contexte du cessez-le-feu : une paix fragile sous surveillance
Le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, conclu après 14 mois d’un conflit dévastateur entre Israël et le Hezbollah, avait mis fin à une guerre qui a coûté la vie à plus de 4 100 personnes au Liban depuis octobre 2023 et déplacé 1,4 million de personnes. Négocié par l’émissaire américain Amos Hochstein et soutenu par la France, cet accord prévoyait un retrait israélien complet en échange d’un repositionnement des forces du Hezbollah au nord du fleuve Litani, à environ 30 kilomètres de la frontière, et d’un déploiement renforcé de l’armée libanaise et des forces de l’ONU (FINUL). En janvier 2025, Israël avait retiré la majorité de ses 10 000 soldats déployés au sud du Liban depuis l’invasion terrestre du 1er octobre 2024, qui visait à démanteler l’infrastructure militaire du Hezbollah et à sécuriser le retour de 96 000 Israéliens déplacés du nord du pays.
Cependant, ce retrait n’a pas été total. En février 2025, des rapports ont confirmé que des soldats israéliens restaient stationnés dans cinq postes stratégiques à l’intérieur du territoire libanais, à quelques centaines de mètres de la Ligne bleue, la frontière définie par l’ONU en 2000. Ces positions, situées dans des villages frontaliers clés, permettent à Israël de surveiller les mouvements du Hezbollah et de prévenir une reconstitution rapide de ses capacités, qui incluaient avant la guerre un arsenal estimé à 150 000 roquettes. Le 25 janvier, le cabinet de sécurité israélien avait autorisé cette présence prolongée, arguant que l’armée libanaise et la FINUL – avec ses 10 000 Casques bleus – n’avaient pas pleinement respecté leurs engagements de désarmement du Hezbollah au sud du Litani. En mars 2025, ces postes abritent encore environ 500 soldats israéliens, selon des estimations militaires, une présence réduite mais symbolique qui irrite Beyrouth.
Le Liban, par la voix de Rajji et du Premier ministre Nawaf Salam, a dénoncé cette situation comme une violation de l’accord de novembre. Le 18 février, Rajji avait déjà appelé le commandant de la FINUL, le général Aroldo Lazaro, à exiger un retrait israélien complet avant la fin du mois, une demande restée sans effet tangible. En parallèle, l’armée libanaise a intensifié ses patrouilles : en février 2025, elle a saisi 20 caches d’armes du Hezbollah dans le sud, contenant des roquettes et des explosifs, et arrêté 15 suspects liés au groupe. Ces efforts, bien que significatifs, n’ont pas convaincu Israël, qui maintient que des cellules du Hezbollah – affaibli mais actif avec encore 10 000 combattants – continuent d’opérer près de la frontière, justifiant ainsi sa présence dans ces cinq postes.
Axios et l’« accord tacite » : une affirmation controversée
Le reportage d’Axios, publié le 4 mars 2025, a jeté une lumière crue sur ces tensions. Selon le média américain, des responsables américains et israéliens auraient décrit un « accord tacite » permettant à Israël de rester dans ces cinq positions « pour plusieurs semaines ou mois » jusqu’à ce que l’armée libanaise stabilise la situation et élimine la menace du Hezbollah. L’article soulignait que cet arrangement aurait été accepté en coulisses par le Liban, malgré son opposition publique, et coïncidait avec une décision du Département d’État américain, le même jour, de débloquer 95 millions de dollars d’aide militaire pour l’armée libanaise. Ce financement, gelé pendant près de 90 jours sous Trump, visait à renforcer les capacités de l’armée face au Hezbollah et à soutenir le gouvernement de Salam, en place depuis janvier 2025.
Cette affirmation a immédiatement suscité des réactions au Liban. Le vice-Premier ministre Tarek Mitri, le 5 mars, a corroboré le démenti de Rajji, affirmant que « les Américains ne nous ont jamais communiqué une telle proposition, et le Liban n’a pas été partie à un tel accord ». Le Hezbollah, par la voix du député Hassan Ezzedine, a dénoncé une « tentative de légitimer l’occupation israélienne » et appelé le gouvernement à agir contre cette « violation flagrante de la souveraineté ». En 2025, le groupe, bien que diminué – ses pertes incluent 4 000 morts et la destruction de 70 % de son arsenal – conserve une influence politique avec 13 sièges au Parlement et une capacité de mobilisation populaire, comme en témoigne un sit-in de 10 000 personnes à Beyrouth le 15 février contre les ingérences israéliennes.
Le timing du reportage d’Axios n’est pas anodin. Le 4 mars, un drone israélien a ciblé un véhicule à Rashkananiyeh, dans le district de Tyr, tuant une personne présentée par l’armée israélienne comme un membre de l’unité d’élite Radwan du Hezbollah, une allégation démentie par Ezzedine, qui a identifié la victime comme un civil. Cet incident, suivi de cinq autres attaques depuis janvier ayant tué cinq personnes et blessé huit autres, a ravivé les accusations de violations répétées du cessez-le-feu. Le démenti de Rajji peut ainsi être lu comme une réponse à la fois à Axios et à ces provocations, visant à réaffirmer la position unifiée du Liban contre toute présence israélienne prolongée.
Les États-Unis : entre soutien au Liban et pression sur Israël
Les États-Unis jouent un rôle ambigu dans cette affaire. En 2025, l’administration Trump, revenue au pouvoir en janvier, a adopté une politique pro-israélienne marquée, comme en témoigne le déblocage de 95 millions de dollars pour l’armée libanaise le 4 mars, une décision interprétée comme un geste pour renforcer un partenaire clé tout en soutenant indirectement les objectifs israéliens de sécurité. Depuis le cessez-le-feu, Washington a maintenu une présence militaire dans la région – deux porte-avions en Méditerranée orientale – et a fourni 500 millions de dollars d’aide humanitaire au Liban en 2024 pour gérer les 1,4 million de déplacés. Mais cette aide s’accompagne d’une pression croissante sur Beyrouth pour désarmer le Hezbollah, une tâche que l’armée libanaise, sous-financée avec un budget de 1,2 milliard de dollars en 2025, peine à accomplir seule.
Le reportage d’Axios suggère que les États-Unis auraient toléré, voire négocié, cette présence israélienne prolongée, une hypothèse que Rajji rejette. Le 5 mars, un porte-parole du Département d’État a confirmé le déblocage des fonds mais n’a pas commenté l’existence d’un « accord tacite », se contentant de réaffirmer l’engagement américain envers la mise en œuvre complète du cessez-le-feu. Cette ambiguïté reflète une stratégie délicate : Washington cherche à équilibrer son soutien à Israël – qui a éliminé des leaders clés du Hezbollah comme Hassan Nasrallah en 2024 – avec la nécessité de stabiliser le Liban, un pays au bord de l’effondrement économique avec un PIB réduit à 18 milliards de dollars en 2024 contre 55 milliards en 2018.
Pour le Liban, cette situation est un casse-tête. En février 2025, Rajji a discuté avec son homologue iranien, Abbas Araghchi, des relations bilatérales et de la crise des vols entre les deux pays, un échange qui souligne l’influence persistante de l’Iran, principal soutien du Hezbollah, sur la politique libanaise. Mais Beyrouth doit aussi ménager ses relations avec les États-Unis et la France, qui supervisent avec trois autres pays un comité de suivi du cessez-le-feu. Le démenti de Rajji vise à préserver cette neutralité, tout en évitant d’alimenter les spéculations sur une compromission avec Israël, un sujet explosif dans un pays où 85 % de la population vit sous le seuil de pauvreté en 2025.
Les cinq postes israéliens : un symbole de discorde
Les cinq postes israéliens au sud du Liban – Khiam, Maroun el-Ras, Aitaroun, Bint Jbeil et Yaroun – sont au cœur de cette controverse. Situés à moins de 500 mètres de la Ligne bleue, ils couvrent une zone de 70 % du territoire occupé par Israël lors de son incursion d’octobre 2024, selon la FINUL en janvier 2025. En février, l’armée israélienne a réduit ses effectifs à environ 500 soldats dans ces positions, contre 10 000 au pic du conflit, mais maintient une présence équipée de drones et de systèmes de surveillance pour empêcher le Hezbollah de rétablir ses infrastructures – tunnels, caches d’armes – détruites à 80 % en 2024. Le 25 janvier, le porte-parole israélien David Mencer a justifié cette décision, affirmant que le retrait total dépendait d’une « stabilisation complète » par l’armée libanaise, un processus jugé trop lent.
Le Liban conteste cette logique. En mars 2025, l’armée libanaise a déployé 5 000 soldats supplémentaires au sud, portant son total à 15 000 dans la région, et coordonné avec la FINUL pour patrouiller 90 % de la zone frontalière. Depuis janvier, elle a démantelé 20 caches d’armes et sécurisé des villages comme Aynatha et Kfarkila, malgré des incidents – une frappe israélienne à Jarjoua le 4 mars a tué deux civils. Rajji a souligné ces efforts pour contrer l’argument israélien, affirmant que « l’armée libanaise remplit ses devoirs » et que la présence israélienne n’a plus de justification. Mais Israël, qui a perdu 40 soldats dans le sud du Liban en 2024, insiste sur son droit à l’autodéfense, invoquant des tirs sporadiques du Hezbollah – 10 incidents depuis novembre, aucun mortel – comme preuve d’une menace persistante.
Cette impasse ravive les mémoires de l’occupation israélienne de 1982 à 2000, qui avait laissé des cicatrices profondes au Liban. En 2025, 62 % des Libanais, selon un sondage de février, considèrent cette présence comme une nouvelle tentative de domination, un sentiment qui alimente des manifestations – 5 000 personnes à Beyrouth le 15 février. Pour Rajji, ces postes sont un test de la souveraineté libanaise, et son démenti vise à couper court à toute perception de complicité avec Israël ou les États-Unis, un risque politique majeur dans un pays fracturé par des divisions confessionnelles et économiques.